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Schlegel,

1772-1829.

pénétration inusitée les monuments de Rome; et, associant dans l'Histoire des beaux-arts la théorie à la réalité, il vit les choses d'une manière nouvelle, bien qu'il fût admirateur exclusif de l'antiquité. Les partisans de Winckelmann étaient tout à fait idéalistes: Lessing voulut donc ramener à l'individu, au réel. Quoiqu'il soit tombé dans l'excès opposé, il a le mérite d'avoir soutenu le naturel contre l'artificiel, et battu le clinquant classique ainsi que l'étiquette française. Il rajeunit la critique en assignant les Limites de la poésie et de la peinture. Mais l'ignorance où il était des chefs-d'œuvre de l'art antique lui fut nuisible; quelques-unes de ses doctrines parurent fausses à l'application, même celles qu'il posait comme capitales. Il prétend à tort renfermer la peinture dans les bornes assignées aux arts plastiques, et tracer entre les beaux-arts une ligne infranchissable, en mettant à part la poésie, qui est l'âme de tous les autres.

Une foule d'écrivains se mirent alors à peser la raison du beau. Sulzer de Wenterthur, métaphysicien estimé, donna la théorie universelle des beaux-arts, en se proposant de les rappeler à leur destination, c'est-à-dire à l'utilité sociale, pour former à l'aide du beau de bons citoyens. Baumgarten, de Berlin, élève de Wolf et par lui de Leibnitz, donna le premier la forme systématique à la théorie du goût, qu'il intitula esthétique, et la sépara de l'exégèse, en la définissant l'art des belles pensées, en même temps qu'il la présentait comme un sentiment, de telle sorte qu'elle arrivait à relever de la morale. Il la divisa en théorique et en pratique, plaça le beau dans la connaissance sensitive parfaite, qui consiste à ramener les pensées à l'unité, dans la beauté de cette ordonnance, et dans celle de l'expression des pensées et de leurs objets, mérite auquel s'opposent les contradictions dans les pensées, le désordre des idées et des objets, l'expression fausse ou vicieuse. Ce n'était qu'une première tentative; mais depuis lors l'esthétique fut redevable d'une existence indépendante à Mendelsohn, à Sulzer, à Éberhard, et elle devint une partie de la philosophie. Tieck et Hagedorn dirigèrent leur attention sur la peinture et la poésie antique; Herder, Heinsius, Göthe, portèrent la leur sur tout le domaine de l'art, en fondant l'esthétique sur la psychologie; Schiller y appliqua la doctrine de Kant.

Guillaume Schlegel offrit le cours de littérature dramatique le plus étendu et le plus profond. Son frère Frédéric supposa qu'il

ne pouvait y avoir de véritable science qu'avec la connaissance du tout. Il étudia en conséquence toutes les langues, se fit le contemporain des Romains, des Grecs, des Chaldéens, des Indiens; et de la comparaison des mots qui expriment les idées primitives il déduisit l'origine connue des hommes. Il montra, dans l'histoire de la littérature ancienne et moderne, qu'il comprenait tout ce que la poésie des Grecs, le génie romain, l'inspiration hébraïque, le développement intellectuel des modernes, offrent de grand et de beau; et il dirigea tout vers le but qui lui parut être le seul pour obtenir la rénovation des lettres et des sciences, c'est-à-dire, la réunion de la foi et du savoir. Ce génie observateur s'appliquait à examiner sévèrement les textes des classiques, à en procurer de meilleures éditions; et, s'enhardissant à force de patience, il portait le doute sur les ouvrages anciens, en éliminait certaines parties, et appuyait de raisons philologiques les observations philosophiques de Vico, pour qui Homère se résolvait en un type idéal.

Ainsi s'introduisit une critique nouvelle, qui ne s'inquiète pas seulement de ce qui fut, mais de ce qui pourrait être ; qui jette ses conjectures sur la mer du possible, et montre, par ce qu'ont fait les génies les plus divers, où pourrait arriver un génie nouveau.

De nobles âmes se réunirent pour défendre les doctrines nationales, pour exciter les sentiments, réveiller les traditions; les doctes se rapprochèrent des ignorants; il se forma des sociétés et des lieux de rendez-vous, ne fût-ce que pour lire les journaux. La littérature allemande en reprit quelque vigueur; et si d'abord elle avait imité la littérature française et ses formes classiques, elle se mut alors dans sa liberté, et, tournant ses regards du côté des Anglais, elle osa risquer l'originalité.

