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les débiteurs insolvables, les femmes et les prévenus de délits divers, étaient sagement répartis dans des endroits différents. Les prisons de Rome avaient plus d'apparence que d'effet; celles de Naples regorgeaient de malheureux sans air et sans travail. Howard dit à Joseph II que le gibet était préférable aux forteresses autrichiennes.

Ce philanthrope anglais, honoré du titre de père des prisonniers, disait : « Les coupables doivent être seuls dans des cellules séparées, et s'occuper de quelque travail. S'ils sont réunis, ils auront honte de revenir au bien; laissez-les seuls avec eux-mêmes, et ils pourront concevoir la honte du mal. L'homme solitaire sent sa faiblesse ; il craint plus qu'il n'espère, et il n'est pas entreprenant. La solitude et le silence effrayent le crime; ils portent l'âme à la réflexion, et la réflexion porte au repentir. Le méchant est un homme dépravé; il se purifie dans le recueillement et dans le calme; et les heures taciturnes et pensives ramènent plus d'hommes égarés ou coupables à l'amour de l'ordre et de l'honnêteté, que les châtiments les plus sévères. »

L'agriculture était tout à fait négligée en Allemagne, surtout Agriculture. dans les provinces dont se forma la Prusse. Les grands propriétaires s'occupaient d'intriguer dans les cités, laissant leurs terres à des fermiers ou à des colons dénués de connaissances et de moyens pour les améliorer. Le Hanovrien Albert Thaer, après avoir étudié les méthodes et les pratiques de l'Angleterre, établit à Celle une espèce d'école rurale, publia un traité sur l'agriculture anglaise (1794), et écrivit ensuite les annales de l'agriculture. Mitterpacher, de Bude, donna en latin le premier cours complet de cet art, et on le traduisit dans toutes les langues.

Geoffroy Copley institua, dans la Société royale de Londres, un prix en faveur de celui qui ferait les meilleures expériences dans l'intérêt de la conservation des hommes. Ce prix fut décerné au capitaine Cook, qui put mener à fin ses mémorables expéditions en ne perdant qu'un très-petit nombre de marins.

L'Anglais Guillaume Hawes fonda la Société d'humanité destinée à donner des secours dans les cas de mort apparente, d'inhumations précipitées, et d'asphyxie par immersion. Henri Pestalozzi introduisit à Zurich des méthodes raisonnées d'éducation qui avaient pour but la vie et non l'école, et où il n'entrait rien des songes de Jean-Jacques : il s'appliqua, conjointement avec Fellem

Arkwright.

1739 1792.

berg, à former les enfants pauvres afin d'en faire d'honnêtes gens. L'abbé Gauthier, qui travaillait dans le même but, rendait l'instruction amusante pour ses élèves.

Richard Arkwright, né dans le Lancashire d'une pauvre famille dont il était le treizième enfant, s'était mis à rechercher le mouvement perpétuel; mais il ne tarda pas à reconnaître qu'il ferait mieux d'abandonner cette étude stérile, pour trouver les moyens de venir en aide à l'industrie au milieu de laquelle il grandissait. L'Angleterre avait alors commencé à tisser les indiennes, au lieu de les tirer du pays dont elles ont reçu leur nom; mais on en faisait la chaîne en fils de lin pour qu'elle eût assez de solidité, et le coton de la trame était filé à la main. Affrontant la pauvreté, Arkwright monta dans sa maison un instrument pour le filer mécaniquement, et bientôt il établit des manufactures à cet effet. Persécuté comme tous les novateurs, il triompha de ses ennemis par le succès, et mourut certain d'avoir doté sa patrie et le monde d'un mécanisme qui fournirait à très-bas prix les étoffes jusqu'alors réservées aux riches.

L'Écossais Jacques Watt devait exercer une influence plus grande encore. En perfectionnant les machines à vapeur pour les rendre régulières et précises, il s'occupa de les appliquer aux besoins de l'industrie, et il en fit d'abord usage pour épuiser l'eau dans les mines de charbon de Kinneil. S'étant ensuite associé avec Boulton, riche fabricant de Birmingham, il construisit des machines qu'il donnait aux extracteurs de mines, en n'exigeant d'eux en retour que le tiers de l'économie qu'ils feraient en combustible, ce qui produisit des sommes énormes. C'est à quoi se borna dans le cours de ce siècle une application qui dans le nôtre devait acquérir une si vaste importance.

