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abrégé par l'uniformité des progrès de l'esprit humain (1). Cependant le désordre des finances, né des besoins croissants du gouvernement et de la nécessité de satisfaire aux exigences de la politique de boudoir et de famille, conduisit les esprits à méditer sur l'origine et la distribution des richesses, sur le luxe, sur l'agriculture. Le système de Law vint en aide à cette science; et l'on vit pleuvoir les livres sur le crédit, sur la population, sur les manufactures, pour expliquer la crise survenue, et pour raisonner sur ce que chacun avait expérimenté. Comme la propriété foncière seule n'avait pas péri dans cette tourmente, qu'elle s'était améliorée, au contraire, on jugea que les terres étaient l'unique richesse réelle. Ainsi naquit l'économie politique, premier système de formules précises qui avaient pour but, sous une apparence de réforme politique, de fa.. ciliter la perception des impôts et de remédier aux maux de la France.

Jusqu'alors l'économie politique n'était pas sortie des langes, quoique l'Angleterre, par suite de ses relations compliquées avec l'ancien et le nouveau monde, eût mis en lumière quelques vérités. Ainsi la compagnie des Indes s'était aperçue par expérience que l'argent était le meilleur moyen d'échange avec l'Asie; mais comme le préjugé public soutenait que la nation qui exportait le plus d'argent se trouvait en perte, il fut nécessaire de déguiser les opérations et d'abonder dans le même sens. Josias Child, Guillaume Petty, Dudley Nort, Locke, Stewart, dirent beaucoup de bonnes choses à ce sujet, sans arriver à la vérité sur la nature et les sources de la richesse.

La société vit-elle d'or et d'argent? Qu'elle mange toute l'année les produits de son propre territoire, et à la fin elle se trouvera n'avoir ni plus ni moins d'or et d'argent. Ces métaux ne servent donc qu'à faciliter les échanges, tandis que la subsistance ne se tire que des denrées de consommation ; d'où il résulte que la richesse consiste, non dans le prix, mais dans la chose. Telle était l'induction que l'on tirait; or, après avoir donné une grande importance aux arts qui produisaient de l'or, on passa à les négliger tout à fait pour l'agriculture. Le médecin Quesnay analysa le premier la formation et la distribution naturelle des richesses, en les tirant toutes de la terre, qui fournit aux travailleurs la matière première

(1) Programme de paix perpétuelle. Il est réfuté par Hégel dans ses Grandlinien der Philosophie der Rechts, et par Fichte dans son Grundlage der Naturrechts nach principien des Wissenschaftlehre.

Quesnay. 1694-1774.

et la nourriture. Le travail appliqué à l'agriculture produit l'aliment, et en outre un excédant de valeur qui doit s'ajouter à la masse des richesses, et qui, appelé par lui produit net, doit appartenir au propriétaire du terrain comme revenu disponible (1).

Fort bien mais Quesnay ne vit pas que les autres industries donnent aussi un produit net; il soutient, au contraire, qu'elles ne sauraient ajouter un fétu de paille, ni à la masse des choses sur lesquelles elles s'exercent, ni à l'opulence générale de la société. Les artisans ne produisent donc qu'autant qu'ils consomment durant le travail; lorsqu'il est fini, la somme totale des richesses ne se trouve ni plus ni moins considérable qu'auparavant, à moins que les ouvriers n'aient épargné sur leur consommation.

Les propriétaires doivent donc avoir la prééminence sur tous les autres citoyens. Mais de cette doctrine orgueilleuse résultait une conséquence qui était tout entière à la charge de l'agriculture. En effet, comment asseoir des taxes sur des gens réduits à un simple salaire? Toutes les taxes devaient donc être supportées par la terre, et prélevées sur le produit net. Que restait-il à faire à la société ? Multiplier les productions agricoles, dont les propriétaires tireraient de quoi aviver l'industrie.

Mais si les extrémités économiques où ils se trouvaient portaient les Français à analyser la puissance féconde de la richesse, la politique était pour eux plus urgente encore; et les physiocrates eux-mêmes confondirent l'économie avec la politique, et de là vint le nom donné à cette science.