Ce fut aux sources allemandes que s'inspira Auguste Burger, qui, dans le cours d'une existence malheureuse, devint le poëte populaire, en retraçant dans ses ballades les traditions vulgaires: bien qu'il s'exprime d'un ton familier et souvent en termes bas, il s'élève parfois jusqu'au sublime. Le tendre Hölty est plein du pressentiment d'une fin prochaine.

Lichtenberg, qui, de même que Lessing, croyait la révélation une phase dans le progrès de l'esprit humain, et tendait à spiritualiser toute chose, est le père des auteurs facétieux. Il se raillait des inventions de ses contemporains, et parodia les théories de Lavater dans sa Physionomie des queues.

Théâtre.

Schiller. 1789-1803.

Jean-Paul Richter, homme des plus étranges, mêla dans ses compositions le plus bas au plus élevé, des connaissances profondes et des superstitions, des idées et des sentiments de toute classe, de tout état, de tous les siècles; et tout cela dans un style plein d'ellipses, de parenthèses, de sous-entendus, en phrases incohérentes et en périodes inextricables. Ceux qui peuvent débrouiller ce pêlemêle y trouvent un sentiment profond, une appréciation très-fine de la nature humaine et de son siècle, des révélations qui éclairent les replis les plus secrets du cœur.

Théodore Hoffmann, qui passait sa vie dans les tavernes, écrivait, après s'être échauffé l'imagination au milieu des pots par des récits de veillée, des Contes fantastiques remplis de diables et d'inventions étranges, que l'on croirait à peine émanés d'un homme jouissant de sa raison.

La manie du boursouflé s'était introduite au théâtre depuis Lohenstein, et les acteurs, tout chamarrés de papier doré, se montraient gonflés et guindés, avec une énorme épée et quelques lambeaux héroïques, hurlant, trépignant, et débitant d'un ton d'emphase des périodes ampoulées. Ils traduisaient et représentaient, de préférence aux produits du terroir, les pièces de Corneille, de Molière, et les farces italiennes. Mais lorsqu'en 1708 Stranitzki eut fait jouer à Vienne une comédie allemande, les applaudissements allèrent aux nues, et le stupide Hanswurst fut oublié.

Lessing, qui publia des critiques incomparables sur l'art dramatique, en donna aussi des exemples: Mina de Barnhelm, remplie de vivacité comique; Sara Sempson, drame larmoyant, sans les déclamations de Diderot; et Emilie Galotti, où il transporte le fait de la Virginie romaine dans l'intérieur du foyer domestique.

Engel, son élève, donna de bons préceptes sur la mimique. Les comédies d'Ifland et de Kotzebue, qui tombent de faiblesse, visent plutôt à l'effet qu'à la peinture réelle de la société ; la morale y est bavarde et sententieuse, et elles offrent une idéalité de vices et de vertus.

L'écrivain qui se signala plus particulièrement sur le théâtre fut Frédéric Schiller. La lecture de Klopstock l'avait nourri de sentiments religieux et énergiques; mais il suivit les errements de l'époque dans ses premières compositions. Dans ses Brigands, il oppose à la société, où les fripons l'emportent jusqu'à paraître vertueux, la peinture séduisante d'une société de voleurs qui

sont coupables sans être vils. L'effet produit par cette pièce fut tel, que plusieurs jeunes gens abandonnèrent l'existence bourgeoise pour se jeter dans les bois. Il montre encore, dans l'Amour et l'Intrigue, le triomphe de l'égoïsme calculé sur les passions généreuses de la jeunesse, qui ne savent pas se plier aux exigences d'un monde injuste. Le Don Carlos et la Conjuration de Fiesque sont remplis de ce républicanisme qui alors gagnait du terrain, et, du pressentiment d'améliorations indéterminées, appliqué à des personnages d'une autre époque, ce qui leur enlève le mérite de la vérité. Ces pièces lui valurent le titre de citoyen français, que lui décerna la convention. Mais quand la lettre arriva à Schiller, les six membres qui l'avaient signée avaient péri de mort violente; et il put reconnaître combien les applications diffèrent de ce que les théories offrent de séduisant.

