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Éloquence.

Quelques-uns cultivèrent l'art avec désintéressement. Montesquieu étudiait longuement, essayait, essayait de nouveau, se désespérait; Buffon proclamait que le style seul rend un livre immortel, et travaillait le sien sans se lasser. Dans l'imperturbable majesté du génie, que n'émeuvent ni les censures ni les éloges, il réussit à toucher, en peignant les sensations qu'il a éprouvées; il met dans ses généralités une simplicité persuasive et une grande clarté'; ses phrases sont élevées et graves, ce qui fait regretter davantage qu'il n'ait pas lié ensemble l'ordre moral et l'ordre physique. Peutêtre est-ce là ce qui le força de recourir parfois à l'emphase, faute de savoir employer le sentiment (1). Une grande partie de ses écrits a donc péri aussi, pour ne laisser subsister que les grandes vérités et les notions relatives à la nature de l'homme, toujours la même dans son immense variété.

L'éloquence sacrée, qui instruit et qui touche, cessa de se faire entendre. Il aurait fallu, au milieu d'une atmosphère de doute, des âmes chaleureuses et hardies; tandis que le siècle portait les orateurs à déployer une pompe fictive, à caresser les opinions, à ne pas heurter la mode, à se faire pardonner l'Évangile en mettant de côté le dogme, à se tenir, dans cette théologie académique, à une morale tout humaine, et à dissimuler sa propre croyance. On rejeta ces formes populaires qui, même en tombant dans le vulgaire, élèvent parfois à une sublimité originale, pour prendre un style plus orné que ne le comportait la sévérité apostolique ; et ce ne furent plus des pontifes qui prêchèrent, mais des littérateurs. Seuls le père André et Bridaine osèrent faire entendre une éloquence hardie et dramatique, et leurs sermons plurent comme une bizarrerie.

Un langage simple et sévère, une discussion grave et mesurée qui recherche les principes pour en faire la base des raisonnements, avait remplacé, dans l'éloquence du barreau, l'étalage d'érudition, de rhétorique et de bel esprit; mais le philosophisme étant survenu, cette manière simple et positive parut mesquine; on voulut développer des idées générales, des théories au lieu des faits. L'éloquence judiciaire acquit ainsi plus d'étendue, et produisit dans le public non moins d'effet que les œuvres littéraires. Le procès des jésuites, puis ceux de Lally et de la Barre, donnèrent lieu à

(1) D'Alembert disait : Je ne donnerais pas une obole du style de Buffon. Voltaire lui reprochait de faire le poëte en prose, et de « parler physique dans un style ampoulé.

quelques discours remarquables; et la Chalotais et Servan obtinrent, parmi leurs contemporains, une célébrité qui s'évanouit avec les intérêts auxquels ils s'adressaient.

Le panégyrique est un genre faux partout ailleurs que devant 1732-1;85, l'autel; c'est ce qui fait que les éloges de Thomas pèchent par la base. Penseur laborieux, mais riche de cette érudition que l'on appréciait alors, il voulut se ranger parmi les philosophes sans renier la morale, et il s'efforça péniblement d'atteindre à l'éloquence; mais, au lieu de l'apercevoir dans la pensée, dans l'émotion puissante de la réalité, il la chercha dans l'emphase d'un style tourmenté, même pour les petites choses, dans l'emploi d'idées et de rapports empruntés aux arts et aux sciences exactes: or, le défaut de spontanéité ôte tout effet à ce placage, ainsi qu'à tout cet enthou siasme affecté pour la patrie et pour les belles actions. Il renonça pourtant quelquefois aux expédients de l'art pour recourir à son cœur, comme dans l'Essai sur les femmes et dans l'Eloge de Marc-Aurèle, où il se place réellement au milieu de l'ancienne Rome, entre le regret du passé et les craintes de l'avenir. Cet ouvrage plut encore à ses contemporains comme exprimant, manière voilée, des vérités que l'on n'osait dire ouvertement. L'Essai sur les éloges est fatigant par sa monotonie; et en outre l'éloge n'est pas un genre distinct, pour lequel il y ait à donner des règles à part. C'est à peine si, en analysant tous les panégyriques qui furent dictés par l'adulation, il a cru digne d'une mention ces éloges des Pères de l'Église, qui sont restés au-dessus de tous les autres parce qu'ils sont empreints de spontanéité.

