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Le droit étant supérieur à la volonté humaine, la volonté nationale ne peut rien sur lui; en sorte qu'il reste dans les limites éternelles du juste. Comme l'exercice immédiat de la souveraineté n'est pas possible à une grande nation, il est nécessaire et par suite légitime qu'elle délègue ses pouvoirs. C'est là la base du gouvernement représentatif.

Rousseau s'empara de ces dogmes, et soutint, avec une logique imperturbable, que le droit s'identifie avec la souveraineté; que la volonté générale ne peut se tromper (1); qu'il répugne à la nature du corps politique que le souverain impose une loi inviolable à luimême; et que par conséquent aucune loi, fût-ce même le pacte social, ne peut être obligatoire pour le corps du peuple. La souveraineté, précisément parce qu'elle n'est pas aliénable, ne saurait être représentée.

On voit ainsi le pouvoir absolu transféré des rois aux peuples, qui l'exercent immédiatement; tout autre légitimité n'existe pas; la souveraineté du peuple devient la base du droit politique, et la tâche du gouvernement se restreint pour céder la place aux individus et aux nations.

Mably, dans le Droit public de l'Europe fondé sur les traités (1748), rendit les idées de Rousseau plus populaires en les exagérant. Le Projet de paix perpétuelle, présenté par l'abbé de SaintPierre au congrès d'Utrecht, avait fait quelque bruit. Il consistait à former une république européenne, composée de dix-neuf États avec vote à la diète générale, et appelée à faire exécuter ses décisions par la force des armes. Rousseau en publia un extrait en 1761; mais il s'éloigne beaucoup néanmoins de cet utopiste : « Le mal des sociétés politiques présentes, dit-il, provient de ce qu'elles doivent appliquer à leur sûreté extérieure les soins et les moyens. qu'elles devraient consacrer à leur amélioration intérieure. Il n'en serait pas ainsi, si les nations avaient conclu un pacte social qui prévint les guerres extérieures, comme elles ont pourvu aux guerres civiles. C'est ce que produirait une confédération, comme en Allemagne, en Sicile, en Hollande. En outre, toute l'Europe civilisée a une religion commune; elle a les traditions romaines qui lui serviraient de lien, si l'intolérance et le manque de garanties suffisantes ne faisaient toujours fléchir le droit sous la volonté du plus fort. Celui

(1) Contrat social, II, 3; I, 7.

qui songe aujourd'hui à la monarchie universelle montre plus d'ambition que de génie, attendu que l'égalité de discipline, l'équilibre des forces, et des communications plus rapides, rendent impossible à un seul la conquête de toute l'Europe. L'Allemagne, qui en est le centre, l'empêchera toujours, malgré les défauts de sa constitution; et la paix de Westphalie restera la base du système politique. Pour le maintenir toutefois, il faut un mouvement d'action et de réaction; et pour le fortifier il serait besoin d'une confédération générale ayant un pouvoir législatif supréme, un tribunal, et un pouvoir coercitif. Le bon sens suffira pour démontrer aux puissances combien il leur serait avantageux de soumettre leurs prétentions respectives à un arbitre impartial, au lieu de recourir aux armes, dont l'emploi profite rarement au vainqueur lui-même. »>

Les doctrines des publicistes classiques sont résumées dans la Science du gouvernement, en huit parties, par Gaspard de Réal, qui les traite d'une manière plus pratique que Burlamachi et Vattel.

Une triste uniformité s'étend, dans les écrits de Pothier, sur le droit de temps et de lieux divers : le droit romain, le droit réel, le droit coutumier, tous offrent une ressemblance décolorée, effet de la froide logique à l'aide de laquelle il veut en concilier l'application aux temps modernes, en se conformant à cette équité qui dirigea les dernières compilations des Romains chrétiens. Toutefois, sans critiquer les lois ni se lancer dans des théories législatives, il s'attache à modifier le droit ancien, à le rendre plus humain dans l'application; de sorte qu'il se trouve ainsi transformé, à travers son bon sens lucide, en une pratique simple et douce.

