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Sur ces entrefaites il s'éleva entre l'Espagne et l'Angleterre une inimitié partielle. Philippe V avait toujours enduré impatiemment les onéreuses conditions commerciales imposées à son pays par les Anglais à l'époque de la paix d'Utrecht, d'autant plus que ceux-ci, à l'aide d'une contrebande active, avaient de beaucoup aceru les avantages de leurs opérations en Amérique, au grand détriment de l'Espagne. Les protestations ne lui ayant pas réussi, il envoya des vaisseaux en croisière pour visiter les bâtiments qu'ils rencontreraient sur les côtes de l'Amérique espagnole, et séquestrer toutes marchandises de contrebande ou autres destinées aux colonies de l'Espagne, ou qui en seraient exportées.

Les Anglais s'en plaignirent en demandant la guerre; et quoique le ministre Walpole cherchât à l'éviter, elle éclata avec l'impétuosité d'un mouvement national. Des bruits absurdes couraient sur les cruautés dont se rendaient coupables les croiseurs espagnols; et le roi y crut ainsi que ses ministres, ou ils feignirent d'y croire. Pope finit sa carrière et Johnson commença la sienne en appelant le pays aux armes; Glover fit entendre des chants belliqueux; la populace se réjouit et fit des processions, tandis que le prince de Galles, se mêlant à la tourbe exaltée, buvait et vociférait avec elle. Des ordres furent aussitôt envoyés aux escadres anglaises d'exercer des représailles contre les bâtiments du roi d'Espagne; et comme elles se trouvaient déjà sur l'offensive lorsque la guerre fut déclarée publiquement, elles firent aussitôt des prises, et occupèrent Porto-Bello. Cependant la Grande-Bretagne resta isolée dans cette guerre, que l'Europe regardait comme injuste. Les hostilités n'en continuèrent pas moins pendant la guerre de la succession d'Autriche, et elles ne finirent point à la paix d'Aix-la-Chapelle. Enfin il fut stipulé à Madrid que la Grande-Bretagne renoncerait à l'assiento, moyennant cent mille livres sterling que l'Espagne payerait à la compagnie anglaise ; mais le droit de visite ne fut pas supprimé.

1-39.

1750

T. XVII.

CHAPITRE II.

LA FRANCE. LA RÉGENCE.

Nous tournerons maintenant nos regards vers la France, pour connaître les compétiteurs de Philippe V et d'Albéroni. Louis XIV avait porté au comble l'unité de son gouvernement, mais sans lui donner une base solide, attendu qu'il la faisait dépendre entièrement de la volonté du roi, après avoir détruit tout ce que les anciennes institutions auraient pu y apporter d'obstacles. Rien n'assurait donc cette centralisation ni contre l'action légitime du peuple, ni contre l'œuvre du temps. En effet, l'une et l'autre sapèrent ce pompeux édifice; et il en résulta une époque sans dignité, où tout fut dirigé par l'intrigue et la faveur, roi, ministres, généraux, gouvernement, et où la politique changea avec les maîtresses.

Louis XIV laissait un petit-fils, âgé de cinq ans et demi, sous la tutelle de Philippe, duc d'Orléans, chargé de protéger ce berceau resté au milieu de tant de cercueils. Le duc réunit le parlement, qui, désireux de protester contre son propre anéantissement, en insultant mort le lion devant lequel il avait tremblé vivant, cassa le testament injurieux par lequel Louis XIV posait des limites à l'autorité du tuteur et grandissait celle du duc du Maine, bâtard légitimé; et il établit, comme septième loi fondamentale du royaume, que, pendant les minorités, le prince du sang le plus proche serait régent de droit (1).

(1) LEMONTEY, Hist. de la régence el de la minorité de Louis XV. VOLTAIRE, Précis du siècle de Louis XV.

CAPEFIGUE, Philippe d'Orléans.

