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1730.

Anne.

fut exilé. Ses richesses, qui furent confisquées, s'élevèrent, dit-on, à 9 millions de roubles en papier, à 4 millions en espèces, et à 800,000 roubles en bijoux; plus, cinq cents livres pesant en vaisselle d'or, et quatre cent vingt en argenterie.

Les Dolgorouki, lui ayant succédé dans la confiance de Pierre, fiancèrent le czar avec Catherine, qui appartenait à leur famille; mais il ne tarda pas à mourir de la petite vérole, et avec lui s'éteignit la descendance masculine des Romanov.

Les Dolgorouki surent diriger le choix d'une czarine sur celle qui avait le moins de droits à ce titre, Anne, fille d'Ivan, frère aîné de Pierre le Grand, veuve du duc de Courlande, dans l'espoir que l'aristocratie pourrait se relever au détriment de la puissance des czars. Ils lui imposèrent donc une capitulation, par laquelle elle promettait de ne rien entreprendre sans le consentement du sénat, et surtout de ne pas amener avec elle Biren, son favori. Elle accepta tout, résolue à ne rien tenir. Une prétendue députation de la noblesse, du clergé et de la nation, la supplia d'anéantir la capitulation comme désagréable à la Russie, et elle déclara régner par droit héréditaire. Les Dolgorouki furent éloignés, et remplacés par Ostermann et Biren (1): ce dernier gouverna despotiquement, et parut s'être proposé de peupler la Sibérie des débris de la noblesse russe; il justifiait ses inhumanités en disant qu'elles étaient nécessaires pour gouverner les Russes. Voulait-il perdre un de ses ennemis? il lui suffisait d'avoir quelqu'un pour crier : Je sais le mot et la chose; ce qui indiquait la connaissance d'une conspiration et la volonté de la révéler. Or, pourvu que le dénonciateur fût assez vigoureux pour endurer par trois fois le knout sans se démentir, l'accusé se voyait soumis au même traitement, et l'on continuait à déchirer ainsi alternativement l'un et l'autre, jusqu'à ce qu'un des deux se déclarât coupable ou calomniateur. Cet expédient fut mis en pratique contre plusieurs personnes de distinction, et en particulier contre les Dolgorouki. Ils furent accusés de trames contre la czarine, et envoyés au supplice.

Bien que possédant une bonne armée, Anne n'avait pas de goût pour la guerre: ainsi elle restitua à la Perse, comme nous l'avons vu, les provinces enlevées à cette puissance par Pierre le Grand, et qui coûtaient plus qu'elles ne rapportaient. Elle fut néanmoins victo

(1) De ce moment il prit le nom de Biron, pour se faire croire parent de la famille française; faiblesse qu'un grand poëte eut aussi de nos jours.

rieuse en Turquie, ainsi qu'en Pologne et en Courlande. Les nationaux étaient furieux contre les Allemands, nom sous lequel ils désignaient Ostermann, Biren et Münnich; mais quiconque osait se récrier contre leur despotisme était jeté en prison, ou envoyé en Sibérie. Aune réprima par sa fermeté un peuple inquiet dans sa servitude, et ne sacrifia pas l'un à l'autre son amant et son défenseur. De Moscou, où résidait Pierre II, elle transporta la cour à Saint-Pétersbourg. Elle construisit Orenbourg sur une montagne de jaspe, au confluent de l'Or avec l'Oural; imposa un roi à la Pologne, désormais le jouet de la Russie; et le duché de Courlande, possédé par la maison de Kettler comme fief de la couronne polonaise, étant venu à vaquer, elle parvint par ses séductions, appuyées d'une forte armée, à faire tomber le choix sur Biren.

-Ce favori avait persuadé à la czarine de désigner pour son successeur Ivan, fils de sa nièce, mariée au duc de Brunswick; et il eut la régence à la mort de la souveraine. Mais le feld-maréchal Münnich, qui réussissait d'autant mieux dans l'intrigue qu'on l'y croyait plus inhabile, trama sous main contre Biren, qui fut relégué; et Anne de Mecklembourg, mère d'Ivan, fut proclamée régente. Münnich espérait, en récompense, le titre de généralissime; mais Anne le conféra à son mari, et il se vit même bientôt destitué des fonctions de premier ministre, attendu qu'il favorisait la Prusse, tandis que la régente penchait pour l'Autriche.

Ivan VI. 1740.

1740.

