Imatges de pàgina
PDF
EPUB

doctrines newtoniennes à l'explication de la création, du déluge, de l'embrasement final, selon l'Écriture. En général, après la première moitié du siècle, les écrivains deviennent plus sérieux, plus moraux, et répudient le mépris systématique de leurs devanciers pour la religion et les lois.

Les Anglais continuaient cependant à cultiver leur littérature nationale, qui, de même que leur constitution, est une transaction entre des principes différents, un équilibre artificiel. Leur prédilection décidée pour le romantique et pour le moyen âge, l'impatiente audace du génie poétique, qui franchit les limites de l'ordinaire, avaient été tempérées par les exemples italiens et français, comme aussi par l'étude des Grecs et des Latins, lorsque enfin s'ouvrit, sous le règne de la reine Anne, le siècle d'or de leur littérature. Une philosophie qui se borne à l'homme, sans sonder les mystères intérieurs de la nature; le spectacle des passions, sans cesse en action à la tribune et dans les cercles, faisaient que l'attention se concentrait sur quelques points et sur des temps spéciaux : de là la richesse d'investigation et d'exposition, soit dans l'histoire, soit dans les romans, soit dans les essais.

Les puritains rigides s'élevèrent contre l'esprit vif et frivole d'Addison et de Swift. Ainsi Bunyan, qui peignit le voyage d'une âme à travers le monde; ainsi Daniel de Foë, publiciste, dialecticien, historien, satirique, écrivain polémique plein de talent, qui passa sa vie à faire des contrefaçons et des romans pour soutenir le calvinisme; qui, faussaire à bonne intention, sacrifiait à la puissante simplicité d'un sens droit la brillante manifestation des facultés les plus vives de l'intelligence. Mis au pilori pour cause politique, il s'écriait en rentrant dans la prison: Adieu, pilori, hieroglyphe de honte, symbole d'infamie qui doublera ma renommée. Il se consola, durant sa captivité, en lisant les aventures de Selkirk, marin, resté quelque temps dans une île déserte (1). Combinant donc ce fait avec ses besoins et ses sentiments actuels, il créa le Robinson Crusoë. Ce livre, aride, sans idéal et sans art, devait plaire à des sociétés ennuyées de l'existence des villes; mais ses défauts sont largement rachetés par le plaisir qu'on éprouve à voir l'homme, abandonné à ses seules forces, satisfaire à ses besoins, et reconstruire en quelque sorte la société. La sim

(1) Voy. tome XIII, page 494.

De Foë. 1663-1731.

Richardson. 1689-1761.

Fielding.

1707-1754.

plicité de Robinson et de Vendredi contrastait avec le ton fastueux du Cyrus et de l'Artamène. Persuadé, d'après sa croyance, que toutes les actions sont sacrées, de Foë les dépeint avec une minutie inépuisable, sans même reculer devant les trivialités.

Richardson passe pour le premier romancier du monde. Paméla, Clarisse Harlowe et Grandisson excitèrent, malgré leur prolixité, et quoiqu'on n'y trouvât ni incidents romanesques, ni urbanité affectée, ni galanterie exagérée, une curiosité et un intérêt général. Ce fut au point que, ces ouvrages paraissant à certains intervalles, on adressait de toutes parts des lettres à l'auteur pour en presser la publication trop lente, les uns le suppliant de ne pas laisser Clarisse succomber, les autres de faire que Lovelace se convertit.

Voltaire se détournait dè ses travaux pour le lire avec dépit, Diderot avec admiration, tant le naturel et le pathétique ont de puissance. Bien que la forme épistolaire soit fatigante, Richardson en tire un double intérêt, celui du récit et celui du narrateur. Nul autre ne l'égale pour le pathétique, pour l'éloquence des passions, pour la science avec laquelle il sonde les replis du cœur humain. Il peint surtout des caractères de femmes avec une grande variété d'images et d'observations, avec un style énergique et gracieux, qu'il sait approprier aux personnages. Moraliste rigide, il ne souffre pas la plus petite tache sur la moindre vertu ; et, procédant dogmatiquement, il offre des physionomies froides, impossibles, où tout est réglé, tout équilibré.

