les reproduisant dans des dessins, dans des romans, dans des drames. Morellet trouve en Italie le Directorium inquisitorum, et en donne une traduction; il traduit le livre des Délits et des peines par Beccaria, et l'on en répand sept éditions dans une année. Voltaire se fait bénir des opprimés, dont il se constitue le protecteur. Ce n'était plus le temps où la chose publique était un mystère, où il suffisait d'en parler pour être disgracié, comme Fénelon et Racine: les sciences politiques s'affranchissaient; les pratiques de l'administration étaient assimilées aux autres parties des connaissances humaines; la prospérité publique était devenue le sujet des études et des entretiens du beau monde; on dirait que, ne croyant plus à la vie future, on voulût accroître les jouissances et diminuer les maux de la vie présente. Il sembla que les cours elles-mêmes fussent devenues philosophes. Turgot et Malesherbes, disciples de l'Encyclopédie, furent appelés au ministère; en France et ailleurs les princes donnaient des codes en harmonie avec les idées des penseurs ; mais la société était bien plus avancée qu'eux, et, dépassant la sphère politique, elle demandait une réforme complète. Toutefois les philosophes eux-mêmes, bien que si hardis dans leurs théories, croyaient que le changement ne pouvait venir que du trône; c'est de lui qu'ils l'invoquaient, et ils espéraient en conséquence qu'il s'effectuerait tranquillement. Dans cette attente, beaucoup de particuliers s'employaient à instruire et à améliorer le peuple, à faire prospérer l'agriculture, à étudier les maladies des bestiaux, à introduire des plantes étrangères. Ce Malesherbes que nous venons de nommer, et qui devait ensuite se faire le défenseur d'un roi destiné à l'échafaud, avait débuté en 1756 par combattre la multiplicité et la rigueur des impôts. Sept ans après il rédigeait cinq mémoires sur la législation de la presse, et en même temps il enrichissait les jardins et les bois d'espèces nouvelles. La première société économique fut instituée à Zurich en 1747. On en fonda une d'agriculture à Paris en 1761, et elle fut bientôt imitée dans les provinces. Les questions frivoles avaient cessé dans les académies: « Les programmes de leurs prix, dit Marmontel, intéressaient par des intentions saines et profondes, soit sous le rapport de la morale et de la politique, soit sous celui des arts utiles et bienfaisants; on était étonné de la grandeur des questions, 1737-1816. qui, plus que toute autre chose, montraient la direction et les progrès de l'esprit public. » L'Académie des sciences, en 1737, chargea Bailly d'un rapport sur la construction des hôpitaux, où il réunit tout ce que les sciences et la pratique suggéraient de mieux pour le soulagement de l'humanité. Celle de Besançon, prenant en considération les fréquentes disettes, proposa en 1771 un prix à celui Parmentier. qui trouverait une nourriture nouvelle à l'usage du peuple. Parmentier pensa que la pomme de terre lui fournirait cet aliment. Déjà connue depuis quelque temps, elle était repoussée par le préjugé ou par la négligence; mais il s'obstina à en triompher. Il obtint du gouvernement un terrain dans la plaine des Sablons, et fit mettre à la mode par les dames la fleur de ce tubercule; il plaça des sentinelles à l'entour du champ, pour faire voir qu'il attachait un grand prix à ses produits, et pour stimuler le désir du fruit défendu ; puis il donna un repas où assistaient Franklin, Lavoisier et d'autres célébrités, et la pomme de terre s'y montra sous toutes ses transformations. Duhamel étudia l'anatomie d'un grand nombre de plantes; et donna un traité général des arbres à fruit, et un autre de la culture des terres. Il développa dans ce dernier ouvrage une méthode nouvelle, proposée par l'Anglais Jethro Tull, consistant à remplacer le fumier par plusieurs labours, méthode qui fut ensuite reconnue fausse. Il publia d'autres écrits non moins utiles à la science qu'à l'économie, et expliqua la formation des os et celle des bois, en prenant toujours l'expérience pour guide. Claude Bourgelat, de Lyon, s'occupa des chevaux et de leurs maladies; et il écrivit pour l'Encyclopédie les articles relatifs à l'art vétérinaire, dont il ouvrit la première