C'est ainsi que le peuple commençait à s'élever à l'aide de la compassion les seigneurs voulaient se faire pardonner leurs jouissances disproportionnées; les écrivains lui empruntaient des inspirations nouvelles et de nouveaux héros, les philanthropes cherchaient sincèrement le bien; de telle sorte qu'il en résultait une bienveillance universelle, une sorte de culte de l'humanité.

Au milieu de cet élan vers l'amélioration donné à la société au nom de la philanthropie, comme en d'autres temps au nom de la charité, on eut à déplorer plus d'un genre de délire. Certaines expériences coûtèrent des millions à l'État, et entraînèrent la ruine

de beaucoup de familles. On voulut expliquer, par les attractions de Newton, la formation du foetus et celle des montagnes. Les géomètres eux-mêmes soutinrent qu'en excitant l'exaltation de l'âme à un certain degré, il était possible de deviner l'avenir. On attaqua la propriété ; la société fut considérée comme un pervertissement de l'homme..... Mais la philosophie, qui avait pour croyance les droits de l'esprit et pour but les progrès de l'humanité, montrait à ceux qui l'accusaient de ces folies les améliorations comme son ouvrage; et, devenue de plus en plus absolue, affranchie de doutes, se complaisant en elle-même, elle élevait contre le passé une bannière sur laquelle elle avait inscrit Raison et Philanthropie.

CHAPITRE X.

ABOLITION DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

Ainsi la société était doublement attaquée par les doctrines encyclopédiques et par les doctrines économiques, par la science et par les intérêts. Il était impossible qu'une si grande masse d'idées révolutionnaires n'amenât pas des effets réels; leur premier triomphe fut la destruction de la compagnie de Jésus. Nous avons vu que cette société avait été instituée pour s'opposer à la réforme, et qu'elle était parvenue à arrêter le protestantisme. Or cet esprit d'indépendance renaissait; et trouvant cette barrière devant lui il la renversa (1).

Une organisation compacte avait fait parvenir la compagnie de Jésus à cette grandeur inouïe qui, l'ayant rendue un objet de crainte pour toute l'Europe, pour les peuples comme pour leurs oppresseurs, Jui attira la persécution dans un siècle qui proclamait la tolérance. Nés au moment où les lettres et la civilisation étaient à leur apogée, les jésuites, au lieu de s'obstiner à pousser la société en arrière, à prêcher la pauvreté, à faire la guerre aux doctrines, secondèrent

(1) Pour tout ce qui concerne les jésuites, voyez les Prolegomeni al primato morale e civile degl'Italiani et le Jesuita moderno, par M. VINCENT G10BERTI. Cet illustre philosophe théologien a prouvé jusqu'à l'évidence que la compagnie de Jésus commença à s'écarter du but de son institution aussitôt après la mort de son grand fondateur saint Ignace, et finit par devenir, telle qu'elle était à l'époque de son abolition et telle qu'elle est de nos jours, une secte principalement politique, non moins nuisible à la religion qu'hostile à la civilisation. (LEOPARDI.)

T. XVII.

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le mouvement. Ils s'appliquèrent à l'instruction de la jeunesse, alors très-négligée; ils ne se cachèrent pas dans des déserts; mais s'établissant dans les villes, dans les cours, et se faisant valoir partout, ils se mirent à diriger les rois. Des académies, des théâtres, des parties de campagne, des exercices gymnastiques, furent les moyens dont ils se servirent pour préparer leurs élèves à la vie sociale; leurs églises offraient aux beaux-arts l'occasion de s'exercer; ils cherchaient dans les missions les avantages corporels, en même temps que le salut des âmes; et, de même qu'ils enrichissaient la pharmacie en lui procurant le quinquina, ils adoucissaient la rigueur des jeûnes en introduisant l'usage du chocolat. En résumé, ils se transformaient selon la marche du siècle; et tandis que le siècle se moquait des franciscains parce qu'ils étaient sales, des dominicains parce qu'ils étaient persécuteurs, des religieux de Citeaux parce qu'ils étaient oisifs, des chartreux parce qu'ils se renfermaient dans la vie contemplative, il voyait mêlés avec lui les jésuites, vêtus comme le reste du clergé, missionnaires dans les colonies, poëtes agréables, écrivains polis, historiens soigneux à l'usage des écoles : c'étaient en même temps des courtisans déliés, qui connaissaient les faiblesses du temps et savaient les façonner, et des publicistes d'une liberté antérieure et tout ensemble supérieure à celle des philosophes.

