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lait à la politique pour profiter des dons, qui toujours eurent une grande part dans les négociations orientales, et que la loi put restreindre, mais non prohiber.

Il n'y avait point de lois qui protégeassent les personnes, point d'autorité qui pût se faire respecter. L'enfance de l'industrie empêchait tout développement de la richesse publique ; et une population dont la langue, les usages, la religion étaient très-différents, était rançonnée par des gens que l'éloignement de leurs mandataires mettait à l'abri de toute responsabilité. Les jeunes Anglais cherchaient à se procurer là un emploi, pour amasser à la hâte quelques centaines de mille livres sterling, et retourner épouser en Angleterre la fille d'un pair, acheter un bourg-pourri, et faire figure.

Que pouvait faire, dans cet état de choses, un chef honnête homme? Lord Clive écrivait, le 6 mai 1766, à Pulz, gouverneur de Madras : « Croyez-vous que l'histoire offre un autre exemple d'un « homme ayant 40,000 livres sterling de revenu, femme, en«<fants, père, mère, frères, sœurs, et qui abandonne sa patrie «< et toutes les jouissances de la vie pour se charger d'un gouver« nement aussi corrompu, aussi insensé, aussi dénué que celui-ci « de principe, de raison et d'honneur ? >>

Cependant, sous son apparente richesse, l'Inde demeurait pauvre ; l'argent se trouvait dans la main d'un petit nombre de personnes qui approchaient les Anglais, et qui ne songeaient qu'à pressurer de plus en plus le pays. Une sécheresse désastreuse détruisit la récolte du riz, principale nourriture de ces contrées, et les spéculateurs accaparèrent le reste; tellement que les plus riches avaient peine à se procurer de quoi vivre. Au milieu de cette horrible famine, les liens de la société furent brisés; mais ceux de la superstition se maintinrent, car on n'osa tuer les animaux ; et le bœuf, la vache disputèrent impunément leur pâture à des gens qui mouraient de faim. Trois ou quatre millions d'habitants périrent au Bengale.

Avec un territoire si riche, si étendu, avec le privilége du commerce de l'Orient et des exactions insatiables, la compagnie fut cependant obligée de solliciter un secours d'un million et demi setrling, au lieu de payer à ses actionnaires le dividende de douze et demi pour cent qu'elle leur avait promis.

Elle avait tiré annuellement du Bengale 36 millions pendant dix années, sans compter 200 millions pillés par ceux qui savaient s'y prendre mais la source de tant de richesses était épuisée par les

Constitution de la compagnie.

guerres, par les révolutions, par les extorsions; les habitants échappés à la famine étaient dans la misère; et pourtant les directeurs, dont l'intérêt bien entendu aurait été de chercher à remédier à cet état de choses, déclaraient, dans leur lettre générale du mois de mars 1771, « que c'était le bon moment pour profiter, par tous les moyens possibles, des avantages que promettait la possession du Bengale. » Tant il est vrai que la spéculation mercantile est sans pitié.

Ces misères étaient ignorées en Angleterre, où ne parvenait que le bruit des victoires de Clive, victoires d'autant plus vantées qu'elles contrastaient avec les revers éprouvés en Amérique. Aussi Pitt disait-il aux chambres : « Nous avons perdu partout « gloire, honneur, réputation, excepté dans l'Inde, où un homme « qui jamais n'avait appris l'art de la guerre, qui jamais n'avait « été cité parmi nos généraux illustres, longtemps engraissés « de l'argent du peuple, s'est montré véritable général, a attaqué, << avec peu de ressources et une poignée d'hommes, une grande armée, et l'a vaincue. »

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Mais des bruits horribles couraient dans l'Inde sur son compte: il passait pour faire un ignoble monopole du bétel et du tabac, du riz même, l'unique aliment du pays, et pour commettre les abus de pouvoir les plus détestables. Ces doléances furent recueillies par Burgoyne, et il en porta plainte contre lui en Angleterre, où Clive, qui avait gouverné un demi-monde à son gré, sans compte à rendre à qui que ce fût, dut donner des explications à tous comme citoyen. Sa santé en fut altérée, et, consumé par une maladie de foie, il mourut à quarante-neuf ans, retiré de la société, et Jaissant un nom qui ne périra pas; car, sans autre maître que le besoin et les périls, il sut devenir grand général, grand administrateur, et s'arrêter à temps. L'histoire est encore en doute sur ses torts.