Les Mémoires du maréchal de Richelieu, publiés par Soulavie, sont une source de renseignements très riches sur la cour de Louis XV. Ce bas intrigant gagua tellement la confiance du maréchal, qu'il lui livra toute sa correspondance et lui fournit tous les éclaircissements qu'il lui demanda. Soulavie répéta avec impudence ses récits, où se fait remarquer la tendance à dénigrer la vertu et à révéler les plus grandes turpitudes.

LACRETELLE a fait une histoire du dix-huitième siècle, qu'il a continuée ensuite, pour la conduire jusqu'à l'époque où commence son autre résumé de la révolution française; ouvrage où il a cherché à donner à l'histoire moderne ce mouvement de narration dont les anciens nous ont laissé des exemples inimitables.

Le parlement, caressé par le régent, se hâta de profiter de l'occasion d'un règne nouveau et vacillant pour recouvrer le droit de remontrances, que lui avait enlevé le grand roi. Il rappela ceux qui avaient été bannis en vertu de la bulle Unigenitus, et songea à rétablir aussi les huguenots dans leurs droits; puis il rabaissa les princes légitimés, en les déclarant inhabiles à succéder. Il instruisait ainsi la nation à désobéir, de même qu'à ne pas croire à l'infaillibilité des rois.

Le régent paraissait aussi vouloir agir en tout à l'opposé de Louis XIV. Il fit imprimer le Télémaque, et lui emprunta les phrases dont se composait son premier discours. Il ouvrit au public sa bibliothèque particulière, fit faire le procès aux agioteurs et aux financiers, paya les soldats, diminua les dépenses, modéra les impôts, mit en liberté les jansénistes, et institua, au lieu des secrétaires d'État du règne précédent, divers conseils qui devaient discuter les affaires avant de les présenter à la régence. Ces actes, inspirés par la haine ou par la politique, furent applaudis, parce que Louis XIV était haï. La tyrannie unitaire de ce monarque parut détruite par la création des conseils; mais on vit à l'épreuve qu'ils constituaient en réalité soixante-dix oppresseurs obéissants, qui se donnaient de l'importance malgré leur ignorance des applications et des détails. Le duc d'Orléans finit en conséquence par les dissoudre.

Il employa beaucoup le duc de Saint-Simon, dont les Mémoires sont un véritable trésor. Janséniste ardent, mal avec les princes légitimés, zélé partisan des priviléges de naissance, il poussa le régent à appeler au ministère la noblesse, qui en semblait exclue depuis Mazarin, et à rabaisser les littérateurs ainsi que les avocats. Mais la noblesse s'était accoutumée à mettre sa dignité dans les chaînes dorées de la cour.

Philippe d'Orléans, né d'un père que Louis XIV avait d'abord tenu dans l'ignorance, puis éloigné des affaires, était d'une intelligence élevée, d'une bonté et d'une justice à toute épreuve, et doué par la nature des plus heureuses qualités pour faire le bien. Louis XIV, qui lui avait donné la main de sa fille naturelle aînée, le tint constamment dans l'inaction; et s'il lui permit de montrer de la valeur et de l'intelligence dans la guerre de la succession espagnole, il en prit bientôt ombrage, et il fut sur le point de le mettre en accusation, comme coupable d'aspirer à la couronne d'Espagne.

Le régent.

