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d'effrayer les Radziwil, la faction Czartoriski fit appel à Catherine, qui menaçait depuis quelque temps et désirait intervenir, ce qui jeta de l'huile sur le feu. Les Czartoriski, se hâtant d'opérer des réformes pendant la vacance du trône, abolirent les grandes charges, réprimèrent les familles puissantes, affaiblirent les seigneurs en limitant leur pouvoir sur leurs serfs, abrogèrent les priviléges des grandes villes et de provinces entières. Les régiments de la garde durent dépendre entièrement du roi, comme aussi l'hôtel des monnaies et les postes; il devait lui être loisible de s'approprier quatre des plus riches domaines. Ils cherchaient surtout à abolir le liberum veto. Tout cela, ils le firent en quelques semaines, sans chercher à s'appuyer sur la volonté de la nation, pendant que la Prusse et la Russie s'opposaient aux réformes, intéressées qu'elles étaient à ce que le désordre continuât.

Chacun des deux partis, d'accord pour repousser un roi étranger, mettait en avant une créature à lui. Mais comment espérer que plus de mille électeurs arriveraient à un vote unanime au milieu de tant de passions? Il se donna dans les diétines, où les rixes éclataient à chaque instant, plus de cent mille coups de sabre, sans qu'il y eût plus d'une centaine de gentilshommes tués, attendu que dans des occasions pareilles les Polonais ne portaient point d'armes affilées. Mais que servait de discuter, lorsque Catherine avait déjà résolu? Soixante mille Russes aux frontières, dix mille aux portes de Varsovie, devaient assurer la libre élection de son amant; des Turcs, des janissaires, des Hongrois, des Prussiens, remplissaient la ville et les galeries de la salle: Stanislas fut donc élu.

niatowski.

1764.

Issu d'une famille italienne très-noble, mais peu puissante (1), Stanislas Poil mécontenta les Polonais le jour même de son couronnement, en ne se montrant pas avec l'habit national et la tête rase, attendu qu'il n'avait pu se décider à sacrifier sa noire chevelure. Puis, lié d'un côté à la Russie, de l'autre aux Czartoriski, qui exerçaient une puissance absolue, il reconnut bientôt sa dangereuse nullité sur le trône qu'il occupait; car il s'y trouvait à la merci du prince de Repnin, l'ambassadeur russe, naguère son compagnon de débauches, devenu alors pour lui un contradicteur violent, prompt à lui faire sentir l'éperon dès qu'il faisait mine de résister.

(1) Il descendait des Torelli, anciens seigneurs de Guastalla. Voy. SCHOELL, tom. XX, p. 117.

1767.

Le pays tout entier était alors morcelé en confédérations de nobles, résolus à maintenir leurs droits par les armes; la Lithuanie seule en comptait quatorze, qui prétendaient, sous la présidence de Radziwil, raffermir la république et peut-être détrôner Stanislas. Les dissidents avaient eu recours à la czarine, qui, charmée d'une occasion de se montrer philosophe en répudiant une intolérance qu'elle-même avait provoquée, les prit sous sa protection. Mais la diète, où prévalaient les républicains (on appelait ainsi les adversaires des dissidents), loin de consentir à la liberté du culte, confirma les ordonnances rendues contre eux.

Stanislas cherchait à user d'adresse pour conserver au moins quelqu'une des prérogatives royales, et montrait de la condescendance envers l'ambassadeur russe Repnin, qui menaçait de la Sibérie les patriotes et Branicki, leur chef. La diète extraordinaire, convoquée par le roi à Varsovie, fut entourée de troupes russes; Repnin parla en maître; et comme les évêques de Cracovie et de Kiev, ainsi que le général de la couronne, résistaient, il les fit enlever et conduire en Sibérie, aux applaudissements des philosophes, soudoyés par la czarine. Puis, sans s'inquiéter des oppositions, il dicta des réformes qui garantissaient aux dissidents la liberté de leur culte, mais qui laissaient subsister tout ce qu'il y avait de radical dans les maux du pays. L'orgueil national frémissait à ces actes de domination exercés par la Russie; ceux qui occupaient les premières charges voyaient avec peine leur autorité diminuée et leur dignité compromise; les évêques perdaient l'espoir de réunir à leur troupeau la portion dissidente.