d'une

Marmontel, prosateur facile et élégant, modéré dans ses opinions philosophiques, montra quelque indépendance dans ses opinions littéraires. Après avoir mis en avant des paradoxes dans ses Éléments de littérature, pour marcher en sens inverse du courant, il les abandonna; et, ne s'occupant point des détails de pratique, mais du sentiment d'où naissent les arts d'imagination, il rechercha les causes qui pouvaient influer sur eux, non les règles, qui jamais ne firent naître le talent. Ses Contes moraux retracent des faits et des sentiments pris dans l'ordre habituel des choses. Personne toutefois ne doit se faire illusion sur ce titre de moraux; car ils suffiraient pour révéler la corruption des mœurs du temps, dans les conseils sans énergie qu'il donne, et dans l'unique vertu qu'il semble connaître, celle de sauver les apparences.

1728-1799.

Critique.

Ce siècle était vraiment celui de la critique, dans le sens vulgaire de ce mot; et comme elle ne pouvait s'exercer sur les grands intérêts, elle se retournait sur elle-même et étudiait l'art, mais comme pour montrer qu'elle ne suffit pas pour éviter le mal et pour atteindre le bien. Les jésuites attaquaient, dans le Journal de Trévoux, les fausses doctrines et les médiocrités applaudies, à l'aide d'argumentations spirituelles et fondées. Le Journal des Savants était dirigé par les moines de Sainte-Geneviève, et les Nouvelles ecclésiastiques par les prêtres de Saint-Germain des Prés. Louis Racine, l'abbé Fleury, Rollin, avaient donné de bons préceptes, mais plutôt sur le style que sur la pensée, sur la forme plutôt que sur le principe du beau. Le père André, le premier, puisa dans Platon et dans les saints Pères les théories du beau, qu'il poussa plus loin que tout autre (Recherches philosophiques sur la nature du beau); mais il en fit un livre plus élégant qu'original. Montesquieu le copia sans l'égaler. Diderot prétendit le compléter à l'aide du matérialisme; il a de beaux éclairs, mais sans avoir une sérieuse fermeté de principes. Condillac empêche qu'on ne devienne poëte à force de vouloir rendre précis; et il base l'art d'écrire sur ces deux erreurs, que tout se réduisait aux idées sensibles, et que le précepte unique était le lien des idées. La vivacité railleuse de Voltaire, l'âme et le représentant de ce siècle, devait faire perdre le sentiment de la beauté classique si naïve, de la beauté du moyen âge si pleine d'énergie, et n'accorder l'admiration qu'à l'absence de défauts, ou tout au plus à la liberté philosophique, telle qu'il l'entendait. La Harpe, esprit élégant et timide, chaleureux de temps à autre, que Voltaire avait désigné pour son héritier, mais qui trompa ces premières espérances, de même qu'il abandonna l'incrédulité, écrivit des articles de journaux et des leçons, qu'il réunit ensuite dans son Cours de littérature. Il ne recherche pas les règles générales, mais il les montre appliquées dans la composition de telle ou telle œuvre. Il atteint parfois à la véritable éloquence en reproduisant les sentiments éveillés en lui par les beautés et par les défauts littéraires, et il puise dans l'absolutisme de ses opinions l'énergie du langage: mais il se laisse entraîner sans mesure à ses préjugés, sans se douter qu'ils lui sont suggérés par des influences étrangères, par des haines, par des amitiés, par la conformité d'opinions; son esprit ne se plie pas aux temps et aux civilisations différentes; il fait trop de cas des artifices de la composition,

des calculs d'art dans les chefs-d'œuvre, et il en néglige l'inspiration, les circonstances, le caractère. L'antiquité échappe à sa myopie philosophique, qui n'embrasse que le siècle précédent : nonseulement il défigura toujours l'esprit des anciens auteurs, mais il remplit ses traductions d'erreurs grossières, ce qui en fait un guide infidèle.

