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involontaire qu'une avanie pourrait y faire naître. Il faut pour vivre à la Cour avoir un empire complet sur les muscles de son visage, afin de recevoir sans sourciller les dégoûts les plus sanglans. Un boudeur, un homme qui a de l'humeur ou de la susceptibilité ne saurait réussir.

En effet, tous ceux qui ont le pouvoir en main prennent communément en fort mauvaise part que l'on sente les piqûres qu'ils ont la bonté de faire ou que l'on s'avise de s'en plaindre. Le courtisan devant son maître doit imiter ce jeune Spartiate que l'on fouettait pour avoir volé un renard; quoique durant l'opération l'animal caché sous son manteau lui déchirât le ventre, la douleur ne put lui arracher le moindre cri. Quel art, quel empire sur soi-même ne suppose pas cette dissimulation profonde qui forme le premier caractère du vrai courtisan! Il faut que sans cesse sous les dehors de l'amitié il sache endormir ses rivaux, montrer un visage ouvert, affectueux, à ceux qu'il déteste le plus, embrasser avec tendresse l'ennemi qu'il voudrait étouffer; il faut enfin que les mensonges les plus impudens ne produisent aucune altération sur son visage.

Le grand art du courtisan, l'objet essentiel de son étude, est de se mettre au fait des passions et des vices de son maître, afin d'être à portée de le saisir par son faible: il est pour lors assuré d'avoir la clefde son cœur. Aime-t-il les femmes? il faut lui en procurer. Est-il dévot? il faut le

devenir ou se faire hypocrite. Est-il ombrageux? il faut lui donner des soupçons contre tous ceux qui l'entourent. Est-il paresseux ? il ne faut jamais lui parler d'affaires ; en un mot il faut le servir à sa mode et surtout le flatter continuellement. Si c'est un sot, on ne risque rien à lui prodiguer les flatteries même qu'il est le plus loin de mériter; mais si par hasard il avait de l'esprit ou du bon sens, ce qui est assez rarement à craindre, il y aurait quelques ménagemens à prendre.

Le courtisan doit s'étudier à être affable, affectueux et poli pour tous ceux qui peuvent lui aider et lui nuire; il ne doit être haut que pour ceux dont il n'a pas besoin. Il doit savoir par cœur le tarif de tous ceux. qu'il rencontre, il doit saluer profondément la femme de chambre d'une Dame en crédit, causer familièrement avec le suisse ou le valet de chambre du ministre, caresser le chien du premier commis ; enfin il ne lui est pas permis d'être distrait un instant; la vie du courtisan est une étude continuelle.

Un véritable courtisan est tenu comme Arlequin d'être l'ami de tout le monde, mais sans avoir la faiblesse de s'attacher à personne; obligé même de triompher de l'amitié, de la sincérité, ce n'est jamais qu'à l'homme en place que son attachement est dû, et cet attachement doit cesser aussitôt que le pouvoir cesse. Il est indispensable de détester sur-le-champ quiconque a déplu au maître ou au favori en crédit.

Que l'on juge d'après cela si la vie d'un parfait courtisan n'est pas une longue suite de travaux pénibles. Les Nations peuvent-elles payer trop chèrement un corps d'hommes qui se dévoue à ce point pour le service du Prince? Tous les trésors des peuples suffisent à peine pour payer des héros qui se sacrifient entièrement au bonheur public; n'est-il pas juste que des hommes qui se damnent de si bonne grâce pour l'avantage de leurs concitoyens soient au moins bien payés en ce monde?

Quel respect, quelle vénération ne devonsnous pas avoir pour ces êtres privilégiés que leur rang, leur naissance rend naturellement si fiers, eu voyant le sacrifice généreux qu'ils font sans cesse de leur fierté, de leur hauteur, de leur amour-propre ! Ne poussent-ils pas tous les jours ce sublime abandon d'eux-mêmes jusqu'à remplir auprès du Prince les mêmes fonctions que le dernier des valets remplit auprès de son maître? Ils ne trouvent rien de vil dans tout ce qu'ils font pour lui; que dis-je ? ils se glorifient des emplois les plus bas auprès de sa sacrée personne; ils briguent nuit et jour le bonheur de lui être utiles, ils le gardent à vue, se rendent les ministres complaisans de ses plaisirs, prennent sur eux ses sottises ou s'empressent de les applaudir; en un mot, un bon courtisan est tellement absorbé dans l'idée de son devoir, qu'il s'enorgueillit souvent de faire des choses auxquelles un honnète laquais ne voudrait jamais se prêter. L'esprit de

l'Evangile est l'humilité; le Fils de l'Homme nous a dit que celui qui s'exalte serait humilié; l'inverse n'est pas moins sûr, et les gens de Cour suivent le précepte à la lettre. Ne soyons donc plus surpris si la Providence les récompense sans mesure de leur souplesse, et si leur abjection leur procure les honneurs, la richesse et le respect des Nations bien gouvernées.

Psyché, ballet-pantomime en trois actes, par M. Gardel, a été représenté pour la première fois, sur le Théâtre de l'Académie royale de musique le mardi 14 décembre. C'est peut-être le spectacle le plus magique qui ait encore paru sur aucun Théâtre. Qui ne connaît la délicieuse fable de Psyché, racontée d'abord avec tant de grâce et de précision dans le roman d'Apulée, embellie depuis du charme de la poésie la plus naïve par les pinceaux de La Fontaine et de Molière? Sans rappeler ici tous les peintres et tous les poëtes qui se sont emparés soit de l'ensemble d'un sujet aussi heureux, soit de quelqu'une de ses parties, nous remarquerons seulement que les sieurs Noverre et Dauberval avaient déjà tenté d'en composer chacun à leur manière un ballet dont le plan n'a presque aucune ressemblance avec celui que nous avons l'honneur de vous annoncer.

On pouvait sans doute concevoir la fable de Psyché d'une manière plus intéressante et plus dramatique que ne l'a présentée M. Gardel, mais j'ose douter qu'il soit possible d'en faire une pan

tomime qui enchante les yeux et l'imagination par une suite de tableaux plus rapide, plus variée et plus attachante; à la décoration près de l'intérieur du palais de l'Amour, qui pourrait avoir plus de fraîcheur et de volupté, le spectacle de ce charmant ballet ne laisse rien à désirer; l'exécution des machines, dont on est redevable aux talens de M. Boulai, a paru si merveilleuse que l'illusion ne semble pas pouvoir être portée plus loin. C'est mademoiselle Miller qui a rempli avec beaucoup d'intelligence et de grâce le rôle de Psyché, Vestris celui de l'Amour, Laborie celui de Zéphyre; la beauté de mademoiselle Saulnier a représenté dignement celle de Vénus, et la danse de mademoiselle Rose encore plus dignement celle de Terpsichore.

On a cru devoir célébrer au Théâtre de la Nation un service solennel à la mémoire du jeune héros de Nanci, car la pièce donnée à ce Théâtre le vendredi 4, sous le titre du Tombeau de Désilles, par M. Desfontaines, n'est à proprement parler que cela.

La garnison et le peuple de Nanci vont rendre les honneurs funèbres à cette illustre victime du patriotisme le plus sublime et de la plus tendre humanité. Cette cérémonie est précédée d'une scène assez touchante qui sert en même temps d'exposition. Au moment où la toile se lève, il ne fait pas encore jour, on voit un vieux sergent du régiment de Châteauvieux assis au pied du cata

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