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Jenner. 1749-1823.

qu'ils la contractaient dans un âge où ils étaient déjà forts; en outre l'usage avait fait aux femmes une obligation de rester au chevet de leurs maris lorsqu'ils en étaient atteints, avec la certitude de perdre la vie ou au moins leur beauté. Pendant la régence, les fêtes et les réu. nions fréquentes accrurent la force du mal, qui en 1723 moissonna, dans Paris seul, vingt mille personnes. Cependant on n'y songea pas à l'inoculation; une lettre sur ce sujet, adressée par la voie de la presse à Dodart, premier médecin de Louis XV, par Lacoste, ne produisit point d'effet. On répétait dans les thèses et dans les livres que l'inoculation tuait beaucoup de personnes ; qu'elle n'empêchait pas le retour de la petite vérole; qu'elle ne faisait pas évacuer toute la matière morbide; qu'elle venait d'empiriques ignorants; qu'elle s'opposait aux desseins de la Providence, et que les anciens ne l'avaient pas connue. L'Académie de médecine repoussait ce remède non par inhumanité, mais par suite de cette aversion habituelle des corps savants pour tout ce qui porte à douter de soi, et force d'admettre des vérités nées hors de leur sein. Elle se scandalisa lorsque Chirac, médecin du régent, proposa de former une académie qui entretînt une correspondance avec tous les médecins de l'Europe, et fécondât la vérité à l'aide d'expériences. Il est si doux de dormir lorsqu'on s'est procuré un siége moelleux! On continua donc pendant trente ans à tuer les gens atteints de la petite vérole, soit en leur donnant des stimulants, selon la méthode française, soit en les soignant selon celle de Sydenham. Louis XV en mourut; et quand Louis XVI se laissa inoculer, à la prière de sa femme, les actions publiques en éprouvèrent une secousse.

La Condamine fit paraître en 1754 une apologie chaleureuse de l'inoculation, où il démontrait par des chiffres que si elle eût été introduite en 1723, elle eût épargné à la France sept cent soixante mille victimes de la petite vérole. On lui répondit; mais Gatti, pour triompher des hésitations de la France, proposa un prix de douze cents livres pour celui qui établirait un seul cas où la petite vérole naturelle serait reparue après l'inoculation; et il obtint du roi l'autorisation d'inoculer les élèves de l'École militaire (1769).

Enfin la vérité l'emporta, et les gouvernements employèrent jusqu'à la force pour vaincre les préjugés. Jenner observa ensuite que, dans certains comtés d'Angleterre, ceux qui gardaient les vaches contractaient, en les trayant, une espèce de pustule qui les garantissait de la petite vérole, tellement que l'inoculation ne pouvait

1798

Abbé de l'Épée. 1712-1789.

même prendre sur eux. Il multiplia les observations, les expériences, et publia ses immortelles recherches sur les causes et les effets de la variole vaccine, livre qui fut traduit aussitôt dans toutes les langues. Un sourd-muet dans une famille était considéré non-seulement Sourds-muets, comme un malheur, mais comme un opprobre, en même temps que le vulgaire vénérait en eux quelque chose de surnaturel, comme on le fait encore aujourd'hui pour les crétins dans le Valais. Des tentatives pour leur éducation avaient été faites, surtout en Espagne et en Italie, au commencement du dix-huitième siècle. Le juif portugais Pereira instruisait à Paris les sourds-muets, et il en présenta quelques-uns à l'Académie et au roi; mais, ou il n'existait pas encore de méthodes fixes, ou l'on en faisait un secret. Une vive compassion pour ces infortunés porta l'abbé de l'Épée à affronter les préoccupations et les contrariétés, pour créer un intermédiaire entre le langage parlé et l'intelligence de ses élèves; il multiplia, en conséquence, et fixa les signes corporels appropriés au sourd-muet. L'abbé Sicard, qui perfectionna ensuite cette méthode, en peut être considéré comme le second inventeur. Pour la répandre, l'abbé de l'Épée s'appliqua à apprendre plusieurs langues; et comme Catherine II lui adressa des félicitations par son ambassadeur : Qu'elle m'envoie plutôt, dit-il, un sourd-muet à instruire. Joseph II lui ayant offert une abbaye, il lui répondit: Ce n'est pas à moi que vous devez faire du bien, mais à mon œuvre. Il lui demanda donc de fonder à Vienne un institut semblable. Puissent les différentes nations, répétait-il, ouvrir les yeux sur les avantages d'une école pour les sourds-muets de leurs pays! Je leur ai offert et je leur offre encore mes services; mais qu'elles se souviennent que je n'accepterai aucune récompense, quelle qu'elle soit (1)!