Impuissants contre la force extérieure, ils songèrent à se tourner du côté du peuple, dont ils ne s'étaient nullement inquiétés jusqu'alors; et, soit qu'il ne parût pas opportun de lui dire les raisons positives, soit qu'il ne les eût pas comprises, ils excitèrent ses passions en répandant le bruit que la Russie et la Prusse voulaient détruire la foi catholique, et qu'il fallait la défendre par les armes. La multitude, déjà ulcérée contre les Russes disséminés dans le pays, s'enflamma à l'appel de ses maîtres; et, quoique la nation n'eût pas d'armée depuis quarante ans, ne délibérât pas sur ses propres affaires, et n'agît que sous des influences étrangères, elle montra encore son ancien caractère indépendant et guerrier.

La France, qui avait toujours eu de la prédilection pour les Français du Nord, et qui s'était efforcée de maintenir la liberté

des élections, mais n'avait pu y réussir, avalt rappelé son ambassadeur, ne trouvant pas qu'il pût demeurer au milieu de tant de brigues sans compromettre sa dignité. Cependant, par ses agents secrets, elle animait les esprits à la défense de la liberté et de la religion.

Krasinski, évêque de Kaminiec, courut à plusieurs reprises le pays en encourageant les patriotes, et en organisant une confédération qui devait se mettre à l'œuvre aussitôt que la Russie aurait retiré ses troupes, ainsi qu'elle en était pressée par la Porte, qui depuis quelque temps s'était faite la protectrice de l'indépendance polonaise. Mais le jurisconsulte Poulawski, anobli nouvellement, homme d'un caractère entreprenant, déploya plus de résolution; et il se forma à Bar en Podolie une confédération qui prit pour symbole l'aigle blessé, avec les mots : Aut vincere aut mori. Pro religione et libertate.

L'évêque désapprouva cette imprudence; ce qui ne l'empêcha pas de courir dans les différentes cours pour y chercher assistance. De son côté, Repnin obligea Stanislas à réclamer dans un senatus consilium des secours contre les rebelles. Alors commença une guerre civile la Russie lança sur l'Ukraine les Cosaques Zaporogues, qui s'y livrèrent à tous les genres de' férocités. On acquit la certitude juridique du massacre de cinquante mille hommes, auxquels il faut en ajouter peut-être deux fois autant. Pour que tout fût empreint de barbarie dans le siècle des philanthropes, les Russes étaient commandés par le comte de Tottleben, l'un des plus vils caractères de ce temps, qui, joueur, escroc, débauché, se plaisait au milieu du carnage. Les confédérés transférèrent alors le conseil général à Teschen', puis à Épéries en Hongrie, et formèrent divers corps, auxquels la France fournissait annuellement 72,000 francs de subsides. Les terres du roi furent dévastées; Krasinski s'efforça d'établir quelque ordre au milieu de l'anarchie, et de régler cette valeur héroïque qui n'était d'aucune utilité à la patrie. Les Polonais mettaient leur espoir dans Moustapha, qui s'était toujours opposé à l'invasion de leur pays, et qui, en effet, déclara la guerre à la Russie; mais quoiqu'il eût été battu, les confédérations partielles se fondirent en une confédération générale, qui résolut de prendre l'offensive.

Le violent Repnin avait été remplacé par le faible mais honora. ble Wolkonski. Stanislas obtint de lui la permission de réunir une

1768.!

1770.

diète, qui, en désapprouvant la précédente d'avoir fait appel à Catherine, envoya supplier la czarine de retirer ses troupes, et d'indemniser le pays des horribles dévastations qu'il avait subies. Ca. therine entra en fureur; et Stanislas n'ayant point obéi en déclarant la guerre aux confédérés, elle devint son ennemie, en même temps que la confédération, adhérant à la Porte, le déclarait déchu du trône. Durant l'interrègne, la confédération générale prit en main le gouvernement. Elle fit rendre compte aux maréchaux des exactions commises, et s'aida des excellents conseils du colonel Dumouriez, envoyé secret de Louis XV. Elle espérait pouvoir aussi rappeler la diète de la Hongrie; mais quoique les Polonais rivalisassent de valeur personnelle, ils ne surent pas établir la discipline et l'union. Le brave et généreux Oginski fut battu, Branicki mourut, et les défaites qu'ils éprouvèrent ornèrent de ses premiers lauriers le front de Souvarov.