Le parlement songea alors à modifier la constitution de la compagnie, constitution dont il convient de donner ici connaissance.

Dans le principe les actionnaires se réunissaient de temps à autre pour leurs intérêts, et, en se séparant, ils chargeaient un comité d'expédier les affaires courantes. La plus faible somme donnait le droit d'y entrer; mais, après l'acte d'union, il fallut un capital de 5 livres sterling pour assister à l'assemblée des propriétaires, et de 2,000 pour faire partie du comité. Un prési

dent et un vice-président dirigeaient les délibérations des assemblées, où l'on élisait les directeurs annuels. Des convocations générales avaient lieu en mars, juin, septembre et décembre, et en outre chaque fois qu'il en était besoin, même à la requête de neuf actionnaires. La cour des vingt-quatre directeurs se réunissait quand elle le jugeait utile, et la présence de treize de ses membres suffisait pour qu'elle fût en nombre.

La compagnie était donc modelée sur la constitution anglaise. Les propriétaires d'actions correspondaient à la nation, leurs assemblées au corps électoral, et le président, assisté des directeurs, au roi et au parlement. Les directeurs se partageaient en dix comités de correspondance, de procédure, du trésor, de magasinage, de comptabilité, d'achats, de navigation, de commerce, sans compter un de l'intérieur et un de surveillance.

Dans les trois présidences de Bombay, de Madras et de Calcutta, indépendantes l'une de l'autre, l'autorité suprême appartenait à un gouverneur, assisté, pour l'administration, d'un conseil, dont les membres étaient pris à l'ancienneté, en nombre différent, parmi les employés civils de la compagnie : chaque décision était adoptée à la majorité des voix. Comme le président et les conseillers pouvaient cumuler plusieurs charges, ils se réservaient les plus lucratives; et, afin de les obtenir, on caressait le président, dont la volonté était ainsi toute-puissante.

La compagnie entretenait sur pied un corps de troupes nombreux, recruté en Angleterre ou parmi les déserteurs des autres colonies, et en outre des indigènes (cipayes), qui se plièrent à obéir à des officiers européens.

Quant au commerce, celui des étoffes, qui fut toujours le principal, était fait par un secrétaire (banyan), qui se transportait sur les lieux avec un caissier et quelques serviteurs armés. Il prenait au mois un certain nombre d'agents subalternes (gomastah), qui, se distribuant dans les différents postes, y fixaient leur demeure (cutcherry), où ils s'installaient avec des domestiques armés et autres gens de service (hirvanahs). Le gomastah traitait avec les courtiers (dallahs), et ceux-ci avec les picars, qui enfin négociaient avec les tisserands; il y avait ainsi entre ceux-ci et la compagnie cinq intermédiaires. Le tisserand, comme il arrive toujours, hors d'état d'acheter les instruments et les matières, et de se nourrir durant le travail, cherchait à se procurer des avances à

gros intérêts: lorsqu'il avait fini sa pièce, il la portait au banyan, qui la déposait dans un magasin. La saison finie et les commissions terminées, le banyan et ses agents examinaient chaque pièce, et la payaient au tisserand, avec un rabais de quinze, vingt et vingt-cinq pour cent sur le prix convenu: en un mot, le banyan était l'anneau de communication entre la race indigène et la race européenne. Les riches indiens achetaient ce titre à un prix élevé, pour se ménager l'occasion de trafiquer pour leur propre compte sous le nom anglais.