L'intendant Vincent de Gournay, élevé dans le négoce, après avoir médité sur les ouvrages du Hollandais Jean de Witt et des Anglais Child et Culpeper, qu'il traduisit, ne vit pas tout dans la seule agriculture, et il s'occupa plus de la pratique que des spéculations. Une valeur nouvelle n'est pas, selon lui, produite seulement par la terre, mais aussi par le fabricant. Chacun connaît son intérêt mieux qu'un indifférent : les règlements, les gabelles, tous les obstacles à la production et à la circulation sont funestes. Laissez faire, laissez passer, devint le mot d'ordre dans la guerre contre les entraves apportées au commerce.

Turgot, qui expliqua la théorie des monnaies en montrant qu'elles ne tirent pas leur valeur de l'autorité du gouvernement,

(1) BLANQUI.

mais de leur valeur intrinsèque, poussa le sophisme de Quesnay jusqu'à diviser les travailleurs en deux classes, l'une productrice de richesses véritables à l'aide de la terre, et l'autre, stérile, ne produisant par l'industrie qu'autant qu'elle consomme.

Mais en vérité quel mérite aurait le grain produit par l'agriculture, si l'industrie n'en faisait du pain? le bois, s'il n'était transformé en maisons et en meubles? La semence n'augmente-t-elle pas de valeur dans le sein de la terre autant que l'or dans la main du bijoutier ? L'histoire prouve en outre que l'industrie et le commerce, mieux que l'agriculture, accroissent la valeur échangeable, ou par la division du travail, ou par l'application des machines. Gênes et Venise n'eurent point de campagnes, attendu qu'un peuple manufacturier et commerçant peut importer beaucoup plus de subsistances que ses terres ne lui en fourniraient.

Quoi qu'il en soit, cette règle resta établie fermement par les économistes, que les richesses d'une nation sont les objets de con. sommation reproduits par le travail incessant de la société. Ils avaient l'avantage d'être unis dans une seule pensée; ils employaient ce ton dogmatique qui impose au vulgaire, des termes semblables, une précision mathématique, et des chiffres. Ne négligeant rien, ils ennoblissaient la condition du paysan, détournaient les regards des villes pour les reporter vers les campagnes, faisaient la guerre aux monopoles pratiqués partout, et proclamés par les théoriciens (1).

Bien que leurs théories soient discréditées, il faut rendre hommage à leurs excellentes intentions. Les écrits de l'abbé Morellet, de Dupont de Nemours, de Chastellux, plaisent encore par la chaleur et la philanthropie qu'on y trouve; ils plaisent, parce qu'ils ne donnent plus seulement la force pour fondement à la paix entre les nations, et la bonne conduite à la paix entre les particuliers, mais parce qu'ils y ajoutent l'intérêt bien entendu des unes et celui des autres, lequel consiste dans l'amélioration des basses classes, et dans l'égalité sociale.

Par malheur les économistes, dans le désir d'affermir une autorité

(1) Ustaritz écrivait en 1740, après avoir été ministre, dans la Théorie de la pratique du commerce : « Il faut employer tous les moyens rigoureux qui peuvent nous conduire à vendre aux étrangers une plus grande quantité de nos productions qu'ils ne nous en vendent des leurs. C'est en cela que consiste tout le secret, c'est là l'unique activité du commerce. »

Smith.

1723-1790.

tutélaire, considéraient presque uniquement la science par rapport à l'administration et au gouvernement, faisant du roi un père de famille, c'est-à-dire un despote, quelque soin qu'ils prissent d'embellir la chose, et de se montrer convaincus qu'il lui serait impossible de résister à l'évidence avec laquelle ils lui faisaient apparaître tout l'avantage de la bonté et de la régularité; en un mot, ils se confiaient plus dans un homme que dans tous, dans le bon sens et dans le bon vouloir d'un seul que dans celui du peuple; erreur excusable au moment où ils se trouvèrent en présence de principes réformateurs.

