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qu'il fut reçu peut-être un peu trop froidement par l'auteur de la Bonne Fille, auquel on le présenta. Le temps qu'il avait à rester au collége liégeois touchait à sa fin, sa famille ne pouvait lui donner aucun secours; un Anglais lui offrait une pension pour le suivre à Londres; il allait partir avec lui, lorsque M. Mellon, attaché à l'ambassade de France, lui fit voir la partition de Rose et Colas. Cette lecture lui fit naltre l'envie d'aller à Paris; ainsi c'est à la lecture d'un des premiers ouvrages de notre Théâtre italien que nous devons le compositeur qui l'a tant enrichi, et c'est un poëme de M. Sedaine qui a donné Grétry à la France. Il partit de Rome laissant à ses camarades liégeois plusieurs Psaumes et quelques Messes; il dirigea sa route par Genève où on lui avait fait espérer qu'il gagnerait bientôt de l'argent à faire des écoliers. Ce besoin et la société de Voltaire, qui lui promettait de le voir souvent, le retinrent quelque temps dans cette ville. M. de Voltaire n'aimait pas la musique, il ne pardonnait pas à l'Opéra comique d'avoir fait déserter Zaire et Mahomet, mais il n'en pressa pas moins Grétry à quitter Genève pour se rendre

à Paris.

En arrivant dans cette capitale, il fut d'abord aux Italiens; mais en homme de génie élevé à Rome, il vit bientôt qu'il n'apprendrait rien en musique à ce spectacle, et ne fréquenta plus que le Théâtre français. Il sentait que la déclamation d'une langue est le premier élément, la première base du genre

de musique propre à cette langue, que c'était en l'étudiant qu'il saisirait la juste acception de ses accens et leurs différentes nuances, et c'est à l'étude particulière qu'il en fit que l'on doit peut-être cette vérité spirituelle qui distingue tous les bons ouvrages de M. Grétry. En attendant, l'argent qu'il avait gagné à Genève se dépensait, et il ne pouvait obtenir qu'un auteur voulût lui confier un poëme. Épuisé de moyens et sans ressources, il allait quitter Paris, lorsque M. le comte de Creutz, ambassadeur de Suède, qui avait distingué son talent, l'invite à dîner avec M. Marmontel; ce poëte consent enfin à lui donner le Huron. La musique en fut faite avec une grande rapidité, elle eut le succès le plus éclatant, et décida dès lors sa réputation et sa fortune. Le reste des Mémoires de M. Grétry offre l'histoire et l'examen critique de ses autres ouvrages. Sans le suivre dans ces discussions, l'on observera seulement qu'il n'est pas aussi sévère pour celles de ses compositions qui n'ont eu qu'un effet médiocre qu'il est juste dans les louanges qu'il donne à celles qui ont parfaitement réussi ; mais un père dissimule toujours les défauts de ses enfans, et ceux que la nature a traités le moins favorablement sont quelquefois ceux qu'il chérit de préfé

rence.

Parmi les anecdotes étrangères semées dans cet ouvrage, on nous permettra de citer ce qui concerne feu M. d'Hèle, l'auteur de l'Amant Jaloux et du Jugement de Midas; ce sont des traits qui

nous ont paru d'une assez grande originalité pour ne pas être oubliés.

« Cet Anglais, dit-il, que la perte de sa fortune avait engagé à venir cacher son indigence à Paris, s'appelait Hales, que les Anglais prononcent comme hélas. Il vivait très-sobrement à Paris; toutes les passions semblaient s'être anéanties chez lui pour ranimer celle de l'amour. Une femme de Paris lui dissipa le reste de sa fortune; c'est alors qu'il s'occupa du Théâtre, et qu'il fréquenta assidùment le café du Caveau du Palais Royal. D'Hèle parlait peu, mais toujours bien; il ne se donnait pas la peine de dire ce que l'on doit savoir, et il interrompait les bavards en disant d'un ton sec: C'est imprimé. Lorsqu'il approuvait, c'était d'un léger coup de tête; si on l'impatientait par des bêtises, il croisait les jambes en les serrant de toutes ses forces, il humait du tabac qu'il avait toujours dans ses doigts, et regardait ailleurs.