Henri Fielding voulut rivaliser avec lui en faisant la guerre aux momeries de toute sorte, en s'amusant des ridicules et des faux jugements humains ; et il transforma Lovelace, qu'il embellit, en Tom Jones. Ce roman offre une infinité de caractères, tous distincts, dont plusieurs sont originaux, et une foule d'aventures qui, sans sortir du cours ordinaire des choses, attachent l'esprit et, dans certains moments, inspirent la terreur. L'un et l'autre de ces écrivains élevèrent le roman à la hauteur du drame, en offrant des caractères sous des couleurs plus vraies et plus familières, avec le mouvement animé de la scène pour flatter le goût de la majorité. Ils descendirent même dans plus de détails que le théâtre ne le comporte.

Il est singulier que des peintures si vives et si vraies du monde et de la société soient dues à des hommes qui les fréquentèrent si

peu. Richardson fut imprimeur, rien de plus, jusqu'à cinquante ans, et il se plaisait à raconter des historiettes aux enfants et aux jeunes filles. Il ne connut le grand monde que lorsque le duc de Warthon, d'après lequel il fit le portrait de Lovelace, le chargea de l'impression de ses audacieux opuscules. Fielding était un notaire, fort assidu aux occupations très-peu poétiques de son étude.

Le comte de Chesterfield, dans ses Lettres à son fils, peut don- 1694-1779. ner une idée des opinions alors dominantes dans la haute société anglaise. Le fond en est tout aristocratique, et l'on y trouve de fausses appréciations de la vertu, avec d'excellentes maximes pratiques. Sa phrase est tendue et orgueilleuse, comme dans Thompson, dans Mallet, dans Hawkesworth, champions d'une manière qui n'eut pas de durée.

Au moment où la gloire du théâtre anglais commençait à se répandre au dehors, où l'acteur tragique David Garrick, en se pénétrant admirablement des caractères et des situations, faisait con.. naître Shakspeare dans sa patrie mieux que tous les commentateurs, ses compatriotes abandonnaient leur manière nationale pour la forme française, dans laquelle Thompson et Young composèrent de très-médiocres tragédies. Cependant la Jane Shore et la Jane Grey de Rowe, l'Avare de Fielding, le Bonhomme de Goldsmith, sont de bonnes compositions dramatiques, de même que plusieurs comédies de Richard Cumberland, et surtout l'École de la médisance (Scool of scandal) de Sheridan.

Mais le siècle de la reine Anne avait fait préférer le correct à l'original. Johnson, qui fit un dictionnaire de la langue anglaise, Johnson. écrivit beaucoup d'articles dans les journaux, et retraça les vies des poëtes anglais, tout en déployant constamment une sage critique, ne cessa de dénigrer le naturel, et les donneurs de préceptes s'arrogèrent le droit d'imposer des règles au génie. L' Hermès ou Recherches philosophiques sur la grammaire générale, par James Harris, est aussi un chef-d'œuvre d'analyse. Hugues Blair, indépendamment de ses sermons, d'une facilité parfois affectueuse, déduisit des leçons de rhétorique d'exemples particuliers, plutôt qu'il ne les puisa aux grandes sources de la véritable éloquence. Robert Lowth mesure, avec le compas de l'école, l'inspiration prophétique de la poésie des Hébreux. Les Commentaires de Guillaume Jones sur la poésie asiatique ouvrirent un champ nouveau à l'imagination et à la critique, en lui faisant connaître les poëmes et les drames

Sterne.

1713-1768.

Olivier Goldsmith.

d'une littérature dont le nom même avait été ignoré jusque-là. D'autres, plus hardis, recouraient à tout ce qu'il y a de sublime chez le peuple, au sentiment, aux sources des pensées universelles. En tête de tous marche Laurent Sterne, le pauvre Yorick, ministre et prédicateur irlandais. Sans parler de ses sermons, on trouve dans ses lettres un charme qui ne permet pas de les quitter, une fois qu'on les a commencées. Son Voyage sentimental est rempli d'observations délicieuses. Qui ne s'est pris d'amitié pour l'oncle Tobie dans Tristam Shandy et pour son écuyer, heureux pendant de Sancho Pança ? Dans le genre descriptif, que les Anglais affectionnent plus particulièrement, Sterne vous met sous les yeux le monde qu'il connaît. Il fait son profit du moindre détail : vous voyez la tabatière du moine, le mendiant, le prêtre, le chien, la voiture dont il vous entretient; vous les avez rencontrés, et vous êtes étonnés de la ressemblance. Des aventures si simples, tronquées ou suspendues à plaisir, vous paraissent d'abord un enfantillage; et pourtant vous ne sauriez vous en détacher. Bientôt vous êtes fasciné par ce mélange de bon sens et de paradoxe, de probité et de licence, d'enthousiasme et d'ironie, qui tantôt vous fait rire, tantôt vous arrache des larmes, et qui, tout en plaisantant, vous fait entendre de nobles pensées et d'éloquentes protestations en faveur de l'humanité. Le charme de ce naturel incomparable fait oublier et les nombreux plagiats et le cynisme de certaines peintures. Les éloges et les censures passionnées ne manquèrent donc pas à Sterne, selon l'aspect sous lequel on l'envisagea; mais cet air d'abandon, de jaserie, de distractions confidentielles, auxquelles l'Anglais s'abandonne volontiers quand la confiance lui a fait déposer sa réserve extérieure, exerça une grande influence sur la littérature.