Quesnay mit pour épigraphe, en tête de son Tableau économique Pauvres paysans, pauvre royaume; pauvre royaume, pauvres paysans; et, en indiquant la distribution des revenus territoriaux, il prit pour objet principal des impôts les prêts et les dépenses publiques. Sans que ce despotisme légal fût adopté, il se répandait toutefois plusieurs doctrines utiles: les abus des maîtrises, des douanes, des corvées, étaient mis à nu; et l'on demandait avec d'autant plus de hardiesse des remèdes aux plaies sociales qu'on croyait les obtenir promptement. Et quels étaient-ils? La liberté du commerce, la fraternité des nations; plus de taxes personnelles, plus de contributions indirectes, attendu le faux principe du produit net. C'était ainsi que les économistes aidaient à l'œuvre révolutionnaire des encyclopédistes, quoique avec des principes plus positifs.

Ces systèmes et d'autres encore tendaient à créer une science économique; mais la France en fut détournée par les réformes politiques, dont l'idée s'y mêlait comme d'urgence. En Angleterre la révolution s'était accomplie dans le siècle précédent, et les colonies, les grandes spéculations, les immenses abus, y offraient un plus vaste champ; la patrie de Law devait donc donner naissance au créateur de la science économique. L'Écossais Adam Smith vint en France au moment où les économistes agitaient les questions vitales, et où Turgot, appelé au ministère, essayait de les mettre en pratique. Il en fut épris, mais non satisfait, en voyant que, sans chercher à faire passer leurs dogmes dans la pratique, il leur suffisait d'expliquer la physiologie sociale, et qu'ils touchaient toutes les questions sans en résoudre aucune. De retour dans sa patrie, il médita dix ans sur cette matière en la soumettant aux faits, pour en tirer des conséquences; alors il dit, à l'encontre

de Quesnay: La terre ne produirait pas sans travail; donc le travail est la véritable richesse (1). Avec le travail, la terre rapporte régulièrement, largement, et les manufactures fleurissent; le travail annuel d'une nation est la source tant des productions nécessaires à la consommation, que de celles avec lesquelles on se procure les produits des autres pays. En effet, la richesse consiste dans la valeur échangeable des choses: celui-là est riche qui produit davantage, ou qui possède des objets amenés, au moyen du travail, à une utilité qu'ils n'auraient pas autrement. La valeur échangeable est différente de la valeur utile, parce qu'on peut avec la première se procurer beaucoup de choses, et que la seconde ne peut être donnée en échange. Qu'y a-t-il de plus utile que l'eau? On ne peut cependant en faire l'objet d'un échange; tandis qu'un diamant, si peu utile, peut servir à acheter de nombreuses marchandises. Le rapport entre deux valeurs échangeables exprimé en une valeur convenue, à laquelle on donne le nom de monnaie, s'appelle prix. Le prix nominal diffère du prix réel, qui représente ce que les choses ont coûté de travail; divers accidents font que le prix courant s'éloigne du prix naturel, et trois éléments concourent à l'établir; car il faut ajouter au revenu de la terre qui a fourni la matière première, revenu que les économistes évaluaient seul sous le nom de produit net, le salaire de l'ouvrier et le bénéfice de l'entrepreneur.

Smith eut donc la sagesse de ne pas se rendre exclusif, et il laissa une grande part à la terre, ainsi qu'aux produits accumulés des richesses créées par le travail : une partie se consomme immédiatement, une partie s'accumule par l'économie et par l'épargne, ce qui constitue les capitaux, qui ne sont pas seulement l'or et l'argent, mais toute richesse quelconque réunie par le travail, surtout quand elle est employée à en créer d'autres par un nouveau travail.

Le capital est fixe s'il se transforme en atelier avec ses ustensiles; il est circulant s'il sert à payer le salaire des ouvriers et à acheter des matières premières. Améliorez-vous votre fonds? c'est un capital fixe; l'argent et les vivres sont un capital circulant. Parfois l'un se transforme en l'autre moyennant des deniers comptants, des billets ou des obligations, qui valent encore mieux lorsque les conditions du prêt sont libérales.

(1) Recherches sur la nature et les causes des richesses des nations; 1776.

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