Quarante années, passées sans chance probable de régner, lui permirent de connaître les hommes et les choses plus qu'il n'est donné d'ordinaire aux princes nés sur le trône. Beau parleur et s'exprimant avec clarté, sa mémoire lui fournissait toujours à propos des histoires et des anecdotes pour récréer la conversation; juste et exact dans les choses positives, il n'avait ni prétention, ni arrogance; son désir eût été plutôt de commander les armées que de gouverner le royaume. Il lisait avec rapidité, et retenait ce qu'il avait lu; mais il lui était impossible de s'arrêter longtemps sur une même chose, et il avait plus d'aptitude à deviner les affaires qu'à les étudier. Malheureusement il avait été élevé par l'abbé Guillaume Dubois, fils d'un apothicaire de Brives, qui lui enseigna à considérer la morale comme un préjugé vulgaire, et la religion comme une invention humaine. Il se jeta par suite, et aussi par dépit de la bigoterie du vieux roi, dans un libertinage effronté, et il embrassa systématiquement ce que la corruption d'alors avait de pire. Entouré d'une bande de débauchés de qualité, il renouvelait avec eux tout ce que les satires de l'antiquité rappellent de dégoûtant. Des femmes belles, gracieuses, remplies d'esprit, prenaient part à des orgies où tout sentiment de religion et de piété domestique était foulé aux pieds. Là, Philippe, pour mieux oublier son rang de prince, oubliait sa dignité d'homme. Il voulait encore plus faire parade de débauches que s'y livrer, ce qui lui en faisait inventer d'extravagantes. Les jours les plus saints étaient ceux qu'il choisissait pour faire les parties les plus scandaleuses, et pour y réunir les personnes les plus diffamées. La duchesse de Berry, sa fille, poussa l'oubli de toutes convenances au point d'éveiller des soupçons d'inceste.

Dans sa manie de nouveautés, le duc d'Orléans se prit de goût pour la peinture: il y travaillait lui-même, et faisait des collections précieuses. D'autres fois il se livrait à la chimie, dont il s'ingéniait à surprendre les secrets et les transmutations. Après avoir cherché à se persuader, par ses lectures et par ses discours, que Dieu n'existe pas, il lui prenait fantaisie de voir le diable et de le faire parler; et il passait des nuits entières dans des souterrains à faire des évocations; il interrogeait l'avenir dans un verre; tout cela pour changer.

Néanmoins il ne laissait pas ses maîtresses dominer. Quand madame de Tencin voulut mêler aux plaisirs des conseils de poli

tique, elle n'en obtint qu'une réponse cynique. Il laissa parler la belle madame de Sabran; puis l'ayant menée devant une glace, il lui dit Vous semble-t-il qu'avec un visage pareil on puisse parler d'affaires aussi tristes et aussi sérieuses? Ce fut elle qui, dans un souper, prononça ces mots devenus célèbres: Dieu, après avoir créé l'homme, prit un reste de fange pour en faire l'áme des princes et des valets.

L'exemple du chef de l'État fit que le dérèglement devint de mode. Les moins passionnés eux-mêmes s'en donnaient l'air, et il se glissa dans la société un libertinage cultivé et systématique, où la vanité avait plus de part que les sens.

Dubois, le complice de ces excès, montait en faveur; payé à la fois par la France et par ses ennemis, il accumulait les emplois et les pensions (1). Cynique, de manières repoussantes, méprisé, il osa demander l'archevêché de Cambray, auquel se rattachait le titre de prince d'Empire, et, qui plus est, le souvenir de Fénelon ; et il l'obtint. Le régent lui demanda: Où trouveras-tu l'infame qui consentira à te consacrer? Et pourtant la France dépensa, dit-on, huit millions pour obtenir à ce misérable le chapeau de cardinal, quand le pape, qui le lui accorda, aurait dû plutôt le chasser du sanctuaire.

Le chancelier d'Aguesseau, élève de Port-Royal, aussi pauvre de génie que riche de vertus et de talents, moins l'habileté politique et l'énergie civile, s'opposa à l'admission de Dubois dans le conseil royal en qualité de cardinal, ce qui lui valut le bannissement. Les ducs s'en retirèrent, comme lésés dans leurs droits. Il en résulta donc que Dubois resta premier ministre, chargé de toutes les affaires, dont le régent ne demandait pas mieux que de se débarrasser (2).

Ce prince, placé entre une gloire éblouissante et de grands revers, fut jugé peut-être avec une sévérité excessive, et dénigré au delà de ce qu'il méritait: personne ne saurait nier toutefois que

(1) Dubois, d'après les calculs de Saint-Simon, avait plus d'un million et demi savoir :

de revenu,

En bénéfices.

Comme ministre.

Pour emplois.

Pension de l'Angleterre.

(2) Voyez LEMONTEY, II, 97,

324,000 fr.

150,000

100,000

960,000

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