L'Irlandais Olivier Goldsmith quitta sa patrie à pied après une jeunesse orageuse, pour parcourir la Hollande, les Pays-Bas, la France, la Suisse, l'Italie, gagnant avec sa flûte et ses chansons un gîte et un repas, ou soutenant des thèses dans un couvent, et en observant en même temps le monde sous ses diverses faces. Ses poëmes du Voyageur et du Village abandonné, mais plus encore son Vicaire de Wackefield, si rempli de naïveté et de conviction, lui valurent une grande célébrité, sans l'arracher à la pauvreté. Il crut donc qu'il vaudrait mieux pour lui écrire une histoire d'Angleterre et divers résumés, ce qui le rendit populaire.

La critique est ce qui convient le mieux au génie positif et observateur des Anglais. Aussi, indépendamment des applications que nous leur en avons vu faire au roman tant moral que comique, ils comptèrent un grand nombre d'écrivains, dont le talent s'exerça dans des essais sur l'homme et sur la société. D'autres cependant demandèrent aux muses leurs inspirations.

L'Écossais Thompson arriva à Londres pauvre et pieds nus, sans autre ressource que son poëme de l'Hiver, qu'il avait composé avant de savoir les règles de l'art. Il eut beaucoup de peine, au milieu des préoccupations de la politique, à trouver un imprimeur; puis, arraché à la misère par lord Spencer, il composa encore l'Été, le Printemps et l'Automne, le Château de l'indolence, et plusieurs tragédies médiocres. Il couvrit, sous l'abondance des images, la pauvreté du genre descriptif; et parfois il s'élève à des sentiments nobles et vrais. S'il n'a ni le génie, ni la précision, ni la sobre douceur des anciens, il s'anime pourtant à la vue des champs; il possède la poésie du foyer, qui convient tant aux Anglais; et il abonde en détails vrais, en émotions naïves, en aspirations religieuses, en souvenirs de gloire nationale dans les armes, dans les voyages, dans la liberté.

Il devança ainsi une foule de poëtes méditatifs, en tête desquels se présente Arthur Young. Young atteignait déjà soixante ans lorsqu'ayant vu mourir sa femme, sa fille, le fiancé de sa fille, il tomba dans la mélancolie, et devint un poëte immortel en écrivant ses Nuits. Ce sont des lamentations continuelles, des réflexions fantastiques, et une ostentation de douleur quintessenciée, qui déchire inutilement en se prolongeant; bien plus, elle ennuie : car lorsque Young a saisi une pensée, l'heure qui sonne, l'hiver qui arrive, la feuille qui tombe, il la développe sous mille aspects avant de s'en détacher, avec une monotonie de pathétique philosophique qui ne va pas au cœur, parce que le fard s'y montre trop.

Nous avons eu à déplorer le sort des écrivains italiens du siècle de Léon X, réduits qu'ils étaient à mendier la protection des cours, et à la payer par des éloges. En Angleterre, le gouvernement était libre, et les rois ne protégeaient pas le savoir; mais l'aristocratie, qui avait affermi sa puissance, s'entourait de faste, et l'éclat de la littérature lui souriait comme tout autre. Les écrivains en réputation se résignaient à ce patronage, et s'en allaient mendiant des pensions, soit du ministre, soit des Mécènes, dans des dédicaces

Thompson.

1700-1748.

Young.

« AnteriorContinua »