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faible et si redoutable, jamais reconnue, mais toujours assez inquiétante, s'est vue souvent tourmentée, exilée, honnie, humiliée, renverséc même, sans que le principe essentiel de sa force en eût éprouvé la moindre atteinte; c'était toujours le palladium de la liberté nationale, parce qu'il n'en existait plus aucun autre. L'ancienneté de l'abus qui l'avait élevé à cette dignité en était le titre le plus respectable, et tout le monde se croyait intéressé à respecter un corps si fort intéressé lui-même à maintenir tous les abus consacrés en quelque sorte par son silence ou par

son aveu.

Ce n'est qu'en essayant de remplacer par quelque chose de réel ce qui pour tout Ministre habile n'était qu'un fantôme plus ou moins importun, que la Nation pouvait être amenée à désirer véritablement un autre état de choses. C'est ce que le Parlement crut voir dans l'établissement des administrations provinciales, quelque prudente, quelque monarchique qu'en fût la première constitution; c'est ce qu'il vit avec plus de terreur encore dans la convocation d'une Assemblée des Notables: il ne douta plus que le projet de l'autorité ne fût de se passer de lui; et voilà quelle fut évidemment la première époque du plan de résistance, ou pour mieux dire d'insurrection manifeste de toute l'aristocratie parlementaire, à laquelle crut devoir se réunir bientôt celle des Nobles et du Clergé. Toutes ces puissances subalternes se crurent menacées à la fois

par celle de l'autorité ministérielle; toutes ne virent plus d'autre ressource que celle d'en appeler à la Nation, et la Nation, qui depuis si longtemps n'était plus rien, sentit enfin qu'elle devait, qu'elle pouvait être quelque chose.

de

Jamais aucun Ministre n'avait montré autant de talent que M. de Brienne pour décomposer une grande machine politique. Il en désunit, il en faussa tous les ressorts, on peut dire que dans l'espace peu de mois, grâce à l'heureux ascendant de son génie, on ne vit plus un seul corps en France rester à sa place ou conserver son mouvement naturel. Le Parlement adopta tout-à-coup le système le plus contraire à ses intérêts, un système qu'il avait anathématisé cent et cent fois. La Noblesse, dont l'existence tient le plus intimement aux droits du Trône, eut l'air de vouloir s'en séparer. L'esprit militaire parut dominé lui-même par je ne sais quel patriotisme, louable au fond peut-être, mais difficile à concilier avec ce caractère de subordination sans lequel il n'y aura jamais ni discipline, ni armée. Le Clergé ne prêcha plus l'obéissance, le soldat se montra moins disposé à la maintenir; ce qu'il y a de très-remarquable encore, c'est c'est que ce mécontentement universel avait été précédé des déclarations les plus favorables à la liberté publique : le Roi venait de faire plus de sacrifices de son autorité qu'on n'en avait jamais osé attendre d'aucun de ses prédécesseurs. Les Parlemens avaient appelé à grands cris le secours qu'ils avaient le plus à redouter, entraînés par

la voix d'un des hommes qui avaient le moins de considération dans leur corps, d'un abbé S....... (1); tous, comme pressés par quelque sance surnaturelle, avaient demandé la convocation des États-Généraux, et fait pour ainsi dire amende honorable aux pieds de la Nation.pour avoir usurpé si long-temps le plus beau de ses droits. Dans l'Assemblée des Notables, la Noblesse et le Clergé avaient déjà reconnu la justice d'une répartition égale de tous les impôts..... Comment imaginer que tant de résolutions désintéressées, tant d'actes solennels de patriotisme et de vertu ne serviraient qu'à fomenter le trouble, accroître le désordre, porter au comble les embarras et le désespoir de l'administration? D'abord on crut, et peut-être était-il assez naturel de croire, que de si grands sacrifices ne pouvaient avoir été offerts de bonne foi. Ce sentiment vague d'inquiétude et de défiance ne put manquer de s'accroître lorsqu'on vit la marche incertaine du Ministre, essayant tour-a-tour de la politique de Richelieu et de celle de Mazarin, sans avoir même assez d'art pour jouer ni l'une ni l'autre; défaisant le lendemain ce qu'il avait fait la veille; croyant réparer sans cesse un acte de violence par un acte de faiblesse, et presque toujours l'acte de faiblesse par un acte de violence plus révoltant que ceux qui

(1), M. l'abbé S................. peut avoir beaucoup de mérite et de vertu, il ne s'agit ici que d'opinion, et les services qu'il avait rendus à M. de Calonne et au sieur de Beaumarchais l'avaient étrangement compromis.

l'avaient précédé; entreprenant, au milieu du désordre le plus alarmant des finances, ce qu'il eût même été difficile de faire réussir avec les ressources les plus abondantes; aliénant enfin toute la Cour et bientôt après toute la Nation par des réformes et des suppressions dont le résultat achevait de tarir tous les canaux de la richesse et du crédit.

C'est dans ces circonstances désespérées que fut rappelé M. Necker, et plutôt comme le Ministre de la Nation que comme celui de l'autorité; il ne dépendait plus au moins de son choix de remplir un de ces ministères sans s'imposer en même temps toutes les obligations de l'autre. Ce n'est qu'en les réunissant avec toute la sagesse de son génie et toute la conscience de sa vertu qu'il pouvait justifier le prix le plus glorieux qu'aucun particulier ait jamais obtenu de l'estime publique.

Jusqu'ici nous n'avons indiqué pour ainsi dire que les circonstances locales et personnelles qui paraissent avoir contribué le plus à la révolution présente, parce que ce sont des causes dont l'influence, plus prochaine, est par-là même plus sensible et plus marquée; mais on ne saurait se dissimuler que le principe d'une révolution si étonnante doit tenir à des causes plus générales, dont l'action, moins rapide, moins facile à saisir, est essentiellement plus forte, plus irrésistible. Il en est deux surtout dont il est impossible de ne pas être frappé, c'est le progrès immense des lu

mières et l'énorme accroissement de la dette publique. La confiance que doit inspirer le plus juste et le meilleur des Rois ne peut soutenir long-temps seule le poids énorme d'une dette de plusieurs milliards. Le crédit, après avoir servi quelque temps à étendre la puissance des souverains, finit toujours par la restreindre lorsqu'il a passé de certaines bornes : son influence réveille encore nécessairement l'esprit de patriotisme, par le grand nombre d'individus dont elle lie l'intérêt personnel à celui de la chose publique. On croit la Nation plus pauvre, elle n'a jamais été si riche. Il semble que le Souverain n'ait jamais été plus riche, car ses revenus sont immenses, et de fait il ne fut jamais plus pauvre. Le plus pauvre dépend toujours du plus riche; c'est donc de la Nation que dépendra désormais le Souverain.

L'impossibilité d'atteindre ou de surpasser dans les arts du génie et de l'imagination cette foule de chefs-d'œuvre que vit naître en France le siècle dernier, a porté dans celui-ci tous les bons esprits à diriger leurs efforts et leurs études vers les hautes sciences. Il n'est aucun genre de connaissances utiles qui n'ait été cultivé avec plus ou moins de succès; les Buffon, les Rousseau, les Montesquieu ont remplacé les Racine, les Boileau, les Corneille; et Voltaire lui-même, le plus bel esprit de tous les siècles, est devenu philosophe; il a surtout mérité ce titre par le talent unique qu'il eut non-seulement de mettre de grandes vérités à la portée de tout le monde, mais encore

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