Imatges de pàgina
PDF
EPUB

neille les accents de la liberté, dont l'avénement était prochain. Ducis, dont le talent ne se courbait point devant le siècle, sentait la nécessité « de sortir de ces formes dont la beauté était usée; » mais il n'osa le tenter qu'à demi. Dans un temps si peu historique, il ne comprit pas les tableaux où Shakspeare retrace si complétement la vie humaine : il n'en saisit que les terribles émotions, qu'il éveille par la peinture des affections et des douleurs domestiques. Il ne connaissait que par extraits le grand poëte anglais, et il crut devoir l'ennoblir pour le faire goûter aux spectateurs français. Bien qu'il eût supprimé tout ce que Shakspeare avait d'original, le goût s'en effraya; mais on s'y habitua peu à peu, et le Tourneur se hasarda à donner une traduction de ce théâtre, traité de barbare par Voltaire. Malheureusement elle manquait d'intelligence et de goût; le naturel et la simplicité, qui excitent l'étonnement dans le texte, y disparaissent sous une parole correcte et sous la périphrase traînante. Les applaudissements donnés au poëte anglais troublèrent le sommeil de Voltaire, qui affecta de craindre qu'on « ne tombât dans l'exagéré ou dans le gigantesque. » Il dénonça à l'Académie l'engouement pour ce saltimbanque, qui fait des contorsions et quia des saillies spirituelles. » Diderot le comparait « au saint Christophe de Notre-Dame, colosse informe, grossièrement sculpté. »

Ce talent qui révèle la nature comme par instinct avait disparu de la comédie; mais quoiqu'on s'efforçât à trouver le moyen de produire de l'effet, on savait encore éveiller l'intérêt pour des personnages imaginaires. Gresset, reproduisant avec vérité le langage 109-177 et les manières des salons de Paris, immortalisa, dans le Ver-Vert et dans le Méchant des modes éphémères; mais, plus tard, regrettant d'avoir sacrifié aux idoles du temps, il fustigea l'égoïsme et proclama la vérité, contre laquelle on s'élevait de toutes parts.

En dehors des sociétés élégantes, Piron vivait d'esprit et d'épigrammes d'une intelligence supérieure à ses ouvrages, il était recherché et redouté ; et, malgré sa réputation, on le fuyait. Poëte par métier, il essaya tous les genres, apporta dans ses vers la même négligence que dans sa vie, et traîna jusqu'à l'âge de quatre-vingtquatre ans sa pauvreté indépendante. Après avoir débuté par une œuvre impie qu'on ne saurait même désigner, il finit dans la dévotion, et traduisit des hymnes. Ses contemporains voulurent l'opposer à Voltaire, et lui-même crut parfois qu'il parviendrait à rivaliser avec lui dans la tragédie et dans les mordantes saillies. Il ne faisait

T. XVII.

12

1689-17-3.

grâce à personne. Assistant un jour à une lecture de Voltaire, il ne laissait passer ni un vers ni une scène, lorsqu'il y apercevait quelque trace d'imitation, sans s'incliner; et comme on s'en étonnait : Ne le trouvez pas mauvais, dit-il ; j'ai l'habitude de saluer mes anciennes connaissances. L'archevêque de Paris lui demandant s'il avait lu son mandement : Non, monseigneur, répondit-il. Et vous? L'Académie l'ayant repoussé de son sein, il s'improvisa cette épitaphe si connue qui ne périra pas. Sa Métromanie, qui est conduite avec un art exquis et avec un esprit admirable, est la meilleure comédie du siècle, bien que l'humanité y reste étrangère à l'art.

Collin d'Harleville ramena la comédie à un intérêt tendre et aux sentiments vrais. Dancourt ne cesse de s'attaquer avec esprit et vivacité aux prétentions des parvenus; Legrand et Dufresny puisent le ridicule à la même source. Dans les compositions de Destouches, les bourgeois acquièrent déjà plus de dignité, et ils n'y paraissent pas seulement pour exciter le rire.

