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de se voir déçus dans leurs spéculations, ils résolurent de lui donner un successeur; et le cabinet les seconda d'autant plus que les Anglais demandaient qu'il fût rappelé, comme ne faisant qu'attiser la discorde en Asie. Alors les cabinets de France et d'Angleterre s'unirent pour réconcilier les deux compagnies, et les mettre sur le pied d'une égalité parfaite de forces, de territoire et de commerce sur les côtes de Coromandel et d'Orissa, afin qu'elles pussent jouir chacune en paix de leurs possessions, sans se mêler des querelles des princes indigènes.

Dupleix était indigné que son successeur eût négocié avec les Anglais, au lieu d'employer les troupes qu'il avait amenées pour assiéger Tricinapali, dont l'acquisition aurait assuré aux colonies françaises et la domination et des avantages immenses. Lorsqu'on voit ce que les Anglais ont effectué depuis cette époque, on est porté à croire qu'il conseillait le meilleur parti; mais il lui fallut obéir. Il avait avancé 13 millions de ses deniers, plein de confiance qu'il était dans la victoire, et elle lui était arrachée. Ce fut donc en versant des larmes qu'il abandonna le théâtre de sa gloire.

Lorsqu'il fut de retour, on refusa de lui tenir compte de ses avances, et l'on intenta un procès à celui qui avait été sur le point de donner l'Asie à la France: « J'ai sacrifié, écrivait-il, ma jeunesse, «< ma fortune, ma vie, à combler de richesses ma nation en Asie; << des amis malheureux, des parents trop faibles ont consacré tout << ce qu'ils avaient à la réussite de mes desseins : actuellement je « suis dans la misère. Je me soumets à toutes les formes judiciai« res, et comme le dernier des créanciers je demande ce qui m'est « dû..... Mes services sont traités de fables, on se rit de ma demande, on me traite comme le dernier des hommes... Le peu

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qui me reste est séquestré, et je suis obligé de demander des délais « pour ne pas être jeté en prison. » Après avoir consumé ce qu'il possédait à solliciter une audience de ses juges, il mourut pauvre, lui qui avait eu à sa disposition les trésors de l'Inde.

La compagnie française possédait alors sur les côtes d'Orissa et de Coromandel Masulipatnam avec quatre districts, Pondichéry avec un vaste territoire, Karikal et l'île de Chéringam; possessions considérables, mais trop écartées pour se prêter mutuellement assistance. Le marquis de Bussy, lieutenant de Dupleix, avait soutenu l'influence française dans le Décan, et il eût été convenable de confier les choses à son expérience. Au lieu de cela, le cabinet

1753.

1754.

1763.

Lally.

1756.

français envoya le comte de Lally, Irlandais, officier plein d'honneur et de courage, mais imprudent, et qui n'avait ni le liant ni la modération qu'il aurait fallu dans des contrées éloignées et en des temps difficiles. Par instinct national, il détestait les Anglais, et disait que sa politique consistait dans ces quatre mots : Plus d'Anglais dans la Péninsule. Mais il ignorait les lois, les intérêts, la politique de l'Inde, et s'obstinait à ne pas écouter ceux qui auraient pu l'en instruire. Son adversaire Coote, au contraire, homme froid, résolu et modéré, savait influer sur tout ce qui l'environnait, et profiter des erreurs de l'ennemi.

Les premières entreprises de Lally réussirent bien. Après avoir repoussé les Anglais de toute la côte de Coromandel, il voulut les poursuivre dans le pays de Madras; mais l'argent et les hommes lui manquèrent. On lui proposa d'aller à cinquante lieues de distance exiger le payement de 13 millions dus par le radjah de Tandjaore. Il y alla en affrontant la famine, et assiégea la ville: mais il apprit que Pondichéry était menacé; et, retournant à la hâte, il repoussa les Anglais. Toujours à court de ressources, aucune de ses entreprises n'eut de résultat : il s'aliéna par la rigueur et par les menaces les administrateurs et les nombreux agents à qui les abus profitaient; l'armée elle-même se révolta contre lui, et les Anglais bloquèrent Pondichéry.