Élisabeth, fille de Pierre le Grand, ne s'était pas mise en avant Élisabeth, pour faire valoir ses droits au trône, uniquement par inertie voluptueuse. Mais un barbier français, nommé Lestocq, ourdit une trame en sa faveur, et se présenta devant elle avec un papier sur lequel on la voyait représentée, d'un côté, la tête rasée, et lui expirant sur la roue; de l'autre, elle sur le trône, et lui assis à ses pieds: Ce soir l'un, ou demain l'autre, lui dit-il. Élisabeth laissa faire; et la révolution, commencée le soir avec cent cinq grenadiers, était 6 décembre. accomplie le lendemain matin. Lorsque le jeune Ivan s'éveilla, il se trouva entre les bras de la nouvelle impératrice; et, en entendant les acclamations du peuple, il s'écria avec les autres: Vive Élisabeth! Alors la fille de Pierre le Grand ne put s'empêcher de dire : Pauvre enfant! tu ne sais pas que tu cries contre toi-même.

Ce fut une véritable insurrection contre les étrangers, qui furent massacrés et expulsés dans tout l'empire. Ceux qui servaient dans l'armée prirent leurs mesures pour se défendre, et passèrent

à la solde d'autres puissances. Les coutumes nationales furent rétablies; on afficha l'ignorance et la grossièreté, un luxe sans élégance, une superstition intolérante. Les vastes projets que les Russes étaient capables d'effectuer, mais non de concevoir, furent abandonnés. On enlevait des enfants pour les rendre esclaves, sous prétexte de les convertir. Élisabeth, qui avait gagné les soldats à sa cause à l'aide de voluptés dégradantes, obtint désormais, comme chef de l'Église, une vénération sans bornes.

Elle avait promis, non par clémence, mais par effroi de tout ce qui lui rappelait l'idée de la mort, qu'elle n'enverrait personne au supplice; mais le knout, l'amputation de la langue, la déportation en Sibérie, châtièrent les anciens favoris, sous le prétexte habituel d'une trame ourdie par eux. La famille détrônée fut confinée à Orenbourg; Ostermann, Münnich et d'autres encore furent envoyés en Sibérie. Si Élisabeth n'institua pas, elle maintint la chancellerie secrète, inquisition politique sans pitié; et quatrevingt mille personnes brisées par le knout, mutilées, affamées, remplirent la Sibérie de gémissements désespérés. Tant de gens y avaient été déportés depuis 1730, que, bien qu'Élisabeth en eût rappelé vingt mille, il en restait encore un grand nombre; plusieurs avaient été ses amants, et tous étaient dans l'obligation de cacher leur nom de famille.

Bestoucheff, homme aussi inculte que corrompu, aussi vigoureux d'esprit que de corps, tenait la czarine sous sa domination, et sacrifiait le pays à sa cupidité; mais les caprices lascifs d'Élisabeth lui donnaient des rivaux éphémères de toute classe et de toute nation. Tels furent Razoumoffski, paysan ignorant de l'Ukraine, devenu choriste de la chapelle, qui lui plut pour sa belle voix; le prince héréditaire de Hesse-Hombourg, et la Chétardie, ambassa. deur de France, qui emporta un million et demi de cadeaux.

La politique variait au gré de ces galants. Bestoucheff, favorable à l'Autriche, parvint à renverser Lestocq qui inclinait pour la France, et, à la suite d'un procès impudent, le fit condamner à la peine de mort, qui fut commuée ensuite en exil perpétuel, avec deux roubles par jour. Tout à coup Élisabeth devint dévote : elle épousa Razoumoffski; puis, pour réprimer la licence de la capitale, elle fit emprisonner une foule de femmes. A celles qui faisaient trafic de leurs charmes s'en trouvèrent mêlées d'honnêtes, sur les dénonciations d'ennemies ou de rivales. Ceux qui avaient des

enfants naturels durent les légitimer par le mariage, quelque inégal qu'il fût, sous peine d'être envoyés aux mines d'Orenbourg.

