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il rêvait, à son exemple, des réformes dans les troupes et dans le gouvernement.

Cependant Catherine, tout en se donnant pour victime de son mari, s'arrangeait pour le trahir: elle s'était concilié l'amitié de Bestoucheff, et ensuite l'amour de l'ambassadeur polonais Stanislas Poniatowski. Pierre l'ayant surpris dans les jardins sous un travestissement, le congédia. Catherine, à qui il pardonna, n'interrompit ni ses galanteries ni ses intrigues ; car son projet était de substituer à son mari son fils Paul, afin de régner comme sa tutrice. La trame ayant été découverte, Bestoucheff fut relégué comme traître, et Catherine obtint encore son pardon. Au nombre des soldats auxquels elle s'abandonnait sans en être connue, elle distingua Grégoire Orlof, à qui elle confia le secret d'une ambition que les jouissances ne suffisaient pas à rassasier, et qui ne cessait de viser au trône.

Pierre, las de tant d'ennemis, fit dire à la czarine « qu'il renonçait au brillant avenir qu'elle lui réservait, pour se retirer dans le Holstein.» Élisabeth n'accéda point à son vou; et bientôt le scorbut, produit par l'abus des épices et des liqueurs fortes, la conduisit au tombeau à l'âge de cinquante-deux ans. On lui trouva seize mille robes, deux grandes caisses de rubans, des souliers par milliers, et des pièces d'étoffes nouvelles par centaines. Dans ses derniers jours, elle ordonna de rendre la liberté aux contrebandiers et aux prisonniers pour dettes; or, les premiers étaient au nombre de treize mille, et les autres au nombre de vingt-cinq mille.

1762.

Pierre apportait sur le trône, qu'il n'avait point désiré, de la gros- Pierre III. sièreté, mais un bon cœur. Il commença par rappeler ceux des exilés qui n'étaient point coupables de méfaits. On vit en conséquence reparaître les anciens ministres Biren, Münnich, Lestocq. Il ne maltraita pas les favoris de sa tante, paya les dettes de sa femme sans en rechercher l'origine, et lui montra en public des égards qu'elle ne méritait pas. Il rendit visite à Ivan VI, qui était presque devenu aveugle et s'était abruti dans sa prison, dont il adoucit la rigueur; enfin il cessa de s'enivrer (1).

Il se livra alors à une foule de réformes, dont quelques-unes étaient importantes, mais où se mêlèrent des fautes politiques d'une bien autre gravité. Pierre abolit la chancellerie secrète et la tor

(1) Il n'y a point de vices et de torts que les flatteurs de Catherine n'aient attribués à Pierre; sa mémoire fut réhabilitée par un anonyme dans une vie imprimée à Tubingue en 1808, et qui est riche en documents.

T. XVII.

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ture; il donna la liberté à la noblesse, qui auparavant dépendait en tout de la volonté impériale, en alléguant qu'elle se trouvait désormais suffisamment formée par les soins de ses prédécesseurs; il lui imposa seulement l'obligation de faire instruire ses enfants, ou, s'ils ne possédaient pas mille paysans, de les mettre dans la maison impériale des cadets. Il abolit les monopoles, diminua le prix du sel, fit des lois somptuaires et de police, favorisa les manufactures en faisant des avances à ceux qui en fondaient, et en leur accordant des exemptions d'impôts pour dix ans, Il institua une banque destinée à faire des prêts pour les entreprises agricoles, prit des mesures pour rendre plus avantageuse l'exportation des grains, des bœufs, du goudron, diminuant à cet effet les droits et recueillant des renseignements : enfin il supprima les compagnies de commerce, qui ôtaient au gros de la nation l'accès de bénéfices considérables.

Afin de concentrer dans ses mains la puissance ecclésiastique et l'autorité séculière, ce que Pierre Ier n'avait pu réaliser, Pierre III séquestra les biens du clergé ; il en confia l'administration à un collége d'économie, et assigna à chacun de ses membres un revenu égal à celui qu'il en retirait à l'époque où ces biens étaient à sa disposition. Il voulait aussi simplifier le culte en abolissant les images; mais il céda là-dessus à l'opposition de l'archevêque de Novogorod.

Il opéra aussi des réformes militaires, descendant aux plus petits détails, à l'exemple de Frédéric II, qu'il appelait son maître, et dont il ne prononçait jamais le nom sans ôter son chapeau. Il se ruina lui-même pour fournir de l'argent à ce prince, et s'allia avec lui contre les Autrichiens, ayant plutôt égard à ses sympathies et à la justice qu'aux convenances politiques, qui l'invitaient à profiter de la guerre de sept ans pour rendre ses armées redoutables. II songeait même, dans sa manie d'innovations, à donner à l'Europe une organisation nouvelle. Il est vrai que nous ne pouvons le juger que sur ses intentions, puisqu'il ne conduisit rien à terme, et qu'il se montra d'ailleurs incertain et ignorant dans les faits.