Dans ce pays les hautes classes répugnent au travail; les basses classes ont des professions déterminées, et elles se croiraient déshonorées si elles se livraient à une autre: ainsi le

paysan, s'il cultivait une terre non ensemencée par lui; le portefaix, s'il lui fallait tenir sous son bras un fardeau qu'il est dans ses habitudes de charger sur sa tête; le soldat, s'il creusait la tranchée qui doit l'abriter; le cavalier, s'il fauchait l'herbe pour son cheval. Il faut donc qu'une tourbe innombrable suive les armées; or Lally, n'ayant pu réunir les bras nécessaires, força, sans égard pour les castes et sans distinction de travaux, les habitants de Pondichéry à lui venir en aide, attelant au même canon le paria et le brahmine, ou leur faisant porter ensemble des fardeaux, ce qui était fouler aux pieds, d'une manière inouïe, l'ordre social et l'ordre religieux tout à la fois. Au milieu de la discorde, des révoltes, de la famine, Lally résista à des forces vingt fois supérieures aux siennes; mais enfin, réduit aux dernières extrémités, il rendit la place, et fut conduit prisonnier en Angleterre.

Avec la prise de Pondichéry finit la domination des Français dans l'Inde, où ils ne conservèrent que des factoreries insignifiantes, tandis que le Coromandel et le Bengale ajoutèrent immensément à la grandeur de l'Angleterre. A la paix de 1763, Pondichéry fut restitué à la France, mais en ruine et avec un territoire restreint; et bien que, rebâti ensuite, il fût bientôt peuplé de trente mille habitants, il ne put rivaliser avec Madras et Calcutta. Karikal, Chandernagor et les autres comptoirs dans le Bengale furent aussi recouvrés par la France, mais à la condition qu'elle n'y élèverait pas de fortifications.

La France avait aussi perdu en dix ans ses établissements d'A⚫ frique, une partie de ceux d'Amérique, et tout le Canada. Il en résultait une grande irritation; et comme il lui fallait un but, elle se déchaîna sur Lally, dont toutes les actions furent interprétées dans le sens le plus défavorable, et qu'on accusa même de trahison. En ayant été informé, il obtint de venir d'Angleterre pour se disculper; et il écrivit à M. de Choiseul : J'apporte ma tête et mon innocence. Le parlement fut appelé (chose absurde) à porter un jugement sur des campagnes et des siéges dans un pays et dans des conditions qu'il ignorait complétement. Lally, absous des crimes de lèse-majesté, fut condamné comme coupable d'avoir trahi les intérêts du roi et de la compagnie, et abusé de son autorité. Il fut en conséquence envoyé à la mort à l'âge de soixante-six ans, avec un bâillon dans la bouche, sans qu'il lui fût possible de se résigner à son sort. Sa condamnation fut plus tard cassée par Louis XVI (1).

(1) << Les erreurs de Lally furent nombreuses sans doute, et la perte de l'Inde fut consommée par sa main. Il faut avouer néanmoins qu'il suppléa, autant qu'il était possible, aux inconvénients de son caractère par une bravoure brillante, une ardeur indomptable, par un dévouement absolu aux intérêts du roi et de la patrie. Il inspirait aux Anglais même, au milieu de ses revers accumulés, une admiration mêlée de terreur. Si une série de fautes partielles pouvait équivaloir à un crime capital, il n'y aurait pas une personne revêtue d'une haute autorité qui pût se flatter d'être innocente. Si le mauvais succès seul fait le crime, indépendamment de l'intention, tout général vaincu devrait finir sur l'échafaud. Il n'est donc point étonnant que l'opinion publique ait réformé l'arrêt du parlement; et Voltaire se fit l'organe de l'opinion générale, quand il appela l'exécution de Lally un assassinat commis avec le glaive de la justice. D'Alembert dit un mot qui, cruel dans la forme, avait un grand fonds de vérité : Tout le monde était en droit de tuer Lally, excepté le bourreau. En effet, personne n'était moins propre que Lally au rôle qui lui était assigné. Il portait un caractère impétueux, violent, extrêmement irascible, là où il ne fallait que ménager et temporiser. Il

$769.

1766.

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Nous ne passerons pas ici sous silence le nom d'un de ces héros de la bienfaisance, dont les mérites pacifiques récréent l'âme au milieu du récit navrant des conquêtes. Pierre Poivre, de Lyon, qui se destinait aux missions étrangères de Saint-Joseph, étudia soigneusement les usages et les lois de la Chine et de la Cochinchine, où il devait être envoyé. Mais il fut pris par un vaisseau anglais; et, ayant perdu un bras par suite d'une blessure, il dut renoncer à l'état ecclésiastique. Lorsqu'il eut recouvré sa liberté, il parcourut avec attention les établissements européens dans l'Inde et en Afrique; puis, revenu en France avec beaucoup d'instruction, il proposa à la compagnie des Indes d'établir un commerce direct avec la Cochinchine, et de transporter dans les fles de France et de Bourbon les arbres à épices, réservés aux Moluques. Envoyé dans ce but, il obtint en effet d'établir un comptoir français à Faï-fo; puis, surmontant les difficultés soulevées par la jalousie des Hollandais, qui punissaient de mort l'extraction d'un arbuste exploité exclusivement par eux, et répandaient de fausses cartes géographiques pour égarer les navigateurs, il parvint à leur soustraire dix-neuf pieds de noix muscade. Mal secondé par les directeurs des colonies, alors en discorde, il alla d'ile en ile, traitant avec les princes, et en obtenant des girofliers, du riz sec, des arbres à poivre et des cannelliers, qu'il distribua entre les colons. Les embarras de la compagnie à cette époque diminuèrent les résultats de sa constance; mais lorsque, après sa dissolution, il fut nommé intendant des colonies, il s'employa activement à en réparer les désastres, et à réaliser les nobles projets de la Bourdonnais.