La tragédie bourgeoise comptait déjà des exemples chez les Anglais; la Chaussée peut en être considéré en France comme l'inventeur, et non Diderot, dont l'École des Maris est toutefois un modèle en ce genre. Quoiqu'on réprouvât cette espèce de tragédie, elle attestait encore le progrès populaire; car elle substituait sur la scène la bourgeoisie à la noblesse. L'erreur consistait à en faire un genre dis tinct, où l'on apportait du mauvais goût, de l'enflure, de la sensiblerie, une manière langoureuse et des idées de suicide. Voltaire, après avoir tenté vainement d'ensevelir cette innovation sous les épigrammes, lui paya aussi tribut dans Nanine et dans l'Enfant prodigue. Sébastien Mercier, qui dans son Tableau de Paris s'était affranchi de la tyrannie des règles pour peindre les mœurs en toute liberté, publia en 1773, sans nom d'auteur, un Nouvel essai sur l'art dramatique. Il entreprend de montrer dans cet ouvrage, plein de hardiesses à la fois et de paradoxes, que « le nouveau genre appelé drame, qui résulte de la comédie et de la tragédie, ayant le pathétique de l'une et les naïves peintures de l'autre, est infiniment plus utile, plus vrai, plus intéressant, parce qu'il est plus approprié à la masse des citoyens.

Ainsi la comédie avait d'abord associé beaucoup de philosophie à une gaieté naïve; puis elle eut la gaieté sans philosophie, et, en dernier lieu, l'intérêt sans la gaieté. En effet, on avait imaginé de se servir du théâtre comme d'un moyen de guerroyer; et Rousseau,

dans une lettre célèbre adressée à d'Alembert contre les spectacles, dénigra Molière, aux ouvrages duquel il préférait un médiocre drame anglais, parce qu'il était moral. Sedaine, qui faisait des vaudevilles philanthropiques contre les abus du temps et en faveur du peuple dont il était sorti, recueillait partout des applaudissements. Palissot mordait les philosophes sur le théâtre, et soutenait la mo. narchie ainsi que les principes moraux. Au milieu de ces tentatives, la comédie, à qui son feu naturel faisait défaut, en tirait un autre de l'esprit de parti, et ne s'arrêtait pas en conséquence aux limites du ridicule, contre lequel, en pareil cas, une moitié de l'auditoire proteste, tandis que l'autre y applaudit.

[blocks in formation]

Le vide des doctrines philosophiques en vogue apparut toutes les fois qu'elles furent appliquées aux faits, et que l'on voulut fournir, à l'aide d'abstractions, une morale aux individus ou aux nations. Les rapports internationaux avaient été réglés au moyen âge par un droit supérieur; mais lorsqu'il fut tombé, il fallut chercher d'autres bases; et l'on inventa des systèmes tantôt vains, tantôt funestes, tous déduits du sujet, mais non de la vérité éternelle, et où l'on prenait la société pour fin, mais non comme moyen.

[ocr errors]

L'époque qui suivit le traité de Westphalie peut être désignée comme la première du droit international; en tête des écrivains qui en ont parlé marcha Fénelon, et à sa suite Puffendorf, Leibnitz, Spinosa, Zonck, Jenckins, Selden, Samuel Rachel, qui proposèrent un système propre à maintenir l'équilibre entre les puissances.

Avec le traité d'Utrecht commença la seconde époque, où le droit des gens, fondé par Grotius sur les exemples anciens, devint rationnel, ou, comme on disait alors, philosophique, et se confondit avec le droit naturel. Ceux même qui avaient dans le droit romain la même foi que les théologiens dans la Bible, y adaptèrent de leur mieux les idées de perfectibilité humaine et d'association universelle. De même que Grotius, Puffendorf et Barbeyrac, le Genevois Jean- Burlamachi, Jacques Burlamachi surgit du sein de la religion réformée, pour

1694-1748.

compléter l'édifice de la jurisprudence de la république humaine. Son traité Du droit politique et des gens, ainsi que les Principes du droit naturel, reproduit les leçons auxquelles il avait consacré toute son existence dans sa ville natale. Dans ces ouvrages, qui furent publiés après sa mort, il résume en langue vulgaire, refond et expose clairement les doctrines de ses trois prédécesseurs, toujours comme protestant.