Catherine, dont les amours avec Orlof, affermis par de nouveaux liens, pouvaient être d'un moment à l'autre troublés par la jalousie de son époux, résolut de le perdre, et s'entendit à cet effet avec ce favori. Résignée aux dédains trop mérités de Pierre, elle se faisait plaindre tandis qu'elle n'avait droit qu'à la réprobation, et elle abusait de la confiance de son mari comme de sa colère. Elle se fit ainsi beaucoup de complices, dont chacun croyait être le chef unique de la conspiration, et le seul aussi à jouir, de ses faveurs.

Pierre avait mécontenté les troupes en changeant les uniformes, le clergé en séquestrant ses biens; et tous voyaient de mauvais œil qu'il ne fût pas encore sacré. Or, Catherine fomentait le mécontentement en se montrant aussi attachée aux usages nationaux qu'il semblait prendre à tâche de les fouler aux pieds; puis elle fit courir le bruit que le czar avait formé le projet de jeter en prison toute sa famille et même son fils, comme adultérin. Pierre eut connaissance de cette trame par Frédéric, qui avait intérêt à le conserver. Mais, soit bonté, soit indolence, il ne tint aucun compte de ses avis. Lorsque ensuite les indices augmentèrent, Catherine détourna son attention par des fêtes, au milieu desquelles elle hâtait la révolution préparée. Au moment où Pierre apprit qu'elle venait d'éclater, il sembla avoir perdu la tête. Il courut par le palais en cherchant la czarine dans les armoires, sous les lits, en poussant des cris furieux, auxquels répondaient les hurlements des siens. Münnich, qui avait conservé son sang-froid et sa fidélité, l'exhorta à se mettre à la tête des régiments allemands; mais il écouta plutôt les frayeurs de la favorite et des autres dames : il ne fit que vociférer; il écrivit des manifestes, ordonna l'impossible, trembla d'être tué, et courut enfin à Cronstadt pour s'y fortifier; mais il avait été prévenu (1).

Catherine avait réuni les conjurés; un régiment était gagné ainsi que la populace, et elle fut proclamée impératrice. Un manifeste annonça qu'elle avait sauvé la religion menacée, la gloire russe compromise, et la constitution. Revêtue de l'uniforme militaire et la branche de chêne au chapeau, elle marcha contre son mari, au miHieu des hourrahs des troupes ivres et des encouragements des ambassadeurs étrangers, désireux d'anéantir l'influence prussienne. Pierre adressa à sa femme de lâches supplications, et offrit d'abdiquer, demandant seulement qu'on le laissât vivre et lire des romans: on le lui accorda; mais, abandonné de tous, il fut en butte aux plus mauvais traitements; enfin les Orlof l'empoisonnèrent; et comine il tardait à rendre le dernier soupir, ils finirent par l'étrangler.

Hâtons-nous de dire que les assassins ne recueillirent pas le fruit de leur crime. Grégoire Orlof, qui porta toujours sur la joue la ci-^ . catrice d'une morsure de sa royale victime, espérait s'asseoir à côté de Catherine; mais elle ne voulait pas se donner un maître. Il fut donc disgracié: plus tard, et dans ses moments de délire, il voyait sans cesse devant lui l'enfer et le spectre du czar. Le Pié(1) CASTERA, T'ie de Catherine II.

1762.

28 juin.

Catherine II.

montais Odart, son complice, se trouvant mal récompensé, trempa dans une conjuration, et ne parvint qu'avec peine à s'enfuir.

Catherine se montra affligée de la mort de Pierre, et songea à se la faire pardonner par des bienfaits envers le peuple et en se conciliant les rois de l'Europe. Ceux-ci se hátèrent de la reconnaître, sans en excepter Frédéric de Prusse; et elle fit grâce à ceux qui s'étaient montrés dévoués à son époux.

