Imatges de pàgina
PDF
EPUB

armateurs. Les missionnaires catholiques cherchaient à s'insinucr partout sous la protection des ambassadeurs. Ils pénétraient dans les bagnes, consolaient les moribonds, assistaient les pestiférés, malgré les contrariétés que leur faisait éprouver le synode grec. Ils établissaient des écoles, où ils attiraient les enfants, les instruisant sans opposition à Smyrne, et surtout dans les endroits où les Grecs avaient dominé autrefois. Les parents venaient parfois assister à l'enseignement avec leurs enfants; les pompes de l'Église catholique leur plaisaient, et ils ornaient de fleurs et de feuillages les processions du saint sacrement.

L'amour de la patrie et de la religion survivait indestructible dans l'âme des Grecs, et il se manifestait soit par de fréquents soulèvements, soit par la résistance continuelle qu'opposaient, les armes à la main, un certain nombre des leurs, réfugiés sur les montagnes. A cette heure Grégoire Papaz-Ogli (fils de prêtre), de Larisse, qui était au service de la Russie, exalté par de brillantes espérances, se chargea d'insurger le pays. Catherine, sous feinte de spéculations commerciales, expédia deux bâtiments, les premiers sous pavillon russe que l'on vît dans la Méditerranée, afin de fournir des secours à Papaz-Ogli; quelques-uns de ses émissaires pénétrèrent dans le Monténégro, sous prétexte de vérifier l'identité du prétendu Pierre III.

Panaioti Benaki, primat de Calamata, et Mauro Mikali, chef des Maïnotes, s'entendirent avec Grégoire Orlof, dont les deux frères, Théodore et Alexis, faisaient des préparatifs en Sardaigne, à Livourne, à Port-Mahon, pour procurer, à la flotte qu'on équipait secrètement dans la Baltique, sept vaisseaux de ligne, quatre frégates et quelques bâtiments de transport. Cette flotte mit en effet à la voile, mais dans un état si misérable, qu'elle fut pour l'Angleterre, où elle aborda en premier lieu, un sujet de risée. Mais elle s'y approvisionna; et des officiers anglais en prirent le commandement, notamment le lord écossais Elphinston. Puis lorsque Moustapha, trompé, se fortifiait sur le Danube, et que l'Europe, abusée comme lui, croyait ces forces destinées à agir contre la Suède, elles débarquèrent à Coron, sous le commandement de Théodore Orlof. Aussitôt aux deux cent vingt hommes mis à terre se réunirent les Maïnotes, qui, habitués au pillage, saccagèrent Misitra d'une manière horrible. Eu même temps les Russes prenaient Navarin (Pylos ), en proclamant que Catherine protégeait la foi grecque ; et ils met

1770.

5 juillet.

taient le siége devant Modon et Coron. Battus sur terre, ils furent victorieux sur mer dans la journée extraordinaire de Gesmé, où la flotte ottomane fut brûlée dans le port, et la ville ruinée par l'explosion des poudres.

C'était chose nouvelle qu'une victoire navale des Russes. S'ils eussent attaqué les Dardanelles, peut-être s'emparaient-ils de Constantinople. En effet, l'amiral Elphinston entra dans le canal, fit battre les tambours et préparer le thé; mais la jalouse opposition d'Orlof le décida à se retirer. Moustapha fut soutenu par HassanBey, vaillant homme de mer, qui fit revivre la gloire de Barberousse, de Dragut, d'Occhiali, de Mezzomorto; mais il y avait trop de disproportion entre les deux partis dans les connaissances militaires. Le baron de Tott, gentilhomme français, d'origine hongroise, obtint la confiance de Moustapha en lui présentant une carte de l'empire russe et du théâtre de la guerre ; il fut chargé par lui de réformer l'artillerie turque et de fortifier les Dardanelles, menacées par les Russes. L'étonnement du Grand Seigneur fut vif, en le voyant accoutumer les artilleurs à tirer trois coups de canon à la minute. Le baron de Tott opéra encore d'autres réformes; mais, dégoûté du caractère de ce peuple et de son gouvernement, il abandonna le pays.

Si nous en croyons Frédéric II, « les généraux de Catherine ignoraient la tactique et la castramétation; ceux du sultan en savaient moins encore; il faut donc, pour se faire une idée de cette guerre, se figurer des borgnes s'escrimant à coups de bâton avec des aveugles. » Ces campagnes parurent, en effet, couvrir de gloire les armes russes; et les flatteurs, dont Catherine eut toujours un grand nombre, les portèrent aux nues (1).