Quoiqu'elle versât des larmes en apprenant la mort de ses sujets tués en combattant, elle considérait la guerre comme l'état normal de la Russie, qui devait, selon elle, rester continuellement menaçante pour les Etats voisins. Elle étendit ses possessions, trafiquant à son profit de ses inimitiés ou de ses alliances. Elle acquit, par la paix d'Abo, la province de Kymenogorod, la forteresse de Nyslot et les îles situées à l'embouchure du Kymène, que lui céda la Suède. Elle assujettit entièrement à la Russie les États de Courlande et de Semigalle, dompta la Turquie, fit trembler Frédéric II, dont elle occupa même la capitale. Ce fut pour la Russie un grand pas d'avoir soumis les Cosaques, mélange formé des débris Cosaques. d'anciens Khazars, de Polovtzs, de Mongols, de Tures, de Circassiens, de Lithuaniens, d'aventuriers de tous pays, dont l'existence exprime la décadence de l'ancien esprit asiatique, et la prédominance croissante de la civilisation européenne. Les Cosaques dits Zaporogues, c'est-à-dire habitant au-dessus de la cataracte du Dniéper, avaient vécu sous le patronage commun de la Russie et de la Pologne, jusqu'au moment où ils se donnèrent tout à fait à la première en 1686. Charles XII les souleva en sa faveur lorsqu'il combattait contre Pierre; et Mazeppa, leur chef, en mena une troupe à son secours (1708); mais, après la bataille de Pultava, ils furent empalés et écartelés par milliers, et remis sous le joug.

Ceux qui n'avaient pu traverser alors le Dniéper, à Otchakov, établirent sur le bord de ce fleuve une nouvelle setcha (retranchement) sous le khan des Tartares de Crimée, et furent gouvernés par l'hetman Philippe Orlik, qui avait succédé à Mazeppa. Habitant dans une quantité de maisons dispersées et mal construites, ils devaient appartenir chacun à l'un des trente-deux kourènes ou quartiers qui formaient comme autant de familles sous un hetman, mangeant en commun, et dépendant toutes d'un hetman général.

Il n'y avait aucune femme dans la setcha, et celui qui voulait prendre femme en sortait; mais ils se recrutaient des fugitifs d'autres nations, et de jeunes garçons qu'ils enlevaient. Au commencement de l'année se tenait une assemblée générale, où les champs, les rivières, les lacs étaient tirés au sort, non entre les particuliers, mais entre les kourènes; et l'on élisait d'une commune

1734.

1751.

voix de nouveaux hetmans, si les anciens ne plaisaient pas. On réunissait aussi une assemblée extraordinaire lorsqu'il y avait quelque expédition à entreprendre, ou tout autre intérêt grave à discuter. Un juge décidait les affaires de peu d'importance; les autres étaient soumises à tous les chefs réunis.

Les Russes ayant anéanti cette horde, les Tartares reçurent les Zaporogues sur la rive gauche du Dniéper, et la Russie conserva sur les Cosaques de l'Ukraine la souveraineté qu'elle perdait sur les premiers. Daniel Apostol, leur hetman, s'étant rendu à Moscou, y obtint plusieurs ordonnances favorables à sa nation, l'allégement des impôts, la liberté du commerce. Enfin les Zaporo. gues, après être restés vingt-quatre ans sous les Tartares, invoquèrent la domination russe, et transportèrent, au nombre de deux millions, leur setcha sur le Podpolnaïa. A la mort d'Apostol, Anne abolit la charge d'hetman, et mit dans le pays un gouvernement russe. Mais Élisabeth rétablit cette dignité pour un frère de son favori Razoumoffski, partisan des Cosaques. Plus tard, lors de la paix de Kaïnardji, les Cosaques Zaporogues ayant élevé quelques prétentions sur partie de la province cédée par la Porte, Catherine fit détruire leur setcha (1775); ce qui en fit émigrer un grand nombre en Bessarabie, puis en Moldavie. D'autres furent envoyés sur la côte orientale de la mer d'Azov (1787), avec le nom de Cosaques de la mer Noire, où plus tard (1804) ils eurent une organisation particulière.

Afin d'assurer la succession dans la descendance directe de Pierre le Grand, Elisabeth appela près d'elle Pierre, duc régnant de Holstein-Gottorp, né d'Anne, fille aînée de Pierre ; et, lui ayant fait embrasser la religion grecque, elle le fiança à Sophie d'Anhalt-Zerbst, qui reçut dans sa nouvelle religion le nom de Catherine. Jeunes tous les deux, ils s'amusaient gaiement ensemble; mais bientôt ils se trouvèrent contrariés dans une cour menée par des favoris. Bestoucheff, qui haïssait Pierre, cherchait à ruiner son influence, et l'entourait à cet effet d'espions, engeance redoutable à cette époque. Catherine en effet, instruite et spiituelle, conçut de la haine contre son mari, qui paraissait la mériter. Ivrogne, coureur de mauvais lieux, farouche, ombrageux, il faisait de folles dépenses en soldats et en bâtisses, au point de rester toujours sans argent. La naissance d'un fils ne le ramena pas à sa femme. Ayant ensuite noué secrètement des relations avec le roi de Prusse,

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