Saldern, créature du ministre Panin, fut chargé par la Russie de pacifier le pays à quelque prix que ce fût, sauf toutefois la vacance du trône ; et il y employa la violence. Les confédérés, réduits au désespoir, décidèrent d'enlever Stanislas, acte permis par les coutumes polonaises, pourvu qu'il ne s'agit pas d'un assassinat. Trois hommes résolus y parvinrent en effet; mais s'étant égarés, ils laissèrent l'entreprise à moitié : on la fit passer pour une tentative de régicide; ce qui fournit aux potentats un nouveau prétexte pour considérer l'assujettissement de la Pologne, comme étant pour eux d'un intérêt commun.

D'une part donc, anarchie, corruption, incertitude, inimitié au dedans, faiblesse au dehors; de l'autre, une volonté opiniâtre, un dessein arrêté et constant d'écraser les Polonais. Le résultat pouvait-il être douteux ? Déjà tant de désastres, aggravés par la famine et par la peste, avaient fait naître l'idée de partager la Pologue. Mais qui osa le premier proposer de porter un coup qui était dans la pensée de tous? C'est ce qui n'est pas déterminé, car l'historien de la maison d'Autriche s'exprime ainsi : « Ce fut une action si odieuse, que chacune des trois puissances s'efforça d'en rejeter la honte sur les deux autres. » La proposition en a été attribuée le plus généralement à Frédéric II, mais il le nia; et des découvertes successives paraissent l'en disculper (1). Le prince de Kaunitz et

(1) Voyez surtout les Mémoires et actes authentiques relatifs aux négo

Joseph II, qui aspiraient à l'agrandissement de l'Autriche, espéraient y arriver aux dépens de la Turquie, disposée qu'elle était à payer de quelques provinces les secours qu'ils lui fourniraient contre la Russie; mais lorsque la paix fut conclue entre ces puissances, ils virent avec peine des arrangements qui renversaient leurs projets. Ils envoyèrent donc des troupes occuper certaines portions de la Pologne qui appartenaient, selon eux, au royaume de Hongrie, ainsi que les salines de Bochnia et de Wieliczka, qui composaient le principal revenu du roi de Pologne.

L'intention de l'Autriche étant de les garder et non de les dévaster, ses troupes se comportèrent dans ces contrées d'une manière exemplaire; tandis que les Prussiens, que Frédéric II avait fait entrer dans la Grande-Pologne, sous prétexte de former un cordon sanitaire contre la peste qui y sévissait, y déployaient une barbarie égale à celle des Russes.

Stanislas, attaqué de deux côtés, appela à son aide la Russie, qui envahit à son tour le territoire. Le prince Henri, frère de Frédéric II, se rendit à Saint-Pétersbourg pour se concerter avec Catherine: Joseph II s'y rendit aussi, et il parut à ces avides négociateurs que le seul moyen de satisfaire leurs mutuelles prétentions était de se partager la Pologne.

Kaunitz eut beaucoup à faire pour amener à ses fins le caractère honorable de Marie-Thérèse. Enfin elle déclara qu'elle conserverait les treize villes du comté de Zips, qui avaient appartenu à la Hongrie, puis avaient été données en gage à la Pologne. Les Russes répondaient que l'équilibre en serait dérangé; que les autres puissances voudraient aussi avoir leur part; qu'il valait donc mieux s'entendre dans le cabinet, que d'avoir à descendre sur le champ de bataille. On parvint ainsi à apaiser les scrupules de Marie-Thérèse, en lui faisant entendre que c'était le seul moyen d'éviter l'effusion du sang (1). Exemple inouï de trois puissances, ciations qui précédèrent le partage de la Pologne, tirés du portefeuille d'un ancien ministre du dix-huitième siècle, Weimar, 1810; ouvrage du comte GORTZ. On peut aussi consulter l'Histoire des trois démembrements de la Pologne, par FERRAND, Paris, 1820; une note dans le Cours d'histoire de Schoell, vol. XXXVIII, p. 157; l'Histoire de l'anarchie de Pologne, par RUL HIÈRE, fort poétique; et les Mémoires sur l'histoire de Pologne après la paix d'Oliva, par RANKE.

(1) Elle disait au baron de Breteuil, ambassadeur de France : « Je sais que j'ai imprimé à mon règne une tache honteuse; mais on me pardonnerait si l'on

1770.

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