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« de l'Armada, frémir d'indignation. En vain il aura défendu la re«ligion et la liberté de la Grande-Bretagne contre la tyrannie de « Rome, si des horreurs plus coupables que celles de l'inquisition « sont introduites et consacrées parmi nous. Vous envoyez des can« nibales, altérés de sang, contre qui?... Contre vos frères protes<< tants. Que l'Espagne, qui fit marcher dans ses rangs des chiens « de guerre,... ne se vante plus de sa suprématie en fait de bar« baries, puisque nous avons déchaîné d'autres dogues contre nos compatriotes!... Que les prélats apprêtent une cérémonie lus¬ «trale pour purger notre pays d'une telle souillure, d'un crime si « monstrueux ! Milords, je suis vieux et épuisé, et je n'en saurais « dire plus; mais je n'aurais pu ce soir reposer ma tête sur l'oreiller, « si je n'avais exhalé mon indignation. ›

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Lord North, qui avait poussé le flegme jusqu'à feindre de dormir pendant les plus violentes philippiques, s'émut en réalité, et envoya des commissaires en Amérique pour amener à tout prix une réconciliation; mais il était trop tard. Les Américains savaient combien il est dangereux de se fier au pardon d'un maître irrité, et ils avaient goûté de l'indépendance.

La guerre étant donc décidée, Keppel, grand capitaine, quoique peu en faveur à la cour, fut choisi pour la conduire par mer.

Le congrès, puisant de la force dans le danger, conféra une autorité dictatoriale à Washington, fit des emprunts, et, surmontant les rancunes nationales, songea à rechercher l'alliance des Français. Benjamin Franklin et Arthur Lee furent envoyés pour la négocier. Ils trouvèrent l'Europe, et surtout la France, pleines d'admi ration pour les simples vertus d'un peuple nouveau, qui, jaloux de ses droits, résistait avec des masses improvisées à ceux qui faisaient trembler l'Europe. Les classiques les comparaient aux Fabius et aux Curius; les philanthropes lisaient dans la charte de l'in dépendance un manifeste contre les tyrans, et dans leur réussite la possibilité d'accomplir tout ce qu'ils espéraient; tous les nobles cœurs battaient pour cette guerre, qui seule, parmi toutes les luttes politiques et dynastiques de ce siècle, répondait aux idées dont la vogue était alors croissante. En outre Franklin, déjà illustre par ses découvertes en physique, était admiré pour ses manières et pour ses vêtements, d'une extrême simplicité. Les philosophes, directeurs de l'opinion et dispensateurs de la gloire, le comptaient parmi les leurs, et popularisaient sa renommée; et lui, plein de finesse sous

son air débonnaire, riait de leurs exagérations, tout en les mettant à profit.

La France désirait effacer la honte de la guerre de sept ans; les philosophes la poussaient à propager et à soutenir les principes généreux. Tout le monde s'y réjouissait de l'humiliation d'une puissance rivale. Mais les finances étaient en mauvais état, et il était peu séant à un roi d'encourager la rébellion. Turgot représentait qu'il ne convenait pas d'aider les colonies, attendu que l'Angleterre, pour les dompter, serait obligée d'épuiser ses forces, en même temps que le moment n'était pas éloigné où les métropoles seraient contraintes d'abandonner leurs possessions lointaines et de tirer parti des relations commerciales. Cependant le cabinet de Versailles louvoyait. Il déclarait les armateurs et les captures exclus du royaume, mais il les laissait entrer; il ne reconnaissait pas publiquement les ambassadeurs, mais il les écoutait en particulier; il permettait de plus de transporter en Amérique des armes et des vivres.

Néanmoins après la défaite de Burgoyne, les envoyés américains demandèrent au cabinet français une décision catégorique : autrement, ils annonçaient l'intention d'offrir un arrangement à l'Angleterre, et de s'allier avec elle contre la France. Il ne restait donc à cette puissance qu'à choisir entre deux guerres, l'une de gloire, l'autre où il n'y avait qu'à perdre. Mais, au lieu de reconnaître ouvertement l'indépendance des Américains, et de déclarer avec eux la guerre à la Grande-Bretagne, les appréhensions pusillanimes de Louis XVI firent déguiser le traité d'alliance sous l'apparence d'un traité de commerce. La France ne stipula géné. reusement aucun avantage pour elle, sauf la promesse que les Américains ne traiteraient jamais avec les Anglais pour se remettre sous leur sujétion. Elle leur avança même jusqu'à 18 millions en argent, remboursables seulement à la paix, sans intérêts. Elle garantit un emprunt contracté par eux en Hollande; mais ce qui était nouveau et important pour toute l'Europe, c'est qu'elle légitimait ainsi le principe de l'insurrection.