Mais, loin d'entendre le progrès à la manière du siècle, c'est-àdire comme un divorce avec le passé et avec l'Église, ils restaient étroitement attachés à Rome. Le pontife désapprouvait-il certaines de leurs tolérances ? ils n'hésitaient pas à obéir, dût-il leur en coûter les conquêtes achetées par deux siècles de martyres, et l'espérance de convertir le plus grand empire du monde.

Ils soutenaient même les droits de la cour de Rome avec une ténacité qui ne cédait rien à ce besoin croissant d'émancipation qui se faisait sentir partout. La supériorité acquise par ces ecclésiastiques, qui de plus n'étaient point assujettis aux austérités prescrites par les anciennes règles religieuses, inspirait de la jalousie aux autres ordres, qui désapprouvaient leur esprit séculier. Ils leur imputaient aussi de s'être écartés de leur institution première, pour se consacrer abusivement à des occupations mondaines, et se faire bien accueillir des puissants.

En entrant dans la compagnie de Jésus, au lieu de renoncer à ses biens, on en disposait en faveur de la maison, et le donateur en

conservait l'administration durant toute sa vie. Dans l'origine, les quatre vœux n'étaient proférés que par un petit nombre, qui, vivant d'aumônes, ne s'adonnaient qu'à la vie spirituelle; tandis que les coadjuteurs vaquaient aux charges administratives et aux occupations temporelles : on pouvait ainsi être rigoureux dans les choix, et les uns veillaient sur les autres. Puis l'usage s'introduisit de donner les charges aux profès eux-mêmes; ils purent devenir recteurs et provinciaux, ce qui supprima l'opposition, relâcha la rigueur des choix, et ouvrit le champ à l'ambition. Quelques généraux songèrent à une réforme, mais ils trouvèrent de la résistance; et même, par déviation au principe originaire, strictement monarchique, on plaça, par suite des idées constitutionnelles du temps, un vicaire à côté du général.

Les écoles des jésuites n'étaient pas aussi florissantes que lorsqu'elles se trouvaient seules: elles conservaient pourtant l'art, aussi difficile qu'important, de faire aimer aux élèves leurs maîtres et l'étude. Bien qu'ils donnassent l'instruction gratuitement, ils acceptaient des présents, et montraient de la préférence pour les enfants de bonnes familles ; il en résultait des relâchements dans la discipline, à tel point qu'il y eut plus d'une fois dans leurs établissements des rixes, des soulèvements, même des assassinats.

En Italie, c'étaient des jésuites qui écrivaient le mieux, ce quí ne veut pas dire bien. En France, où ils rédigeaient le Journal de Trévoux, ils occupaient un poste avancé dans la littérature militante: ils employaient une critique sérieuse, érudite, piquante, à conserver la pureté de la langue contre les novateurs, et l'examen équitable des faits, l'érudition solide, contre les sceptiques et les épicuriens.

Voyant le monde s'éloigner de plus en plus des pratiques religieuses, ils les allégèrent autant qu'il leur fut possible; et, afin que les chrétiens ne rompissent pas le frein par trop tendu, ils préférérent rendre la main, cherchant des excuses aux égarements jusqu'au point où l'on pouvait le faire sans disculper le méfait. Quelques-uns d'entre eux ont défini le péché un éloignement volontaire de la règle de Dieu, consistant dans la connaissance de la faute et dans le parfait accord de la volonté (1). On déduisait de là, avec une subtilité toute scolastique, un laisser aller qui faisait de la passion,

(1) FR. TOLEDO. BUSEMBAUM.

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