Il convient de rappeler ici Montesquieu, l'Anti-Machiavel de Frédéric II, le Commentaire de Rutherforth sur Grotius, l'habile et ingénieux Commentaire de Valin sur l'ordonnance de 1681; Heineccius, que Mackintosh appelle le meilleur publiciste élémentaire; enfin l'Espagnol d'Abreu, favorable aux prétentions de l'Angleterre sur les mers. Chez tous ces auteurs, la science du droit public intérieur se joint à la morale, à la politique et au droit d'Etat positif, jusqu'au moment où elle en fut détachée par les philosophes de l'école critique venus à la suite de Kant (1).

Le fécond et exact Bynkershoek, de Middelbourg, offrit le premier 1673-1743,

(1) Telse que Ficht, Schmalz, Heidenreich, Hofflauer, Schlötzer, Burkardt, Pölitz, Egger, Krug, Bauer, Rotteck, etc...

Bentham. 1748-1833.

une exposition critique et systématique du droit des gens maritime, en choisissant les questions particulières d'une application plus pratique. Selon lui, ce qui est conforme aux lumières de la raison oblige, lorsqu'il est observé par la plupart des nations, et les nations les plus civilisées. Le droit des gens est donc une présomption fondée sur la coutume; d'où il suit qu'il cesse d'être en vigueur du jour où apparaît la volonté contraire à celle dont il s'agit. Son ouvrage sur le droit des ambassadeurs est d'une importance capitale.

Si l'on compare la générosité qui respire chez tout le monde avec la politique sordide de ce siècle, avec les astuces de la paix, les brigandages de la guerre, on comprend combien a peu de valeur un droit public qui ne se fonde pas sur la conscience et ne s'appuie pas sur Dieu.

Une troisième époque de cette science commença plus tard, lorsque le droit des gens fut observé du côté positif et pratique. On déduisit alors, du recueil des documents et des traités, les actes et les règles qui devaient diriger les souverains et les diplomates.

Le président Hénault, en publiant le Droit public fondé sur les traités, avait déjà révélé ce qui jusqu'alors avait été considéré comme les arcanes de la diplomatie.

Jean-Jacques Moser de Stuttgart (Versuch des neusten europaïschen Volkerrechts in Friedens und Kriegszeitern; dix volumes, 1777-1780) s'occupa toute sa vie du droit public, principalement de celui de l'Allemagne. A partir de la mort de Charles VI, il s'appuie sur des exemples, et exclut les spéculations philosophiques, parce qu'il voit que les principes abstraits ne sont pas observés par les souverains.

George-Frédéric de Martens publia en 1788 un Abrégé du droit des gens moderne de l'Europe, fondé sur les traités et la coulume, qui devint ensuite un manuel. Il part de l'idée de Vattel, que ce droit est une modification du droit naturel, appliqué à régler les rapports entre les nations.

Le droit ainsi réduit au fait, il ne faut pas s'étonner si Bentham en vint à proclamer l'utilité comme la mesure unique du droit. Il fonda sur cette base un projet de paix perpétuelle. Un souverain n'a pas de meilleur moyen de régler sa conduite envers les autres nations que de rechercher le plus grand avantage de toutes. La loi internationale aurait donc pour but l'intérêt général : 1o en ce qu'une nation ne serait à charge aux autres qu'autant qu'il est nécessaire à son

propre bien-être; 2o en ce qu'elle ferait aux autres nations le plus grand bien compatible avec le sien, ce qui constituerait ses devoirs à remplir; 3o en ce qu'elle ne souffrirait des autres nations aucun dommage, sauf celui que réclame leur propre bien; 4o en ce qu'elle recevrait le plus grand bien des autres nations, sauf ce qui est dû à leur propre bien-être ; ce qui constituerait ses droits à réclamer. On ne connaît jusqu'ici d'autre remède aux violations que la guerre; le cinquième but, du code international serait donc de pourvoir à ce qu'elle n'entraînât que le mal indispensable pour arriver au bien qu'on aurait en vue.