Hay fonda en 1786 une école d'aveugles.

Cet esprit philanthropique se montrait aussi dans les mesures émanées des rois. Le collége de la Flèche fut établi sous Louis XV, pour élever deux cent cinquante jeunes gentilshommes jusqu'à l'âge de quatorze ans ; ils passaient alors à l'École militaire, qui en recevait cinq cents, et à qui l'on dut la plantation des Champs-Élysées.

(1) On cite parmi ceux de ses disciples devenus instituteurs, l'abbé Stork à Vienne, l'abbé Silvestri et l'avocat consistorial de Saint-Pierre à Rome, Ulrich en Suisse, Dangulo et d'Alea en Espagne, Dole et Guyot en Hollande, Sicard, Salvan, Huby en France. L'abbé Assarotti introduisit à Gênes et y soutint cet enseignement avec ses propres ressources.

Prisons.

1727-1790.

C'est à peine si sous le règne fastueux de Louis XIV il avait été construit cinq ports; et les chemins étaient dans un tel état, que la plupart des gens voyageaient à cheval. Au dix-huitième siècle, les routes s'améliorèrent, les ponts se multiplièrent, et celui de Neuilly, entre autres, est un chef-d'œuvre de Perronet. En 1662 l'abbé Laudati, de la famille italienne des Colonne, obtint des lettres patentes pour établir, tant à Paris que dans d'autres villes du royaume, des stations où l'on pouvait louer une lanterne et un homme pour se faire accompagner avec de la lumière; le tarif était de cinq sous par quart d'heure pour l'éclairage d'une voiture, de trois sous pour les personnes à pied (1). On commença à cette époque à éclairer les rues. L'université de Paris avait introduit les messageries, et elle obtint du roi, pour les lui céder, une somme annuelle sur leur produit, à la charge de donner gratuitement des leçons. Elles prirent alors plus d'extension et de régularité; le service de la petite poste fut aussi organisé pour l'intérieur de la capitale, sur le projet de Chamousset (1759).

On avait placé en 1728 des écriteaux qui indiquaient le nom des rues; le Jardin des plantes fut agrandi; on commença l'exposition des arts au Louvre (1740). En 1769 on prolongea le quai le long de la Seine, depuis Notre-Dame jusqu'à l'Esplanade des Invalides. En 1776 fut établie une banque d'escompte, et le mont-de-piété l'année d'après. En 1780 fut fondée la Société philanthropique, et une école gratuite pour enseigner à faire le pain. Le roi ordonna que les malades de l'hôtel-Dieu eussent chacun leur lit, et fussent placés dans des salles distinctes, selon le genre des infirmités.

Nous parlons préférablement de la France, non pas tant parce qu'elle fait d'ordinaire plus de bruit des innovations, que parce qu'elle assume souvent en effet la mission d'initiatrice, et qu'elle rend ses améliorations communes à toute l'Europe, en leur donnant de la publicité. Du reste, cet esprit de philanthropie est le caractère de la culture intellectuelle dans toute l'Europe. Nous nous occuperons à part des Italiens. L'Anglais Howard, capturé en mer par un armateur français, médita dans sa captivité sur les maux des prisonniers, et résolut de s'en faire le protecteur. En révélant avec vivacité leurs souffrances au public, il obtint qu'elles fussent adoucies. Il voyagea ensuite dans toute l'Europe, dans une partie de

(1) BELKMANN.

l'Asie et de l'Afrique, examinant les bagnes et les galères, et y portant des consolations et des secours. Il déclara que les prisons d'Angleterre étaient tout à fait misérables, et plus encore les maisons de correction, où, par suite de la ténacité constitutionnelle, on continuait de donner à chaque détenu un pain d'un sou par jour, quoiqu'il pesât moitié moins qu'à l'époque où la loi avait été faite. En outre, des gens de toute espèce, de tout sexe et de tout âge y étaient confondus, sans travail, sans instruction, sans propreté. Souvent les fièvres des prisons les décimaient. Comme les bâtiments étaient peu sûrs, on mettait des fers aux détenus, qui restaient exposés aux mauvais traitements des geôliers: il n'était pas rare même que ceux-ci prolongeassent leurs peines à leur gré, tandis qu'ailleurs on permettait aux bourgeois de venir boire et jouer avec les prisonniers.