(1) Le prince de Ligne dit, en parlant de la manière de combattre des Russes et des Turcs : « Je vois les Russes, à qui l'on dit, Soyez ceci et cela, et ils le sont. Ils apprennent les arts libéraux comme le médecin malgré lui prit ses degrés. Ils sont fantassins, marins, chasseurs, prêtres, dragons, musiciens, ingénieurs, comédiens, cuirassiers, peintres, chirurgiens. Je vois les Russes qui chantent et dansent sur la tranchée, où ils ne sont jamais remplacés, et cela au milieu de la fusillade, des coups de canon, de la neige et de la fange; alertes, polis, attentifs, respectueux, obéissants, ils cherchent à lire dans les yeux de leurs officiers le commandement, pour le prévenir. Je vois les Turcs, qui pas. sent pour ne pas avoir le sens commun à la guerre, et qui la font avec une espèce de méthode, se disperser afin que l'artillerie et le feu des bataillons ne puissent les atteindre; visant à merveille et tirant toujours sur des objets réunis, ils masquent par ces décharges leur espèce de manœuvre, cachés dans tous les enfoncements, dans le creux ou sur les branches des arbres; puis ils s'avancent

Alors tous les Grecs se soulevèrent. Des Russes s'avancèrent dans la Valachie, et d'autres en Crimée, où les Tartares se déclarèrent indépendants.

Ali-Boulat-Kapan assistant, à l'âge de quinze ans, à une bataille entre les Turcs et les Abyssins, fut fait prisonnier par ces derniers, et vendu au Caire. Grâce à son habileté, il s'éleva de grade en grade, au point de se trouver l'un des vingt-quatre beys qui gouvernaient l'Égypte. S'étant débarrassé de ses collègues par des assassinats, il les fit remplacer pár vingt de ses affidés, et avec leur appui il s'empara de la domination du pays, sous le titre d'Ali Bey. Il continua à payer le tribut à la Porte; mais lorsqu'elle se trouva engagée dans la guerre avec les Russes, il se déclara indépendant, et envoya Méhémet-Bey, dit Aboudah, conquérir la Syrie à la tête de quatre-vingt mille hommes. Ce lieutenant se laissa vaincre, et se révolta contre son ami ; et de là naquit une guerre civile. Ali, battu près du Caire, se réfugia avec ses trésors à Gaza, où il fut protégé par Daher-Omer, scheik de Saint-Jean d'Acre, avec l'aide duquel il conquit Joppé. Il se mit ensuite en marche pour recouvrer le Caire; mais Aboudah le défit et le tua.

Cependant la Russie ne savait pas profiter des troubles qu'elle avait excités. Frédéric II ne jugeait pas opportun de contribuer à son agrandissement en lui fournissant de l'argent. Vienne était jalouse de ces puissances qui lui avaient servi d'instruments; et comme elle avait toujours convoité la Moldavie et la Valachie en qualité de dépendances de la Hongrie, elle déclara qu'elle ne consentirait jamais à les laisser passer à la Russie. Kaunitz aurait même voulu conclure une alliance avec la Turquie; mais, contrarié par la dévotion de Marie-Thérèse, il ne put que conseiller cette alliance et en soutenir l'utilité. Il fut donc signé à Constantinople un traité par lequel la cour de Vienne s'engageait envers cette puissance à la délivrer des Russes par les négociations et par les armes, moyennant

par quarante ou cinquante, avec un drapeau qu'ils courent planter lestement en avant, pour gagner du terrain; ils font tirer les premiers le genou en terre, et les font passer ensuite derrière pour recharger leurs armes, en se succédant ainsi toujours, jusqu'à ce qu'ils courent de nouveau se porter en avant comme un tourbillon avec leur drapeau. Ces étendards sont une espèce de niveau pour empêcher qu'aucune tête de ces bandes ne vienne couvrir l'autre. Imaginez-vous des hurlements horribles et des cris de Allah qui encouragent les musulmans et épouvantent les chrétiens, et, pour surcroît, des têtes coupées qui font un effet terrible. »

T. XVII.

19

1741.

1772

1773.

nardji. #774.

certains possessions qu'elle obtiendrait en retour, et une avance de quatre cent mille florins (1). L'Autriche adressa, en effet, quelques notes à la Russie; mais elle s'apaisa dès qu'elle eut obtenu sa part dans le démembrement de la Pologne, et assuré l'indépendance de la Moldavie et de la Valachie, laissant dans l'embarras la Porte, qui avait déjà payé un cinquième de la somme stipulée.

