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Parmi les seigneurs polonais, les uns se donnèrent la mort, d'autres affrontèrent la pauvreté, en laissant confisquer leurs biens par les envahisseurs, plutôt que de consentir à leur prêter hommage. Les autres remplirent l'Europe de plaintes et d'appels à la postérité (1).

Ainsi se trouvait rompu l'équilibre établi par la paix de Westphalie. Les trois puissances prédominaient, et l'Angleterre s'agrandissait d'un autre côté, de telle sorte que la France se trouvait repoussée au second rang; et ce fut un effroi général dans toute l'Europe en voyant la force considérée comme l'unique mesure du droit, ce qui compromettait la sûreté de tout le monde.

Stanislas, qui, tout en se souvenant qu'il était redevable du trône à Catherine, n'oubliait pas qu'il était Polonais, profita de ce calme momentané pour rétablir l'ordre dans l'armée et dans les finances; mais on gouverne plus avec le caractère qu'avec le talent: la noblesse, frémissante, n'attendait que l'instant de tenter de nouveau la fortune, et l'espoir qu'elle nourrissait fut flatté par le successeur de Frédéric, dont le ministre, le comte de Herzberg, paraissait résolu à lui rendre l'indépendance. Les Polonais augmentèrent donc leur armée; et, malgré les réclamations de la Russie,

(1) Voltaire applaudissait pourtant à ces infamies. Il écrivait à Frédéric : « On prétend que c'est vous, sire, qui avez imaginé le partage de la Pologne; « je le crois, parce qu'il y a là du génie, et que le traité s'est fait à Postdam. » A Catherine, le 29 mai 1772: « Nos don Quichottes welches (les Français) ne << peuvent se reprocher ni bassesse ni fanatisme; ils ont été très-mal instruits, « très-imprudents et très-injustes... Mon héroïne prenait, dès ce temps-là, un << parti plus noble et plus utile, celui de détruire l'anarchie en Pologne, en << rendant à chacun ce que chacun croit lui appartenir, et en commençant par « elle-même. Il chantait les rois qui partagent le gâteau, et il écrivait encore à Catherine : « Le dernier acte de votre tragédie paraît bien beau, » et il se disait heureux « d'avoir vécu assez longtemps pour voir le grand événe- Lettres publiées par Brougham en 1845.

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Pour connaître l'esprit du temps, il est bon de consulter les Fastes universels, etc., par M. BURET DE LONGCHAMPS, avec les additions de M. LEJEUNE; Bruxelles, 1825. Ce dernier, après avoir fait l'éloge des rois philosophes, et particulièrement du «< plus grand homme de cette époque, » est forcé de se donner lui-même un démenti en disant : « Le cœur souffre et se serre en voyant ces « deux princes, si dignes par leur philosophie de l'admiration de la postérité, « se concerter, se liguer pour fouler aux pieds les lois de la morale, pour faire «< céder à la force, à la violence, la justice et les droits les plus sacrés, dépouil<«<ler une nation de ses possessions, sans autre motif que le désir immodéré de «<leur agrandissement. »

1789.

1790.

ils convoquèrent une diète permanente pour mieux régler les affaires de l'intérieur. Ils abolirent le conseil permanent, et travaillèrent à une constitution nouvelle d'après les idées qui venaient de s'éveiller en France, autant que cela était possible dans un pays où il n'y a point de tiers état, et où le paysan est serf.

Les puissances sollicitaient l'alliance de la Pologne, maintenant qu'elle était devenue sage; mais Frédéric-Guillaume obtint la préférence, du moment où le marquis Luchesini, son ministre, eut révélé l'offre faite à la Prusse par la Russie de lui céder toute la Grande-Pologne, si elle restait neutre dans la guerre contre la Turquie. On dit aussi que l'empereur lui avait proposé l'acquisition de Dantzick et de Thorn, qu'il convoitait, à la condition de laisser l'Autriche augmenter la Gallicie; mais il démentit ce bruit.

Ce qui importait à la Pologne, c'était d'accélérer sa nouvelle constitution, pendant que les puissances qui lui étaient hostiles ne pouvaient l'empêcher de faire le bien. Mais c'était l'œuvre de personnes sages, qui ne voulaient ni agir précipitamment, ni démolir le passé, ni imposer à un peuple des institutions avant d'en avoir mesuré l'opportunité. Or, le peuple considérait comme un droit précieux l'éligibilité du roi, tandis qu'ils jugeaient nécessaire de l'abolir. Ils durent donc y préparer peu à peu les esprits.