école dans sa ville natale en 1762. L'abbé Rozier, aussi de Lyon, qui lui succéda, étendit et améliora cette science. S'appliquant ensuite à l'agriculture, il rechercha dans ses voyages et dans la science de nouvelles sources de prospérité pour le pays; un cours d'agriculture qu'il publia est écrit avec chaleur et simplicité. Le médecin Helvétius enseigna les soupes économiques, dites depuis à la Rumford; tandis que Parmentier améliorait le pain de munition, Daubenton introduisait les moutons mérinos. Lombe établissait à Derby un moulin à soie, dont les vingt-six mille cinq cent quatre-vingt-six dévidoirs, mus par l'eau, donnaient en vingt-quatre heures une énorme quantité de fil d'organsin. Oberkampf fondait à Jouy une manufacture de toiles peintes et une filature de coton à Essonne, industries toutes nouvelles. Les indiennes de Françe devinrent de mode à la cour, et l'Angleterre elle-même les rechercha. L'abbé de Lasalle, chanoine de Reims, touché de l'ignorance des enfants du peuple, fonda l'École des frères ; et le chevalier Paulet introduisit parmi eux l'enseignement mutuel. Oberlin de Strasbourg institua dans sa paroisse des asiles pour l'enfance; et, afin de détruire la misère, cette source féconde de maux, il améliora l'économie rurale: un canton stérile et désolé des Vosges fut par lui transformé en jardin. Montyon, qui devait ensuite se faire bénir à jamais pour les prix qu'il institua, en fondait alors un premier (1780) pour des expériences utiles aux arts, un autre pour l'œuvre littéraire la plus profitable à la société, un troisième pour l'expérience qui rendrait moins nuisibles les opérations mécaniques, et pour l'artisan qui simplifierait un procédé industriel; un quatrième pour celui qui trouverait les meilleurs moyens de suppléer et d'économiser le travail des nègres. Le nombre des machines augmenta; on établit les pompes à feu, l'éclairage public, les cimetières en plein air. Les horloges furent perfectionnées; on introduisit le tartre émétique, et les secours pour les noyés. La chimie améliora les procédés des arts et de la pharmacie. Berthollet enseigna à blanchir les toiles avec le chlore. Lavoisier s'occupa d'obtenir le nitre sans déranger les citoyens dans leurs maisons; il améliora la poudre à canon, ainsi que les métho⚫ des agricoles et l'élève du bétail. Poissonier trouva le moyen de rendre l'eau de mer potable; Serguin apprit à tanner les cuirs par un nouveau système; Thenard et Brongniart, à améliorer les peintures à l'huile et sur émail, ainsi qu'à faire macérer le chanvre par des procédés chimiques. Déjà Chaptal proclamait que la science est stérile, si elle n'est pas applicable: il se servait en conséquence de sa fortune pour multiplier les expériences, et pour arracher à la nature des secrets profitables à l'humanité; il introduisit les fabriques d'alun artificiel, d'acide sulfurique, de soude, et les blanchisseries à la vapeur. D'Arcet, soutenu par le comte de Lauraguais, découvrit le pro. cédé pour faire les porcelaines de la Chine; ce qui porta à étudier la méthode des potiers et des vitriers, à pousser les analyses chimiques à l'aide du feu, et valut de la célébrité à la manufacture de Sèvres. Les frères Montgolfier simplifiaient les procédés de la pa Inoculation. peterie, la fabrication de la céruse et la stéréotypie; ils appliquaient le bélier et la presse hydraudique, et osaient tenter les vols aérostatiques. Constantin Périer introduisait à Paris les pompes pour éle ver l'eau et la distribuer dans les différents quartiers, comme il en existait déjà à Londres (1779); et sa Pompe à feu de Chaillot deve nait une école de machinistes. L'habile mécanicien Vaucanson, de Grenoble, dont on admirait les automates qui faisaient de la musique, les canards qui mangeaient et digéraient, perfectionna les moulins à soie et une machine pour exécuter les étoffes à fleurs. Réveillon fabriquait des papiers peints; Lenoir, des instruments de mathématique; Argan, les lampes à double courant ; Réaumur commençait la fabrication du fer blanc et de l'acier fondu. L'art des jardins s'améliorait aussi. Ambroise Didot introduisait le papier vélin, et la stéréotypie lui procurait le moyen de donner des éditions plus correctes et à meilleur