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» Forcé de se battre avec un homme qui l'insulte après lui avoir prêté de l'argent qu'il ne peut rendre, d'Hèle lui fait sauter son épée, et lui dit avec tout le flegme anglais : Si je n'étais votre débiteur, je vous tuerais; si nous avions des témoins, je vous blesserais; nous sommes seuls, je vous pardonne.

» Un jour étant chez un de ses amis, il se revêtit d'une nippe dont il avait besoin et sortit. Son ami rentre, et en s'habillant ne trouve point tout 'ce qu'il lui fallait. M. d'Hèle seul était entré dans l'appartement, mais on n'osait le soupçonner;

cependant le soir au Caveau, le Monsieur, en portant la main sur la cuisse de d'Hèle, lui dit: Ne sont-ce pas là mes culottes ? Oui, dit-il, je

n'en avais point.

>> Je l'ai vu long-temps presque nu, il n'inspirait pas la pitié; sa noble contenance, sa tranquillité semblaient dire : Je suis homme, que peut-il me manquer?»

Conte russe.

On assure que l'original du Conte dont nous avons l'honneur de vous envoyer la traduction fut écrit en russe par une très-grande Souveraine: nous ignorons à quelle époque; on dit seulement que cette Princesse se trouvait souvent n'avoir rien à faire, quoiqu'elle eût le plus vaste Empire du monde à gouverner et à défendre, et que dans ces momens de repos elle daignait s'occuper ellemême de l'éducation de ses petits-enfans, et que ce Conte est le fruit d'un de ces heureux loisirs.

«Avant les temps de Kiis, prince de Kief, il y avait en Russie un Czar qui était bon homme, aimait la vérité et voulait du bien à tout le monde; il parcourait souvent les provinces de son Empire pour voir comment on y vivait, et il s'informait partout si l'on était heureux et raisonnable.

» Le Czar avait une Czarine, et le Czar et la Czarine vivaient dans la plus grande union; la Cza rine voyageait toujours avec le Czar, elle ne pouvait supporter d'être séparée de lui,

» Un jour le Czar accompagné de la Czarine

arriva dans une ville située sur une haute montagne au milieu d'une forêt. C'est là qu'il eut un fils d'une beauté merveilleuse qu'on appela Chlore; mais au milieu de la joie des fêtes destinées à célébrer durant trois jours la naissance du Prince, le Czar apprit la fâcheuse nouvelle que des peuples voisins cherchaient à l'inquiéter, qu'entrés dans ses États, ils en avaient déjà ravagé la frontière ; il se mit à la tête des troupes qui campaient près de là et courut défendre ses fidèles sujets. La Czarine partit avec le Czar, mais le Czarowitsch resta dans la ville et dans la maison où il était né. Le Czar laissa près de lui sept gouvernantes remplies de prudence et ayant tous les talens propres

à l'éducation. Il fit entourer la ville d'une forte muraille flanquée de tours, suivant l'usage de ces temps; on ne plaça point de canons sur les tours, parce qu'alors il n'y avait encore de canons nulle part. La maison dans laquelle demeurait le Czarowitsch Chlore n'était à la vérité ni de marbre de Sibérie ni de porphyre, mais elle était solide et commode. Derrière la maison l'on avait planté des jardins fruitiers arrosés par des canaux d'eau vive remplis d'excellens poissons et dont la fraîcheur embellissait toute la contrée. Plusieurs pavillons d'une architecture variée et d'où la vue s'étendait au loin sur les vallons et sur les campagnes ajoutaient encore au charme de ce séjour.

» A mesure que le Czarowitsch avançait en âge, sa nourrice et ses gouvernantes ne manquèrent pas de s'apercevoir qu'il était aussi sage

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