La guerre est une espèce de procédure, à l'aide de laquelle une nation revendique ses droits aux dépens d'une autre. Les causes qui l'engendrent le plus ordinairement sont : l'incertitude dans les droits de succession; les agitations intestines chez des voisins, dérivant de cette source ou de disputes sur le droit constitutionnel; l'incertitude de droits sur des pays nouvellement découverts; les haines et les préjugés religieux; les querelles entre des États limitrophes.

Il conviendrait donc, pour les écarter: 1o de réduire en code les lois non écrites, mais qui sont d'usage; 2o de faire de nouvelles conventions et des lois internationales sur tous les points indéterminés ; 3o de perfectionner le style des lois et des autres actes. Mais comme ces causes dépendent des intérêts et des passions humaines, les remèdes seraient insuffisants; en conséquence Bentham imagine une paix perpétuelle, fondée sur deux points essentiels : 1o la réduction et la détermination des forces militaires et navales; 2o l'émancipation des colonies, qui sont purement onéreuses à la métropole, contrainte qu'elle est de les défendre à l'aide d'une marine redoutable.

Un tribunal arbitral serait indispensable pour éviter les dissidences d'opinion entre les négociateurs de deux puissances, et sa décision sauverait l'honneur de la nation qui succomberait. Des conventions extrêmement difficiles ont été combinées, comme la neutralité armée, la confédération américaine, la diète germanique, la ligue suisse. L'histoire démontre ainsi que la confiance entre nations n'est pas hors de nature.

Il pourrait donc se former un congrès général où chaque puissance enverrait deux députés, et qui aurait autorité pour rendre sa décision, pour la faire publier dans les deux États, et pour mettre au ban de l'Europe celui qui n'y obtempérerait pas. Comme der

Kant. 1724-1304.

nier expédient, on pourrait fixer le contingent de chaque État, pour l'exécution des sentences prononcées. Mais on éloignerait une semblable nécessité en autorisant le congrès à donner la plus grande publicité à ses jugements motivés, ce qui serait un appel à l'opinion.

Tel était le rêve de Bentham en 1789, un instant avant la conflagration générale, où l'on vit apparaître la plus impudente violation des traités positifs.

Elle avait déjà éclaté, quand un autre philosophe, Emmanuel Kant, imagina une paix perpétuelle, constituée aussi sur une confédération de toute l'Europe, représentée par un congrès permanent. La première condition en est que les États soient républicains, c'est-à-dire que chaque citoyen concoure, au moyen de ses représentants, à faire les lois et à décider de la guerre ; car un despote hésite peu à recourir aux armes, mais le peuple sait qu'il s'expose à toutes les charges et à tous les maux qui suivent un appel à la force. Par constitution républicaine il entend un gouvernement limité par une représentation nationale, où le pouvoir législatif est séparé du pouvoir exécutif; tandis que la démocratie rend toute représentation impossible, et qu'elle est nécessairement despotique, attendu que la volonté de la majorité de souverains dont elle se compose ne se trouve pas limitée.

Il faut aussi pour la paix perpétuelle que l'alliance soit fondée sur une confédération d'États libres; or, actuellement, l'état naturel entre les nations est celui de guerre déclarée ou iminente, et leurs droits ne se débattent que sur les champs de bataille, où la victoire tranche la question, mais ne la résout pas. La paix doit, en conséquence, être garantie par un pacte spécial qui ait pour but de mettre un terme à toutes les guerres, et par lequel les nations renoncent à la liberté anarchique des sauvages, pour former une civitas gentium. Si par hasard un peuple se constituait en république (gouvernement qui tend de sa nature à la paix perpétuelle), il deviendrait le centre de cette confédération, attendu que d'autres s'associeraient à elle pour garantir leur propre liberté, selon le droit public. « Car s'il est juste d'espérer que le règne du droit public s'effectuera par des progrès graduels, mais indéfinis, la paix perpétuelle, qui succédera aux trêves appelées jusqu'ici traités de paix, n'est pas une chimère, mais bien un problème dont la solution nous est promise par le temps; or, il sera vraisemblablement

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