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mistriss Brooke et mistriss Bannister: la première surtout m'a paru remplie de naturel et de sensibilité, je lui trouvai quelques rapports avec mademoiselle Doligny. Il faut que M. Edwin possède un talent bien rare; car, quoiqu'une grande partie des finesses de son jeu dût être perdue pour un étranger comme moi, il me semblait toujours l'entendre ou du moins le deviner : il y a dans le jeu de sa physionomie, dans l'accent de sa voix, une force comique à laquelle on ne saurait résister. En le comparant aux premiers talens que j'ai connus dans ce genre, Préville et Raffanelli, j'oserai dire qu'à la finesse si piquante de l'acteur français, à la vérité si originale de l'Italien, M. Edwin me semble réunir une gaieté plus franche et plus naturelle. Ne serait-ce pas encore une singularité assez digne de remarque qu'aujourd'hui le comédien le plus gai ne se trouve ni en France ni en Italie, mais sous le ciel nébuleux de Londres?

A la représentation des pièces que je pouvais suivre le livre à la main, il ne m'échappait aucune intention de scène ; je saisissais même assez passablement les nuances les plus saillantes du dialogue; je dois en excepter pourtant certaines petites farces, comme the Minor, etc., dont les caricatures sont tellement locales ou tellement exagérées, qu'il m'était impossible, même après les avoir lues, d'y rien comprendre; ce qui n'empêche pas sans doute qu'elles ne soient très-divertissantes, car je voyais tout le monde en rire aux éclats. Le ton des comédies, même les plus régulières, étant fort libre,

on juge bien que la décence est encore moins respectée dans celles-ci. Je m'informai de qui dépendait la censure des Théâtres; on m'assura que toute la police des spectacles était confiée uniquement au lord Chambellan, qui n'en répondait qu'au Roi. Gardez-vous de le dire à MM. de La Harpe et Chamfort; comme ils s'indigneraient d'un pareil abus! comme ils se croiraient plus que jamais en droit de soutenir que l'Angleterre a toujours été loin des vrais principes de la Liberté!

Quand je me trouvai à Londres on était encore dans le premier enthousiasme de la Révolution française. J'eus la satisfaction d'y voir représenter la Prise de la Bastille sur trois Théâtres différens, chez Astley, à Sadlers-Wells et au RoyalCircus; c'est des circonstances les plus atroces, recueillies avec autant de sagesse que de modération, avec autant de fidélité que de goût, dans les fameuses Révolutions de Paris de M. Loustalot (1), qu'on avait composé ces espèces de pantomimes dialoguées. Ainsi vous croyez bien qu'on n'avait pas oublié d'y faire paraître le squelette dans la cage de fer, qu'on voyait retirer tout-àcoup avec le plus horrible fracas de l'un des cachots de la prison: ce qui ne pouvait manquer de produire un effet merveilleux; mais pour adoucir l'impression d'un spectacle si funeste, on l'avait

(1) Cet écrivain patriote vient de mourir presque subitement; c'était un avocat au Parlement de Bordeaux, âgé de vingt-huit ans. Messieurs du club des Jacobins ont arrêté de porter son deuil pendant trois jours.

terminé par une belle décoration d'opéra, représentant la Grande-Bretagne sur un char de triomphe, offrant aux hommages des spectateurs deux grands Transparent Portraits of the King and the Queen of Great Britain, accompagnés de beaucoup de chant et de musique.

A cette époque toutes les boutiques des marchands d'images étaient remplies de caricatures relatives aux événemens qui se passaient en France; dans l'une on voyait la Liberté assise sur les ruines de la Bastille, et le grand Monarque à genoux, recevant une couronne des mains de la Déesse, qui lui disait : C'est celle-ci que le temps ne saurait détruire: dans d'autres, l'allégorie était beaucoup moins noble; on y voyait le malheureux Prince forcé d'avaler la Constitution que lui présentaient peu civilement Philippe Capet et Riquetti l'aîné; tourmenté d'un débordement de despotisme désigné par l'image la plus sale, on lui faisait dire : Pensez-vous donc que ça se mange comme une aile de volaille?

Les séances de la Chambre des Communes auxquelles je pus assister ne furent ni fort nombreuses ni fort intéressantes; il en est pourtant une où je vis décider une assez grande affaire, la nouvelle taxe sur le tabac : il y avait eu d'assez vives discussions la veille, il n'y en eut aucune ce jour-là. Mais je jouis du bonheur de contempler à mon aise le vertueux jeune homme (1) qui, dans

(1) Les traits de M. Pitt, sans avoir rien de fort distingué, por◄ tent cependant l'empreinte d'une attention profoude, celle du calme

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F'âge bouillant des passions, sut déployer toute la maturité d'une expérience et d'une sagesse consommées; qui, dès son entrée dans la carrière politique, s'étant montré digne de soutenir l'immense héritage de gloire que lui avait laissé son père, au milieu des agitations les plus violentes, mérita la confiance ou du moins l'estime de tous les partis; dans des circonstances aussi pénibles que périlleuses, attacha plus que jamais la Nation au Trône, et lorsqu'un événement funeste ne laissait plus voir pour ainsi dire qn'un vain fantôme de la Royauté, le sut défendre encore, avec autant d'adresse que de fermeté, avec autant de succès que de courage.

Accoutumé comme je l'élais au bruit tumultueux de notre Assemblée nationale, vous ne serez pas surpris si je le fus beaucoup la première fois que j'assistai à une séance de la Chambre des Communes d'y trouver tant de décence, d'ordre et de tranquillité. Quel ne fut pas encore mon étonnement lorsque j'entendis l'Orateur de la Chambre ouvrir la séance par une assez longue prière, qui me parut écoutée par toute l'assemblée avec le recueillement du respect! Je n'y voyais pourtant ni archevêque, ni curé, ni moine, ni vicaire. Il est aussi très - vrai que la Nation qui occupait les tribunes de cette salle ne ressemblait guère à la Nation qui remplit avec tant de majesté ét de la dignité de l'âme; son maintien est fort négligé, même un peu lourd. Il ne paraît avoir conservé de la jeunesse que ce caractère de sérénité qui n'appartient qu'à cet âge heureux : on le voit souvent briller dans ses regards.

celles de notre auguste Manége: je n'y remarquai personne qui ne fût fort honnêtement vêtu, ce qui seul vous montre assez combien l'aristocratie conserve encore d'influence chez ce peuple prétendu libre. On m'assura que, pour peu que l'auditoire se rendit importun, il suffisait de la réquisition d'un seul Membre de la Chambre pour en être débarrassé. Les règlemens de discipline intérieure sont aussi d'une grande sévérité; un honorable Membre qui, par ses actions ou par ses discours, aurait osé les enfreindre, est fort bien envoyé sur-le-champ sous bonne escorte à la Tour, et si la faute est plus grave, condamné même à demander pardon à genoux à la barre de la Chambre. On me montra un de ces Messieurs à qui des discours fort inconsidérés firent éprouver, il y a quelques années, une pareille humiliation : c'était un mauvais plaisant, il s'y soumit; mais en se levant il s'essuya les genoux avec son coude, et dit assez haut pour être entendu : I never saw so dirty house in my life, de mes jours je ne vis une chambre si sale.

(La suite à l'ordinaire prochain).

LA VOLUPTÉ. Par M. Demoustier:

Aimer pour le plaisir d'aimer, Epancher librement son âme toute entière

Dans un cœur qu'on sait estimer;

D'un adorable caractère

Eprouver chaque jour la douce égalité,
N'y trouver de variété

Que dans mille moyens de plaire;

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