Le plus grand obstacle venait de la faction russe. Elle se composait de gens qui, ayant la pratique des diètes et l'art de traîner les choses en longueur, chicanaient sur des misères, suscitaient des incidents, proposaient des amendements, et qui, lorsqu'ils ne . pouvaient empêcher une délibération, poussaient les auteurs de la proposition à des exagérations qui en faisaient ressortir les inconvénients et les difficultés. Pendant ces débats les forces s'amoindrissaient; et le temps se perdait. Les puissances voisines recommençaient à se mêler des affaires de la Pologne, et déjà l'on disait ouvertement que leur intention était de s'indemniser des dépenses de la guerre en opérant un nouveau partage du pays. Les patriotes, qui, avec autant de courage que de bon sens et de loyauté, avaient déjà donné une charte aux villes immédiates, par laquelle tous les habitants de ces villes étaient déclarés libres et soumis à une législation unique, jugèrent alors nécessaire de se rapprocher du roi.

Stanislas devait s'estimer heureux de sortir enfin de la servitude où la Russie le tenait depuis vingt-cinq ans, et d'avoir acquis une constitution nationale. Il s'animait à l'idée de devenir le législateur

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de son pays et d'obtenir l'admiration de l'Europe, disposée alors à louer de semblables mesures. Il rédigea donc lui-même une constitution; et, quelques machinations que mît en œuvre le parti russe pour opérer, au contraire, une révolution, il les déjoua, et promulgua son œuvre. Il lui prêta serment le premier, et tous les autres seigneurs après lui, au milieu d'une joie inexprimable.

Il y confirmait les anciens droits de l'aristocratie comme principal soutien de la liberté, ainsi que la charte accordée aux villes. Le pouvoir législatif devait résider dans les États, le pouvoir exécutif dans le roi et dans le conseil d'État, dit gardien des lois ; le pouvoir judiciaire, dans les tribunaux. La diète était divisée en deux chambres, celle des nonces et celle des sénateurs; le liberum veto était aboli, ainsi que toute confédération, et l'inviolabilité du roi établie, de même que l'hérédité du trône (1).

Il est inutile de nous étendre sur ce statut, qui n'eut point d'effet, et qui fut jugé trop libéral par les uns, trop tyrannique par les autres. Il était particulièrement odieux aux seigneurs, à qui il enlevait l'espoir d'arriver au trône. Ils se concertèrent donc pour se rallier à la Russie. Dès que Catherine se fut réconciliée avec la Porte, elle désapprouva hautement ce qui s'était fait en Pologne, pour relever un pays de l'abaissement où elle voulait le tenir; et elle

(1) Nous rapporterons le préambule de cette constitution, comme échantillon de l'éloquence ampoulée à laquelle se plaisait Stanislas :

« Au nom de Dieu, Stanislas-Auguste, par la grâce de Dieu et la volonté de la nation, roi de Pologne, etc., conjointement avec les États confédérés en nombre double, représentant la nation polonaise.

"

Persuadés que la perfection et la stabilité d'une nouvelle constitution nationale peuvent seules assurer notre sort à tous; éclairés par une longue et déplorable expérience sur les vices invétérés de notre gouvernement; voulant profiter des conjonctures dans lesquelles se trouve actuellement l'Europe, et surtout des derniers moments de cette époque fortunée qui nous a rendus à nous-mêmes; affranchis du joug avilissant que nous imposait la prépondérance étrangère; faisant passer avant notre bonheur particulier, avant notre vie même, l'existence politique, la liberté intérieure de la nation qui nous est confiée, et son indépendance extérieure; voulant mériter les bénédictions et les récompenses de nos contemporains et de la postérité, en dépit des obstacles que les pas. sions peuvent nous opposer, et n'ayant en vue que le hien public; voulant assurer la liberté et maintenir nos frontières intactes: par tous ces motifs, nous avons, avec toute la fermeté de notre esprit, résolu la présente constitution, et la déclarons sacrée et inviolable jusqu'au temps où la nation, après le délai prescrit, déclarera, par sa volonté expresse, qu'il est nécessaire de changer une de ses dispositions, etc. »

1791.

écrivit à son ambassadeur à Varsovie: Rappelez au roi que j'ai proposé les moyens d'éviter le démembrement de la Pologne. A cette heure, on ne cesse de m'engager à un nouveau partage. Dites-lui que je m'y oppose et m'y opposerai tant que je ne verrai pas le roi et la nation me devenir contraires. Autrement il dépend de moi de rayer la Pologne de la carte de l'Europe.