Le Voyage du jeune Anacharsis,de Barthélemy, appartient aussi 1716-1795, à la critique. Cet écrivain, au milieu de ce dédain de l'érudition, eut le courage de travailler trente ans sur les classiques, dont il recueillit tous les faits, mais sans s'animer de leur esprit. L'idée n'était pas nouvelle; en effet, quelques jeunes Anglais, pendant leur séjour à l'université de Cambridge, avaient réuni les fruits d'études sérieuses dans les Lettres athéniennes, avec un sentiment politique bien supérieur à celui de l'auteur français, à qui, du reste, ce travail était inconnu. L'immense tableau de la civilisation grecque ne pouvait être bien révélé que dans son ensemble, et il aurait fallu ajouter à ce spectacle l'intérêt excité par un observateur, non Scythe ni contemporain, mais riche de toute l'expérience et de toute la philosophie moderne. La naïveté grecque est mal reproduite par l'ingénieux abbé, qui, pour être élégant, défigure la physionomie hellénique. Il trouve les originalités du théâtre grec grossières et intolérables, parce qu'elles n'étaient pas conformes au cérémonial de Louis XIV, et il met en action la société française à Athènes et à Corinthe.

Chez Lebrun, l'esprit philosophique entravait l'essor de l'imagination; c'était la colère et la vengeance qui lui fournissaient des inspirations contre des rivaux indignes de lui. On voit dans les poésies de Chénier la peinture, l'art, la volupté, mais rien d'idéal. Gilbert, fort de sa conscience, déclara la guerre aux encyclopédistes, et lança contre le siècle une satire vraie et bien sentie; il mourut à l'hôpital, et son dernier chant est un des meilleurs morceaux de la poésie française.

Delille eut, au contraire, un bonheur extrême: plein de vivacité, il se fit aimer sans causer d'ombrage, et obtint la sympathie en raison même de ses défauts. Il plaît par des tours gracieux, par de vives anecdotes, surtout par le talent de décrire, et il passa sa vic entière à chercher des sujets où il pût se donner carrière; aussi devint-il le représentant de cette poésie descriptive, dont l'étude est de bien peindre, sans réussir à faire un'tableau. Il ne faut lui demander ni des idées, ni l'enthousiasme de la nature, ni l'intel

1729-1807.

1761-1811.

1731-1780.

1738-1813.

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1751-1821,

Théâtre.]

ligence de l'histoire, ni de grandes connaissances; il va à la recherche de pensées dans les livres d'autrui, dans les ouvrages en prose surtout, pour les répéter en vers harmonieux. La préface des Géorgiques, son meilleur morceau, est traduite de Dryden. Il apprit, en travaillant à reproduire en français le poëme de Virgile, l'artifice du style descriptif, et son chef-d'œuvre en ce genre fut le poëme des Jardins. A une époque où la prose avait pris, avec Rousseau et Buffon, quelque chose de gonflé, il aurait dû aussi changer le ton du vers; mais, au contraire, ayant peur de toute hardiesse, il ne posséda qu'un vague instinct de mélodie et d'élégance. Il ne se mêla point au parti philosophique; puis, sans que rien l'y obligeât, il quitta la France au 9 thermidor, et y revint sans être rappelé. Il publiait de temps à autre des compositions où il s'amusait à peindre des bagatelles, à parler science, à retracer des amusements, des paysages, des expériences. Cette forme plaisait, et lui valait d'être presque divinisé : des duchesses anglaises, des princesses polonaises lui écrivaient pour le remercier; son apparition à l'Académie était une solennité; ses lectures faisaient éclater des applaudissements et couler des larmes; ses admirateurs le portaient à son logis dans leurs bras, et ses compositions se tiraient à cinquante mille exemplaires.

De Fontanes est comme l'anneau entre Delille et M. de Chateaubriand, qui lui dut ses premiers encouragements. Flottant entre le voluptueux et le dévot, il fit des discours pour l'empereur Napoléon; mais il osa aussi le contredire. Joubert, son ami, ne conduisit rien à fin. M. de Chateaubriand a seulement publié de lui des Pensées. Il disait de Voltaire: « Comme le singe, il a les mouvements charmants et les traits hideux; il connut la clarté et se joua dans la lumière, mais pour l'éparpiller et en briser tous les rayons, comme un méchant; de le Sage: « Ses romans ont l'air d'être écrits dans un café par un joueur de dominos, en sortant de la comédie; » de la Harpe : « La facilité et l'abondance avec lesquelles il parle le langage de la critique lui donnent l'air habile, mais il l'est peu ; » de Barthélemy: « Anacharsis donne l'idée d'un beau livre, et ne l'est pas. »

D'autres écrivains s'essayaient à la tragédie. Du Belloi montra que les sujets nationaux étaient une mine à exploiter, en mettant sur la scène Gaston et Bayard, ainsi que le Siége de Calais. Saurin fit entendre dans son Spartacus, avec une force qui rappelait Cor

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