On accordait aux marchands libres, c'est-à-dire à ceux de la compagnie, le privilége de faire dans le pays le commerce sous leur propre nom, en prêtant serment d'habiter eux et leur famille dans le lieu désigné par la compagnie, et jusqu'au terme pres. crit, de n'écrire ni faire écrire rien qui concernât le commerce de la compagnie dans l'Inde, à d'autres qu'à la cour des direc

teurs.

Le système judiciaire fut organisé en 1726, avec quatre sortes de tribunaux : chaque présidence eut une cour du maire (major's court), une d'appel, une de première instance, et un tribunal des quatre sessions, qui réunissait les attributions des juges de paix et des juridictions inférieures. Deux tribunaux rendaient en outre la justice aux indigènes selon leurs lois, l'une au criminel et l'autre pour les affaires civiles; le président nommait ou destituait les juges à sa volonté. La compagnie voulut étendre son pouvoir sur tous les sujets britanniques qui se trouvaient dans l'Inde, bien qu'ils ne fussent point ses agents; et peu à peu elle obtint que quiconque s'y rendrait sans son autorisation serait renvoyé comme infracteur de la loi.

On avait déjà discuté en Angleterre le point de savoir si une compagnie privilégiée pour le commerce pouvait exercer la souveraineté, et si ses acquisitions devaient appartenir à la nation. Il paraissait étrange en effet que la qualité d'actionnaire dans une société conférât le droit de se faire conquérant et législateur. Le parlement s'abstint de prononcer, moyennant l'obligation prise par la compagnie de payer 400,000 livres sterling de plus que par le passé.

Cependant les guerres ruineuses et la mauvaise administration épuisaient la compagnie : chacun ne songeait qu'à piller; la dette s'éleva à 220 millions de francs, sans compter les dettes particulières

des quatre présidences, et cela lorsque le capital ne dépassait pas en tout 120 millions.

act. 3775.

Le parlement vint donc à son aide, en réduisant les dividendes Regulating, à six pour cent; il cessa de participer à la rétribution annuelle, et changea en outre l'organisation intérieure de la société. Un gouverneur général, nommé pour cinq ans, devait résider au Bengale, avec un conseil de cinq membres désignés par la compagnie et institués par la couronne. Les autres présidences relevèrent de ce fonctionnaire, et elles ne purent faire ni guerre ni traités sans son assentiment. Le droit que tout propriétaire d'une action avait d'abord de voter dans l'assemblée générale, fut restreint à ceux qui en auraient deux; la durée des fonctions des vingt-quatre directeurs fut fixée à quatre ans, et ces directeurs durent être renouvelés annuellement par quart.

Un tribunal suprême, composé de juges anglais, indépendants du gouverneur, devait décider en dernier ressort, d'après les coutumes britanniques; c'était là une contradiction fondamentale avec le droit national: les Bengaliens voyaient des gens armés traverser leur pays pour prêter main forte à l'exécution de sentences fondées sur des lois qu'ils n'entendaient pas, et pour opprimer les mindars, c'est-à-dire les anciens fermiers héréditaires, devenus alors grands propriétaires, et révérés comme le seul reste des anciens princes. Blessés dans leur religion et dans leurs habitudes, les Indiens s'opposaient souvent par la force à ces exécutions, et le sang coulait ; en sorte que le parlement se détermina à changer cet ordre de choses.

Le privilége fut continué à la compagnie pour un temps limité, à la charge de payer une rétribution de 400,000 livres sterling, et de transmettre tous ses actes au gouvernement.

Les marchands revenaient en Europe avec des richesses immenses que la renommée exagérait encore, ce qui fit monter énormément les actions (1); mais lorsqu'on veut que l'arbre donne du

(1) Le dividende de la compagnie, de 1744 à 1756, monta à huit pour cent; de 1756 à 1766, à six; en 1767, à six et un quart; puis, jusqu'à 1769, à dix ; en suite à onze, à douze, à douze et demi; enfin, en 1772, il baissa tout à coup à six pour cent.

Au 1er mai 1773, la situation financière de la compagnie était la suivante :

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