La mort de Léopold II la délivra de l'obstacle qu'elle craignait, et elle obtint de son successeur, ainsi que de Frédéric-Guillaume II, qu'ils reviendraient l'un et l'autre sur la promesse qu'ils avaient faite de maintenir l'intégrité de la Pologne et la liberté de sa constitution. Aussitôt il se forma une confédération pour le rétablissement de l'ancienne liberté; Catherine encouragea les Polonais à saisir l'occasion, et à mettre leur confiance dans la magnanimité, dans le désintéressement qui dirigeaient chacun de ses pas; puis elle déclara, en sa qualité de protectrice des réfugiés, qu'elle allait faire entrer des troupes dans le pays pour rétablir l'ancien ordre de choses. Les Polonais, ne voulant pas abdiquer leur droit de nation indépendante, s'apprêtèrent à combattre, firent appel aux puissances, et conférèrent au roi une autorité dictatoriale. Mais l'Autriche garda le silence; la Prusse dit qu'elle ne pouvait ni ne voulait s'en mêler, et en même temps elle s'unit à la Russie pour ramener en Pologne l'ancienne anarchie.

La révolution française avait éclaté alors, et l'effroi des rois enKosciusko. courageait ceux qui leur résistaient. Kosciusko, vaillant guerrier polonais, qui s'était mis à la tête du mouvement, avait eu soin de protester que le soulèvement de la Pologne était tout autre chose que celui de la France, et qu'il considérait comme ennemis de la patrie ceux qui voulaient instituer des cercles et des sociétés particulières. Il se produisait néanmoins dans Varsovie des scènes qui rappelaient la convention française; mais peut-être aussi étaient-elles suscitées par les ennemis de la Pologne. Enfin, les Russes se mirent en marche; et, passant librement sur le territoire de la Gallicie, ils dérobèrent leurs mouvements aux Polonais, qui furent vaincus. Stanislas déclara d'abord qu'il était résolu à périr avec sa patrie; mais, toujours héros à demi, il se découragea, et consentit à la confédération, qui, de ce moment, fut appelée confédération de la couronne; Félix Potocki, homme vendu aux étrangers, et qui s'était élevé en rampant, en devint maréchal. Tout fut donc remis dans son ancien état: la charte donnée aux villes fut même révoquée, et l'on dit au

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pays : « L'instant est proche où la république verra sa liberté et son indépendance assurées, où le citoyen jouira de tous ses droits. << Nation, tu rendras justice à ceux qui ont risqué leur fortune et « leur vie, et affronté les injures, pour te rendre ta félicité. »

Sur ces entrefaites, le roi de Prusse déclara que les maximes jacobines répandues dans la Grande-Pologne l'obligeaient à l'occuper; puis, annonçant qu'il agissait d'intelligence avec la Russie, il incorpora, pour sa sûreté, Dantzick et Thorn à ses États, avec la majeure partie de la Grande-Pologne, appelée depuis Prusse méridionale. En même temps Catherine fit savoir qu'elle avait résolu, conjointement avec l'empereur, de restreindre la république polonaise, afin de la rendre plus sage et plus tranquille. La diète en fut stupéfiée. Stanislas songea à abdiquer une couronne qu'il ne pouvait plus conserver sans honte (1); mais le courage lui manqua encore pour prendre ce noble parti.

La Russie ordonna des poursuites et des confiscations contre ceux qui s'étaient opposés à ses vues; elle exclut de la nouvelle diète quiconque avait montré de l'attachement au statut de 91; les députés qui, bien qu'élus sous l'empire de la terreur, s'op. posèrent avec chaleur à ses volontés, furent arrêtés (2); et il fallut se résigner au traité proposé. Il portait que la Russie prendrait 4,553 milles carrés, avec 3,011,685 habitants; que l'intégrité du reste serait garantie à la Pologne ainsi que la souveraineté, et qu'elle serait libre de se constituer comme elle le voudrait; que la Russie laisserait aux catholiques romains qui passaient sous sa domination le plein et libre exercice de leur religion.

Les Polonais s'étaient persuadés qu'ils détachaient ainsi la Rus

(1) « Trente ans d'efforts pendant lesquels, en voulant toujours faire le bien, j'eus à lutter contre toutes sortes de chagrins, m'ont réduit au point de ne pouvoir même espérer de servir ma patrie d'une manière utile, ni, par suite, de remplir mon devoir avec honneur. Les circonstances sont telles, que mon devoir me défend toute participation personnelle à des mesures qui amèneraient le désastre de la Pologne. Il convient donc que je résigne une charge que je ne puis plus soutenir dignement. Je désire voir occupé par un homme plus heureux un poste que, de toute manière, mon âge et mes infirmités rendraient vacant sous peu. »> Cette lettre était adressée à Catherine, qui ne lui répondit pas.

(2) Kimbar disait : « Qu'importent les souffrances à la vertu? Son essence est de les mépriser. On nous menace de la Sibérie; ses déserts auront des charmes pour nous, en nous rappelant notre courage. Allons donc en Sibérie; conduisez-nous-y vous-même, sire: là, votre vertu et la nôtre feront pâlir nos ennemis. »

1793.

22 juillet. 1793.

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