Le Bengale est la province la plus orientale du Grand Mogol : arrosé par le Gange, il produit avec une extrême abondance le riz

était dominé par une seule idée, quand les intérêts auxquels il se trouvait mêlé étaient divers et compliqués. Il ne voulait agir que d'après ce qu'il avait vu ou fait ailleurs, en Allemagne, en Espagne, dans les Pays-Bas, où les circonstances, les personnes, les choses, étaient très-différentes. Il méprisait et opprimait les Indiens, tandis qu'il fallait avant tout se les concilier et les séduire; expérimenté dans la guerre méthodique de l'Europe, il portait la rigueur systématique d'un général allemand où il aurait fallu l'esprit heureux et souple d'un Clive et d'un Bussy... Le destin s'était promis une sanglante ironie en l'appelant sur un théâtre qui n'était pas fait pour lui. Un loyal gentilhomme, un brave soldat, un habile officier monta sur l'échafaud, atteint de la triple accusation d'ignorance, de lâcheté et de trahison. Si l'histoire peut expliquer cette terrible catastrophe, l'historien ne saurait la raconter sans une émotion profonde. » BARCHOU De PenHoen, liv. VI.

et toute espèce de fruits. Souïa-al-Daoula, successeur d'Allaverdi dans le Bengale, Behar et Orissa, détestant cordialement les Anglais, surprit Calcutta, leur principale factorerie, peut-être à l'instigation des Français; et cette place fut obligée de se rendre. Comme il trouva peu de marchandises et d'or, il crut qu'on les avait cachés; et, pour obliger les prisonniers à révéler leurs trésors, il les enferma dans l'Enfer noir, cachot de dix-huit pieds sur onze, qui ne recevait de lumière que par deux ouvertures d'un seul côté. Aussi, dans l'espace de douze heures qu'ils y restèrent, cent vingt-trois périrent suffoqués. Les Anglais de Madras frémirent à cette nouvelle; et l'amiral Charles Watson, dirigeant aussitôt sa flotte dans le Gange, s'avança sur Calcutta, qu'il reprit.

Robert Clive, fils d'un gentilhomme peu aisé du Shropshire, avait montré dès son enfance beaucoup d'intrépidité. Ayant passé aux Indes, il y éprouva les contrariétés réservées à tous les caractères énergiques; enfin, s'étant jeté dans la carrière militaire, pour laquelle il n'avait pas été élevé, il se forma à l'école des difficultés (1). Ce nouveau Cortès possédait, comme le conquérant du Mexique, la force de résolution, la promptitude à prendre un parti, la rapidité à exécuter; il savait inspirer son enthousiasme aux soldats, imposer aux nations étrangères, agir de son propre mouvement, et pourtant soumettre à sa patrie ce qu'il avait conquis sans elle. Mis à la tête des troupes, Il ne convient pas de se tenir sur la défensive, dit-il; attaquons! et il livra bataille au farouche nabab, qui reçut le coup mortel. Son général Mir Djaffier lui ayant succédé, paya 2 millions de livres sterling aux Anglais, 230,000 à lord Clive, et une pension de 60,000 livres. Mais les vainqueurs ne surent pas réprimer leur cupidité; et la condescendance du nabab amenant sans cesse de leur part de nouvelles exigences, il dut leur abandonner, pour sûreté des payements auxquels il s'était obligé, trois districts voisins de Calcutta, qui furent le noyau de leur futur empire. Puis, lorsqu'il commença de se refuser à leurs prétentions, ils le renverserent, en lui substituant Cossim Ali-Khan, qui leur donna deux autres districts, outre des sommes immenses aux fauteurs de la révolte. Sentant pourtant enfin ce que sa position avait de honteux, il voulut se soustraire au joug: dans cette intention, il augmenta

(1) Voy. sa vie, écrite par sir John Malcolm.

1756.

Clive.

1725-17760

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