Déjà un certain nombre de volontaires étaient passés de France en Amérique sous le jeune marquis de la Fayette, qui abandonnait, pour aller combattre, les droits aristocratiques au milieu desquels il avait graudi, les loisirs de la fortune, et une jeune épouse d'une grande famille et de grandes vertus. Quelques Polonais allèrent aussi verser leur sang pour la liberté, qu'ils avaient perdue dans

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leur patrie. Cependant ces volontaires, ainsi que ceux d'Irlande et d'Allemagne, pleins de forfanterie et peu disposés à la subordination, coûtaient beaucoup, sans être d'un grand avantage. Aussi la venue de la Fayette fut-elle d'abord peu agréable. Il écrivit donc au congrès Mes sacrifices me donnent droit à deux grâces: l'une, de servir à mes frais; l'autre, de commencer à servir comme volontaire. Il est certain que cette intrépide jeunesse était moins utile encore par sa valeur, que par l'opinion qui en résultait que la cause des colonies avait l'approbation de l'Europe. Enfin, Louis XVI expédia ouvertement des troupes sous les ordres du comte d'Estaing, et fit sortir la flotte.

L'Espagne avait été, dans le principe, uniquement retenue par la crainte que l'exemple ne se propageât dans ses colonies; mais ensuite, le désir de la vengeance l'emportant sur cette considération, elle se présenta dans la querelle comme médiatrice, et offrit à l'Amérique de se joindre à elle, à la condition qu'elle lui assurerait la possession des Florides, qu'elle renoncerait à la pêche de TerreNeuve, à la navigation sur le Mississipi, et aux territoires situés sur la rive orientale de ce fleuve. La première condition avait peu d'importance; les deux autres furent refusées. En conséquence l'Espagne ne voulut pas reconnaître l'indépendance de l'Amérique; vengeance puérile et insignifiante, puisqu'elle déclara la guerre à la GrandeBretagne, et qu'elle envoya sa flotte se joindre à la flotte française, commandée par le comte d'Orvilliers. Les forces combinées montaient à soixante-six vaisseaux de ligne; c'était la flotte la plus forte qui jamais eût menacé l'Angleterre : en même temps soixante mille hommes dirigés sur les côtes de Bretagne et de Normandie se tenaient prêts pour une invasion, d'autant plus redoutée que les troubles de l'Irlande étaient un sujet d'inquiétude à l'intérieur.

Mais les maladies décimèrent la flotte, et aucun fait digne d'aussi grands préparatifs ne vint à s'accomplir. Pendant ce temps les An. glais, irrités de l'alliance des rebelles avec les Français, déployèrent tout le patriotisme et toute la persistance propre aux aristocraties; ils renoncèrent aux luttes de parti, et offrirent au gouvernement de l'argent et des vaisseaux. La proposition de reconnaître l'indépendance des colonies fut de nouveau hasardée dans les chambres; mais Chatham, qui, rempli de haine contre la France, voulait l'humiliation de cette puissance, et qui ne portait intérêt à l'Amérique qu'autant qu'il la considérait comme Anglaise, cessa de la défen

dre quand l'espoir d'une guerre avec la France brilla à ses regards. Usé par les années et par son ardente énergie, il se présenta au parlement, soutenu par son fils Guillaume : « Je me trouve heureux,

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dit-il, que la tombe ne se soit pas encore fermée sur moi, pour pouvoir élever la voix contre le démembrement de cette antique « monarchie. Comment a-t-on osé conseiller un pareil sacrifice? « Obscurcirons-nous la gloire de la nation par un lâche abandon « de ses droits et de ses possessions les plus précieuses? Un peuple qui était, il y a dix-sept ans, la terreur du monde, descendra<< t-il aujourd'hui jusqu'à dire à son implacable ennemie : Prenez tout, pourvu que vous nous donniez la paix? Si nous sommes « forcés de choisir entre la paix et la guerre, et si la paix ne peut « être maintenue avec honneur, pourquoi ne pas commencer la << guerre sans hésiter? Je ne sais pas bien quelles sont les forces du « royaume; mais il en a certainement assez pour défendre ses justes droits. Et puis, milords, toute situation vaut mieux que le désespoir. Que l'on fasse du moins un effort, et, s'il faut tomber, << tombons en hommes de cœur. »

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C'était ainsi que s'exprimait lord Chatham d'une voix affaiblie ; mais l'effort lui coûta la vie : une attaque d'apoplexie, qui lui fit perdre connaissance au milieu de ses collègues, l'enleva peu de jours après.