La guerre continua donc. Les Russes voulaient rendre aux Tartares de Crimée l'indépendance dont ils jouissaient sous les Gengiskhanides, avant d'être soumis par Mahomet II en 1471, et faire Paix de Kai- de la Morée une principauté pour Orlof. En effet, lors de la paix conclue à Kainardji entre la Porte et la Russie, après sept années de guerre, les Tartares de Crimée, de Boudjiak et de Kouban furent reconnus libres, sous la seule obligation de révérer comme khalife le Grand Seigneur, qui enverrait au nouveau khan la pelisse de zibeline, le turban et le sabre, nommerait les juges, et dont le nom serait rappelé dans les prières des mosquées. La navigation, les voyages, les pèlerinages et le commerce devaient être libres sur le territoire des deux empires. La Russie restitua la Bessarabie, la Moldavie et la Valachie, à la condition toutefois que ces provinces seraient bien traitées; il en fut de même des îles de l'Archipel. Mais elle conserva plusieurs forteresses sur le Dniéper et en Crimée, avec la ville d'Azov et les deux Kabardies. Elle dut évacuer la Géorgie et la Mingrélie, sans que la Porte pût y percevoir de tribut, et en enlever des enfants et des jeunes filles. Cet article ne fut point exécuté; mais il suffisait à Catherine qu'il fût écrit, afin qu'il lui valût les applaudissements des philanthropes.

La Turquie perdait dans les Tartares son boulevard au nord, ainsi que le moyen de nuire aux chrétiens; et ceux qui avaient été jusque-là ses défenseurs pouvaient devenir ses ennemis. En outre, les Russes ne dissimulaient pas l'intention de s'emparer de la mer Noire, ce qui les rendrait maîtres de Constantinople, par la possibilité de l'affamer à leur gré. La paix ne pouvait donc pas durer, ni les conventions qui la réglaient être observées; aussi les démêlés se reproduisirent-ils fréquemment.

La Turquie avait dû encore, pour conserver l'amitié de l'Autriche, lui céder la Bukowine. Elle fut aussi troublée à l'intérieur par

(1) Ferrand ne voit là qu'une ruse de l'Autriche pour soutirer de l'argent à la Porte; il est cependant certain que le cabinet de Vienne fit alors quelques propositions à la Russie. Voy. Schoell.

différents désastres. Le naufrage de soixante et dix bâtiments chargés de grains pour Constantinople excita plusieurs séditions, où les. femmes surtout se sigualèrent par leur furie. Le pacha de Bagdad refusa le tribut, et fit tomber la tête du capidjy envoyé pour prendre la sienne. Le capitan-pacha, qui parcourait l'Archipel pour percevoir le tribut annuel, ayant débarqué à Stanco pour assister à la prière du vendredi, soixante-six esclaves chrétiens s'emparèrent du vaisseau amiral, et le conduisirent à Malte. L'empire fut consterné en apprenant que l'étendard sacré, qui portait le sabre à deux tranchants d'Ali et les noms des quatre disciples du prophète, était aux mains des ennemis ; mais le roi de France le racheta, et le rendit au sultan.

La naissance d'un héritier du trône, refusée aux prédécesseurs de Moustapha, fut fêtée par dix jours de licence, sans distinction entre les musulmans et les Grecs, entre les juifs et les Francs. Mais comme Sélim n'avait que douze ans quand son père mourut, Abdoul-Hamid succéda à Moustapha, après avoir passé quatorze ans dans le sérail. C'était un prince d'un bon naturel, mais ignorant et faible; il trouva les caisses tellement vides, qu'il ne put faire aux troupes la libéralité habituelle; et ce fut le premier exemple d'une pareille omission.

Catherine n'avait laissé respirer la Turquie que pour se préparer à la guerre; et plus cette puissance montrait de condescendance, plus elle élevait ses prétentions, nourrissant la pensée de chasser les musulmans de l'Europe, et de s'attirer les louanges des philosophes, comme libératrice de la Grèce. Le nom ottoman était un sujet de risée à Pétersbourg, où tous les arts célébraient la chute de l'islamisme et la résurrection des Grecs. Le second fils de Paul Ier reçut au baptême le nom de Constantin, et on lui donna une Grecque pour nourrice.

Cependant Catherine poursuivait sourdement le cours de ses usurpations ses ambassadeurs propageaient les idées de révolte; tout hospodar rebelle trouvait protection près d'elle; elle prétendait même s'immiscer dans les affaires intérieures de la Turquie, et lui imposer l'éloignement des officiers qu'elle n'avait pu corrompre. Héraclius, seigneur de Kakheth et de la Kartalinie, ainsi que Salomon, seigneur de la Géorgie et de l'lméréthie, furent amienés, tant par promesses que par menaces, à faire hommage à la czarine pour les pays de leur obéissance.

Abdonl-
Hamid.

1774.

« AnteriorContinua »