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plaignit d'avoir perdu sa fortune et ses amis, et de s'être livré ensuite aux plus injustes traitemens; il ajouta que, ne sachant point dissimuler ou parler autrement qu'il ne pensait, science indispensable à la Cour du Prince de Sangor il avait choisi dans la forêt une demeure solitaire où il s'occupait à étudier les vertus des plantes pour les faire servir dans l'occasion au soulagement de son prochain. Cathos n'eut pas plutôt fini son discours que le Czar le mena chez la Czarine. Ils la trouvèrent couchée, les pieds étendus sur des coussins d'édredon, avec une couverture de velours cramoisi doublée d'une superbe peau de renard noir. Elle était fort pâle les yeux presqu'éteints, elle se plaignait de tiraillemens dans les jambes, d'insomnie et de dégoût pour toute espèce de nourriture. Le solitaire s'informa de sa manière de vivre, et apprit qu'elle passait le jour et la nuit dans des appartemens chauds, qu'elle ne faisait aucun exercice, ne prenait jamais l'air, et mangeait à toute heure, tantôt de ceci, tantôt de cela, qu'elle dormait le jour, et passait les nuits à causer avec les Dames et les Demoiselles de sa Cour, qui l'une après l'autre lui frottaient les pieds, lui faisaient des contes, et lui rapportaient ce que chacun faisait ou ne faisait pas, ce que chacun disait ou ne disait pas. Notre médecin des bois prit la liberté de dire au Czar: Mon cher maître, défendez à votre Czarine de dormir le jour, de causer la nuit, de manger et de boire, excepté aux heures ordinaires

du dîner et du souper; ordonnez-lui de se lever de bon matin pour ne se coucher que la nuit; assurez-la que se couvrir les pieds dans une chambre chaude est un usage très-nuisible; engagez-la enfin à se promener à pied, en voiture, et sur toute chose à respirer souvent un air pur et frais.

Le Czar tâcha de persuader la Czarine à suivre les ordonnances du médecin des bois; mais elle fit beaucoup de difficultés, disant: Je suis accoutumée à vivre ainsi, comment pourrais-je changer mes habitudes et ma manière d'être ? Les prières du Czar l'emportèrent pourtant enfin sur ces malheureuses habitudes. On tira tout doucement notre Czarine de dessous ses couvertures de velours doublées de renard noir, on la fit lever de son lit; dans les commencemens l'on était obligé de la soutenir sous les bras; enfin elle essaya de marcher toute seule. Quelque temps après on la plaça dans un traîneau attelé de six rennes à cornes dorées et dont les harnois étaient garnis d'hermine avec des boucles de rubis. La Czarinę fit ainsi une promenade de deux heures; revenue à la maison, elle mangea et dormit fort bien; bientôt l'on vit son teint reprendre toute sa fraicheur, ses yeux brillaient comme l'étoile du- matin; elle reparut aussi belle que jamais, et les Dames et les Demoiselles de sa Cour transportées de joie firent une chanson qui commençait

ainsi :

Bon peuple, réjouissez-vous,
Grands et petits apprenez tous

Qu'au temps présent sans médecine
L'on guérit même une Czarine.

En effet, grâce à sa nouvelle manière de vivre, la Princesse ne recouvra pas seulement la santé la plus parfaite, le ciel voulut lui accorder encore dans le cours de cette même année un fils, un beau Czarowitsch, à qui l'on donna le nom de Feveh, c'est-à-dire de Soleil d'or. Le Czar récompensa très-généreusement l'homme habile qui avait guéri la Czarine sans drogues, et lui permit de se retirer dans l'habitation qu'il s'était choisie luimême; ensuite le Czar voua tous ses soins à l'éducation de son fils.