Il en était de même en Irlande et en Écosse, sauf que la diffusion plus grande de l'instruction et le sentiment de la dignité personnelle y rendaient les crimes très-rares.

En Suède, un officier de la chancellerie devait visiter tous les samedis les prisons, qui étaient réglées avec plus de bon sens et moins d'inhumanité qu'ailleurs.

En Danemark, on enchaînait encore les prévenus de meurtre; les coups de fouet, le gibet, la roue, étaient infligés sur les places publiques. Les infanticides étaient très-fréquents dans le pays; et les femmes qui en étaient coupables, condamnées à la réclusion perpétuelle, sortaient chaque année de leur cachot, le jour anniversaire de leur crime, pour être fustigées publiquement.

Les Russes étaient de vrais barbares, et les particuliers même avaient chez eux des prisons.

En Hollande, au contraire, il y avait de l'ordre et de la propreté : les séparations convenables étaient établies; les heures du jour avaient leur emploi déterminé ; des médecins étaient chargés de la surveillance; on célébrait l'office divin les jours de fête, et les gardiens étaient désignés par les noms de pères et de mères. Il y avait des chambres pour renfermer, à la requête de leurs parents, les jeunes gens de mauvaise vie; ce qui était en usage dans toute l'Allemagne, où l'on inscrivait même sur les chambres de cette espèce le nom de quelque pays, afin de pouvoir répondre que les détenus se trouvaient, par exemple, dans l'Inde, en France ou en Italie. Il y avait, du reste, peu de détenus en Allemagne, attendu que les procédures s'y expédiaient promptement, et que les condamnés

étaient forcés de travailler aux routes et aux fortifications. Il n'y avait plus de cachots au fond des tours; mais on continuait à appliquer la torture, sauf toutefois en Prusse, et les condamnés devaient gagner leur vie en travaillant et en mendiant. A Hambourg, le geôlier était en même temps bourreau. A Manheim et ailleurs, on donnait la bienvenue et le bon voyage aux détenus en leur appliquant une bonne bastonnade.

A Gand, les états de Flandre avaient fait construire une bonne maison de correction.

La France était bien arriérée. Beaucoup de malheureux étaient ensevelis dans des cachots souterrains, tant en province qu'à Paris même, quoiqu'une compagnie fondée dans cette ville en 1753 s'occupât de procurer des secours aux détenus, et qu'une dame de charité fût attachée à chaque prison. Les prisons de la Bastille étaient à juste titre redoutées.

Les prisonniers étaient aussi enchaînés en Suisse, mais les jugements y étaient prompts; les condamnés aux peines plus graves devaient balayer les rues avec un collier de fer; les autres, filer et tisser.

En Espagne, à l'exception de la Navarre, la torture continuait à être en usage; les jugements n'avaient pas de fin; les geôliers donnaient des chambres et allégeaient les chaînes moyennant finance. Deux membres du conseil privé devaient visiter les prisons chaque année, avec pouvoir de diminuer les peines. Les libertins et les vagabonds étaient renfermés dans la magnifique prison de Saint-Ferdinand, près de Madrid, où ils portaient un vêtement uniforme et se livraient à un travail régulier.

En Portugal, la société de la Miséricorde, composée de personnes distinguées, secourait les prisonniers, payait pour ceux qui n'étaient pas en état de le faire une taxe due à la sortie, et dans quelques pays les détenus ne vivaient que d'aumônes. Les procédures étaient fort longues, et les geôliers permettaient aux détenus de sortir, à la condition de revenir pour l'appel.

Les prisons étaient déplorables à Turin, et elles ne valaient guère mieux à Milan, à l'exception de la maison de correction. Les plombs et les puits de Venise ont conservé une sinistre renommée. Lucques était dans l'habitude d'envoyer ses délinquants à Venise ou à Gênes; elle eut ensuite de mauvaises prisons. En Toscane, le grand-duc Léopold en avait fait disposer de meilleures. A Gênes,

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