Elle s'attacha le peuple en se faisant couronner à Moscou, et en exprimant dans ses décrets une bienveillance inaccoutumée; les soldats, en s'attribuant des grades dans les régiments; le clergé, en lui rendant l'administration de ses biens. Mais bientôt, sous prétextede donner au clergé une organisation stable, elle nomma un collége d'économie pour administrer ses biens, en attribuant aux ecclésiastiques un traitement proportionné, le surplus devant être affecté aux hôpitaux et aux vétérans. Il se trouva alors que le clergé possédait neuf cent dix mille huit cent quatre-vingt-six paysans. Ce fut une des nombreuses innovations qu'elle opéra pour se faire admirer des philosophes, sentant qu'elle avait besoin de suffrages bruyants; mais elle eut l'adresse de ne rien précipiter, si bien que ses ordonnances paraissaient le fruit de la réflexion.

Elle ne jouit pas constamment de la paix au dedans. Pendant un voyage qu'elle faisait, Basile Mitrowitch, sous-officier ukrainien, entreprit de la détrôner sans avoir ni ressources, ni intelligence, ni habileté. Suivi d'une poignée de soldats, il commença par essayer de délivrer Ivan VI; mais les deux officiers qu'on avait ensevelis avec lui pour le garder avaient ordre de le tuer, si jamais l'on tentait de l'enlever. Ils exécutèrent leur consigne, et résistèrent. Mitrowitch rendit aussitôt son épée; et il fut condamné à mort, sans qu'il y eût d'autres personnes punies ni recherchées. Les deux meurtriers d'Ivan furent récompensés, et ses parents renvoyés en Danemark. Or, on répéta dans le monde que c'était un coup préparé par Catherine, et qu'elle avait promis à Mitrowitch de lui faire grâce.

Comme la cour n'avait pas fait célébrer de messes pour Pierre III, ce fut un motif pour supposer qu'il n'était pas réellement mort; et sept imposteurs au moins se présentèrent successivement sous son nom. Le premier fut un savetier de Woronia, mais il finit aussitôt sur l'échafaud; puis vint un déserteur sur les frontières de Crimée, nommé Zernichef, qui fut aussi bientôt mis à mort. Étienne Petit, médecin, déserteur croate, s'étant donné pour le czar, fut fait

colonel par les Monténégrins, qu'il guida dans leur révolte jusqu'au moment où il fut tué.

Quatre autres faux Pierre parurent en 1772: un chez les Cosaques, et il expira sous le knout; l'autre dans les monts Ourals, et il prit la fuite; un troisième, qui s'était échappé de prison, fut aussi mis à mort. Les Cosaques du Don et de l'Oural ayant envoyé des plaintes sur la violation de leurs priviléges, leurs députés furent chassés à coups de bâton. Ils résolurent donc, pour se venger, de mettre en avant un faux Pierre, qui réclamerait le trône non pour lui, mais pour le czarowitch Paul. Ce rôle échut à Iémélian Pougatchef, que soutinrent deux hommes habiles, Krasnoborodko et Perfiliof. Ce dernier fut arrêté; mais il fut relâché en considération de son esprit d'intrigue, à la condition de faire avorter la révolte. II annonça, au contraire, lorsqu'il fut de retour, qu'il avait eu des entretiens avec le grand-duc, qui lui avait promis de venir bientôt à la tête d'une armée. C'en fut assez pour accroître le nombre des partisans du prétendu Pierre III, qui, lançant des manifestes, promulguant des ukases, releva ses sujets du serment prêté à l'usurpatrice. Afin que les Allemands ne pussent découvrir qu'il ignorait leur langue, il les faisait mettre à mort; et, pour faire croire qu'il était soutenu par l'aristocratie russe, il donna à ceux qui l'entouraient les noms moscovites les plus illustres. Il fit battre monnaie, avec l'exergue Petrus redivivus et ultor. Bientôt il se trouva suivi d'une armée formidable de Kalmouks, de Cosaques et de Baskirs, avec une artillerie de soixante-dix canons; et les insurgés, retranchés derrière des remparts de glace, repoussaient les troupes qui se renouvelaient contre eux; en sorte qu'ils prirent Kazan et la livrèrent aux flammes. Mais quand les Russes eurent conclu la paix avec la Turquie, il fut possible d'éteindre un incendie qui jetait l'effroi dans Saint-Pétersbourg. Bien que les Kalmouks veillassent fidèlement à la garde de Pougatchef, il finit par être pris et mis à mort, ainsi que ceux qui l'avaient aidé. Cent mille personnes avaient péri, plusieurs villes étaient détruites; et, pour en effacer le souvenir, on abolit le nom de Jaïk, en lui substituant celui d'Oural.

A la paix de Kaïnardji, les Cosaques Zaporogues ayant élevé quelques prétentions sur une partie de la province cédée par la Porte, Catherine fit détruire leur setcha (1775). Il en passa par suite un grand nombre en Bessarabie, puis en Moldavie ; d'autres

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