Schiller est bien loin d'avoir la féconde variété, le pathétique profond, la puissante originalité de Shakspeare. Fils de son siècle, il détruit la vérité de ses personnages en leur attribuant des idées et des sentiments d'un autre temps; il dogmatise quand il devrait peindre et émouvoir; il ne crée pas des êtres réels, comme le poëte anglais, mais il leur donne des charmes par le caractère moral qu'il fit dominer ensuite dans ses nouvelles compositions.

En effet, la lutte entre les résolutions vertueuses et l'impatience de toute autorité morale dégoûtait Schiller de la société, et un sentiment pénible de doute parut souvent dans ses ouvrages. Mais enfin la philosophie de Kant, si elle ne lui apporta pas la certitude, lui enseigna que l'idée d'un Dieu, que le sentiment du devoir, sont des idées nécessaires à l'existence de l'homme, et qu'il doit s'incliner avec respect devant certains mystères. Il puisa alors dans la poésie lyrique, comme dans l'art dramatique, ses inspirations à une source plus haute, et chercha l'intérêt dans le triomphe de la partie morale de l'homme sur la partie matérielle, en montrant la puissance du libre arbitre, et en rendant, comme il le disait, la tragédie digne des hautes destinées du temps. Il écrivit alors la trilogie de Wallenstein, plus fidèle à l'histoire que ses compositions précédentes: on y trouve des caractères gigantesques, dont la grossièreté est tempérée par l'art, et toujours un idéal de bonté et de vertu y est placé comme correctif à côté du triomphe de la perversité.

Marie Stuart, Guillaume Tell et la Pucelle d'Orléans ap

Göthe. 1749-1832,

partiennent au même sentiment, bien que dans cet ennoblissement de la nature humaine il s'attachât à certains types métaphysiques plutôt qu'à la réalité, et que ce procédé le portât à cette vaine recherche qui est un supplice pour l'intelligence (1).

Ses drames furent représentés à la cour de Weimar, qui, sous la régence d'Anne-Amélie de Brunswick, fut appelée l'Athènes de la Thuringe. L'élite des gens de lettres y jouissait du calme de la paix au milieu des désastres de la guerre de sept ans et de la famine de 1772. C'étaient Seckendorf, Einsiedel, Knebel, Voigt, le conteur Musæus; Herder, qui, au dire de Richter, était une poésie plutôt qu'un poëte; Bertuch, qui y créait l'industrie; Ifland, qui y faisait jouer ses comédies; Wieland, qui y avait été appelé pour être l'instituteur du prince. Wolfung Göthe y avait formé et y dirigeait un théâtre pour un petit nombre d'élus, devant lesquels il faisait passer les chefs-d'œuvre de toutes les nations, avec l'imitation la plus précise et la plus érudite des usages. Tantôt tout était disposé pour un théâtre antique : le chœur descendait dans l'orchestre, et l'on représentait une comédie de Térence ou l'Iphigénie; tantôt on jouait des drames de Shakspeare ou la Sacontala indienne, traduits par Schlegel, le Mahomet de Voltaire, la Phèdre de Racine, les pièces de Charles Gozzi, d'après les traductions de Schiller et de Göthe.

L'esprit de Schiller se consumait au milieu de ces tranquilles jouissances, en même temps que s'usait son corps; et il mourut en 1805. Göthe resta alors le représentant suprême de la littérature allemande : poëte lyrique, épique, dramatique, romancier, critique, physicien, et hors de ligne en tout genre. Il débuta par Werther, expression douloureuse d'une société qui, agitée par l'incertitude entre un passé qui s'écroulait et un avenir auquel on aspirait sans savoir comment l'atteindre, se trouvait tiraillée entre une immense activité intérieure et la chaîne monotone du monde extérieur. Son Werther produisit des suicides réels et une foule d'imitateurs, dont il se moqua dans le Triomphe du Sentimentalisme, de même qu'il combattit le suicide dans le Noviciat de Guillaume Meister. En effet, sa destinée fut toujours de faire paraître un chef-d'œuvre, de le voir imité par une tourbe servile,

(1) Il écrivait en effet : « Je me convaincs chaque jour davantage que je ne suis pas né poëte. Si de temps à autre j'ai quelque élan poétique, je le dois à mes méditations continuelles sur des sujets métaphysiques. »

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