marché. Nous rappellerons ici les nombreux ouvrages de médecine populaire, parmi lesquels il suffira de citer ceux de Tissot et de Hufeland. La petite vérole, devenue indigène en Europe dès le huitième siè cle, avait ensuite sévi avec plus de force vers le commencement de 1500, et chaque année elle tuait un demi-million d'Européens. Sur dix individus, huit en étaient attaqués; un septième succombait; les autres perdaient quelqu'un de leurs membres, ou restaient défigurés. Les Grecs modernes eurent connaissance, on ne sait d'où, d'un moyen propre à prévenir ce mal, ou du moins ses ravages: il consistait à le greffer artificiellement sur le sujet qu'on voulait préserver, et les pères le pratiquaient sur leurs filles, afin qu'elles conservassent leur beauté et pussent peupler les sérails tures. L'Europe n'avait pas ignoré ce procédé ; mais elle en avait dédaigné l'usage (1), jusqu'au moment où Marie Wortley Montagu en fit reconnaître l'utilité. Elle apprit, lorsqu'elle se trouvait à Constantinople, où son mari était ambassadeur d'Angleterre, qu'une vieille femme de la Thesssalie inoculait la petite vérole avec des (1) Timonio, médecin grec, qui avait étudié à Oxford et à Padoue, publia en 1715 une Historia variolarum quæ per emissionem excitantur. En 1717 Klaunig, médecin de Breslau, donnait connaissance, dans les Éphémérides de l'a. cadémie Léopoldine-Caroline, de l'inoculation qu'il avait apprise de Skragenstiern, premier médecin du roi de Suède. Un nommé Boyer, étudiant en médecine à Montpellier, la prit pour sujet d'une thèse. On peut voir dans Sprengel les preuves de la connaissance antérieure de l'inoculation, et de l'usage qu'on en faisait en Chine, dans l'Hindoustan et dans l'Arabie. cérémonies superstitieuses, qu'elle prétendait lui avoir été révélées par la Vierge ainsi elle faisait, disait-on, une incision en croix suc le front ou sur le menton, puis elle appliquait dessus la moitié d'une noix, et exigeait en retour qu'on lui donnât des cierges. Quoique l'opération fût douloureuse, lady Montagu voulut que son fils la subit (1); et elle chercha ensuite à mettre cet usage à la mode (1718) parmi les mères d'Europe, tandis que Maitland, son chirurgien, s'occupait de persuader les médecins. Le gouvernement permit de faire l'épreuve de cette méthode sur les condamnés de Newgate, et ensuite à l'hôpital des enfants trouvés. La princesse de Galles ne craignit pas d'y exposer ses enfants, et l'exemple l'emporta sur les préjugés et sur la superstition. Plus tard Isaac Maddox, évêque de Worcester, créa, sous la protection de Marlborough, une société pour la propagation de cette découverte, qu'il proclama du haut de la chaire, quand d'autres la traitaient d'impie. Le comte de Stahremberg, ambassadeur d'Autriche, fut le premier Allemand qui se hasarda à en faire l'essai sur ses enfants. Le prince Frédéric de Hanovre se fit opérer par Maitland; Marie-Thérèse se fit inoculer, ainsi que les jeunes archiducs; Catherine de Russie suivit cet exemple; et elles triomphèrent, par des récompenses et des solennités, de la résistance des mères. En 1777 Washington soumettait toute son armée à cette opération. Peverini, médecin romagnol, l'introduisit en Italie, en se servant d'une aiguille, au lieu de la friction, des vésicants ou des charpies imbibées, dont on faisait habituellement usage avant lui. La comtesse Buffalini est citée comme une zélée propagatrice de cette pratique (2), qui fut défendue théologiquement par trois prêtres florentins, Adami, Berti, Veraci. Tronchin, médecin célèbre, la porta à Genève; l'Anglais d'Argent fut appelé en Danemark pour inoculer la comtesse de Bernstorf. En France la petite vérole faisait plus de ravages dans la classe aisée, attendu que les soins que l'on y prenait des enfants faisaient (1) C'est avec raison que les Anglais ont une espèce de culte pour les quelques lignes par lesquelles lady Montagu informa son mari de l'opération. Les voici : Sunday, march 23, 1718. The boy was engrafted last tuesday, and is at this time singing and playing, very impatient for his supper. I pray God my neat may give as good an account of him. I cannot engraft the girl, her nurse has not had the small-pox. (2) LA CONDAMINE, Mémoires, 1758, p. 769-772. |