La guerre se réduisit d'abord à des engagements maritimes, sans s'étendre sur le continent. Dans vingt combats qui furent livrés, l'Angleterre ne perdit pas même un vaisseau de ligne. La plupart des engagements laissèrent la victoire indécise, sauf celui qui eut lieu entre la Dominique et les îles Saintes (12 avril 1782), où Rodney s'empara de cinq vaisseaux de ligne, y compris celui que montait l'amiral de Grasse, qui fut fait prisonnier.

Cependant l'Espagne faisait vivement la guerre. Elle recouvra les Florides, assiégea Gibraltar; et, bien que Rodney s'illustrât en jetant des approvisionnements dans cette place, et qu'il ruinât la marine ennemie au cap Saint-Vincent, elle s'en dédommagea en s'emparant d'un convoi anglais dirigé sur les Indes, d'une valeur de 18 millions. Minorque, qui servait de refuge aux armateurs anglais, fut aussi assaillie sous les ordres du duc de Crillon (1781); et le fort Saint-Philippe, qui passait pour imprenable, fut obligé de capituler. Cependant le général Elliot défendait intrépidement Gibraltar, et, par une invention nouvelle, brûlait les batteries

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flottantes, que l'on croyait à l'épreuve du feu. Il aurait toutefois été forcé de céder, si l'amiral Howe ne fût venu à son secours.

Les puissances du Nord se déclarèrent neutres. Comme la Hollande venait déloyalement en aide aux Français, les Anglais lui déclarèrent la guerre, coup d'audace qui étonna; et, saisissant avec joie l'occasion de ruiner un commerce rival, ils ravagèrent ses établissements aux Antilles, à la Guyane, au Malabar et sur la côte de Coromandel.

L'alliance de la France avait ravivé le courage des Américains, et Philadelphie avait été délivrée : cependant ils souffraient cruellement des ravages que les Anglais causaient à leurs possessions, où ils se conduisaient en sauvages. Les finances étaient en désordre, les billets discrédités, et par suite la probité avait disparu. Les magistratures étaient aux mains de gens dont l'exagération faisait tout le mérite. Le congrès était impuissant, comme il arrive des gouvernements nouveaux, et l'armée, réduite à vivre de rapines. Puis l'ancienne haine contre les Français revivait chez les Américains, qui n'oubliaient pas leur origine britannique ; et comme on trouvait qu'ils ne faisaient pas assez, il en résultait des démêlés continuels. Les royalistes, qui abondaient dans les colonies méridionales, la Virginie exceptée, se réjouissaient des maux de la patrie, et les châtiments ne faisaient qu'aigrir les esprits.

L'arrivée des renforts français remit Washington en état de reprendre l'offensive; et il brava les trahisons, les dissidences, les révoltes, tandis que les Français, sous la conduite du marquis de Bouillé, obtenaient de brillants succès dans les Antilles. Lord Cornwallis s'empara des deux Carolines, et pénétra dans la Virginie; mais Washington, la Fayette et Rochambeau le prirent entre eux, et le contraiguirent à se rendre prisonnier avec toute son armée.

Ce coup terrible fit tomber le ministère North, et l'Angleterre se déclara lasse d'une guerre où toutes les victoires amenaient des désastres, où tous les sacrifices étaient une cause de ruine. Déjà North avait négocié une paix séparée avec la France : le ministre Rockingham la conclut avec la Hollande et la France, puis aussi avec les Etats-Unis. Enfin, le parlement reconnut l'indépendance Paix de Paris, américaine. Les préliminaires furent alors arrêtés à Paris, où les républicains obtinrent plus que des espérances; car l'Angleterre, ne pouvant tenir les colonies dans la sujétion, reconnut qu'il fallait leur accorder au delà de ce que désiraient l'Espagne et la France.

3 septembre

1783,

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