On lui donna pour gouvernante une veuve trèssensée et qui savait distinguer à merveille si l'enfant criait parce qu'il lui manquait quelque chose, ou parce qu'il était malade, ou parce qu'il n'était qu'entêté. On ne l'enveloppait point dans des langes, on ne le berçait point par des chansons, ni autrement, et on avait la plus grande attention de le faire manger à des heures réglées. C'était un charme de voir croître cet enfant et se fortifier à vue d'œil. Au bout de six semaines on apporta un beau tapis d'une couleur riante et tout parsemé de fleurs; ce tapis, qui pouvait avoir deux toises de long et deux toises de large, fut étendu dans la chambre à coucher du Prince; dès que le petit Czarowitsch était éveillé, on le posait sur le tapis; appuyé sur le côté droit, il se laissait bientôt aller en roulant tout doucement sur sa

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petite panse. On renouvelait chaque jour plusieurs fois cet exercice. Peu-à-peu l'enfant s'accoutuma si bien à s'aider de ses petits pieds et de ses petites mains pour se relever et se tenir debout, qu'avant l'année accomplie il marchait déjà d'abord en se tenant contre le mur, ensuite tout seul au milieu de la chambre. Alors on inventa pour l'amuser toutes sortes de jeux propres à lui apprendre à discerner les différens objets dont il était entouré et dont son intelligence naissante pouvait concevoir quelque idée. Avant de pou voir parler il s'était fait des signes pour tout ce qu'il voulait exprimer, et avait appris déjà le nom de toutes les lettres de l'alphabet; lui demandait-on où était telle ou telle lettre, tout de suite il mettait son petit doigt dessus. Quand il était malade, accoutumé à souffrir avec patience, il se tenait le plus tranquille qu'il pouvait; les accidens de la maladie en étaient moins forts, et le sommeil ne tardait pas à les adoucir. A l'âge de trois ans on l'inocula; c'est après cette époque qu'il montra un désir beaucoup plus vif de tout apprendre. De lui-meme et sans aucune contrainte il apprit à lire, à écrire, à compter; les jeux qu'il aimait de préférence étaient ceux qui servaient à l'instruire. Le Czarowitsch avait le cœur bon; il était compatissant, généreux, docile, reconnaissant, plein de respect pour ses parens et pour ses instituteurs; poli, affable pour tout le monde on ne le voyait jamais ni craintif, ni grondeur, ni entêté. Il obéissait constamment

en toutes choses aux règles de la saine raison : il disait toujours la vérité, et se plaisait à l'entendre; il détestait si fort le mensonge, qu'il n'aurait pas même voulu mentir en badinant. L'hiver et l'été, quelque temps qu'il fit, il allait au grand air; a moins que quelque raison de santé ne l'obligeât absolument à garder la chambre. Lorsqu'il fut parvenu à l'âge de sept ans, on lui donna pour gouverneur un homme d'un âge mûr et d'une vertu éprouvée. Ce gouverneur forma peu-à-peu notre jeune Czarowitsch à tous les exercices de la jeunesse; il lui apprit à monter à cheval, à tirer de l'arç, à lancer le javelot d'une main sûre. Durant les chaleurs de l'été le jeune Prince se baignait et apprenait à nager dans le fleuve Irtisch; enfin l'on rassemblait autour de lui tous les amusemens propres à donner au corps de la force et de l'adresse, à l'âme du courage et de la fermeté cultivait aussi les facultés de son esprit par la lecture des meilleurs livres. Les progrès du Czarowitsch répondirent merveilleusement à tous ces soins; mais, après avoir atteint sa quinzième année, il parut se lasser de la vie douce, tranquille, uniforme qu'il menait dans la maison paternelle : il aurait voulu en changer, mais il ne pouvait trop se rendre compte à lui-même de ce qu'il désirait : il avait envie de voir le monde, de juger par ses propres yeux ce qu'il avaît entendu raconter de tant de grands et de petits États, des usages de telle et telle Cour, de la discipline de telle et telle armée, du goût et des mœurs de différentes Nations : il

on

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