Il fait dériver en conséquence la loi et l'obligation du bonheur de l'homme, et non de la vérité même; et il donne pour règle non pas la volonté générale, mais celle de chaque individu. Or cette théorie ne permettant pas de concilier les devoirs envers soi et les devoirs envers le prochain, attendu qu'on n'y voit pas les diverses applications d'un devoir identique envers l'humanité, fait disparaître la distinction entre le droit et la simple morale, entre la justice rigoureuse et la bienfaisance. Si un seul homme n'a pas donné son consentement à une loi acceptée par tout le genre humain, il n'y est pas obligé. Dans l'impossibilité d'obtenir cette unanimité de tous les contractants, les institutions humaines ne doivent jamais être altérées; toute innovation est illégitime, quelque nécessaire qu'elle soit; tandis qu'il n'est pas d'iniquité ni d'usurpation qui ne puisse être légitimée d'après quelque convention tacite.

Cette origine humaine efface le droit divin, mais elle supprime aussi le droit populaire : l'unique liberté nécessaire est la liberté individuelle ; de là cette admiration générale, dans le dix-huitième siècle, pour la constitution anglaise. Mais, en même temps que la fraction noble tournait ses regards vers cette liberté aristocratique, la nation observait la misère du peuple.

Pendant que l'école de Puffendorf considérait la science du droit international comme une branche de la philosophie morale, c'està-dire, comme le droit naturel des individus appliqué aux sociétés indépendantes dites États, Wolf donna, dans son Jus naturæ (1748), le premier traité systématique du droit, isolé de l'éthique et des autres sciences analogues. Grotius regardait le droit des gens volontaire comme d'institution positive, et fondait l'obligation sur le consentement général des nations; Wolf, au contraire, y voit une Joi imposée par la nature aux hommes, comme conséquence nécessaire de leur union sociale, et à laquelle aucune nation ne peut refuser son assentiment. Grotius confond ce droit volontaire avec le droit coutumier; Wolf soutient que le premier est obligatoire

pour toutes les nations, et que le second ne l'est que lorsqu'il est établi par l'usage et par le consentement tacite.

Son ouvrage volumineux, hérissé de formes scientifiques, est difficile à lire; mais on peut le retrouver dans le Droit des gens, ou principes de la loi n turelle appliqués à la conduite des nations et des souverains, par Éméric de Vattel, de Neufchâtel; ouvrage qui s'est répandu, parce que le style en est clair et les sentiments libéraux. A la différence de Wolf, il considère le droit des gens dans son origine comme le droit naturel appliqué aux nations, mais modifié par la différence qui existe entre les nations et un individu. Une partie de ce droit est nécessaire et immuable, d'où il résulte que les nations ne peuvent s'en écarter; une autre est volontaire, dérivée qu'elle est d'un consentement exprimé ou tacite. Viennent ensuite le droit conventionnel, qui dérive de traités avec les États individuellement, et le droit coutumier, né d'usages établis entre des nations particulières. Il repousse l'hypothèse de la république universelle.

Léger et élégant, il fait des distinctions gratuites entre un droit intérieur et extérieur, parfait et imparfait, volontaire et arbitraire, ce qui l'amène à justifier ce qui est le moins susceptible de justifica. tion. Ainsi il dérive le droit du conquérant de la juste défense de soimême, et il se restreint dans cette limite. Mais ensuite, dans le droit volontaire des gens, on trouve que « toute acquisition faite en guerre formelle est valide, et que la conquête a toujours été considérée comme un titre légitime parmi les nations (1). » Il établit constamment des règles différentes entre les particuliers et entre les nations; il ne remonte pas aux sources les plus élevées : la guerre est légitimée pour lui par l'observation des formes reçues, qui sont de demander satisfaction, et si l'on ne l'obtient pas, de commencer préventivement les hostilités.

Le droit patrimonial des souverains, que l'on soutenait encore du temps de Grotius, est réfuté par Vattel. Il déclare que les rois sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les rois ; que ceux-ci sont un moyen et non une fin, et comme le moyen n'est bon qu'autant qu'il conduit à une fin, que le pouvoir des rois est conditionnel. Quel que soit l'ordre politique, la souveraineté appartient aux peuples, qui, comme les individus, ont des droits indéfectibles et inaliénables.

(1) Droit des gens, l. III, c. 13, § 201, 195.

Valtel. 1714-1767.

« AnteriorContinua »