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MARVARD COLLEGE LIBRARY GRATIS

APR 9 1931

57903 40-71 26-17

CORRESPONDANCE

LITTÉRAIRE,

PHILOSOPHIQUE,

CRITIQUE, etc.

JANVIER 1789.

LE Démophon de M. Marmontel est emprunté d'un opéra du même nom du célèbre Métastase, comme l'opéra italien avait été emprunté d'une de nos plus intéressantes tragédies, d'Inès de Castro, de La Mothe. Métastase crut devoir y ajouter plusieurs épisodes qui en ont compliqué l'intrigue. M. Marmontel en a retranché une partie; la marche de son poëme est plus simple. mais le dénouement est-il aussi naturel, aussi vraisemblable?

La première représentation de cet ouvrage a été reçue plus froidement qu'elle ne le méritait, et celles qui lui ont succédé ne prouvent pas qu'on soit encore disposé à lui rendre plus de justice. Malgré les défauts que nous avons relevés dans le poëme, il offre des détails qui font hon

neur au talent de M. Marmontel; c'est peut-être de tous ses opéras celui dont le style est le moins négligé; les paroles de plusieurs airs, celles des duo en général sont des modèles de la manière dont les auteurs lyriques doivent traiter ces parties si importantes d'un opéra. Au lieu de suivre le plan tracé par La Mothe, M. Marmontel a voulu se rapprocher davantage de celui de Métastase : la double intrigue admise par ce dernier devait nécessairement partager l'intérêt et distraire de celui que la situation et le malheur de Dircé pouvaient et devaient naturellement inspirer; mais il fallait ne pas oublier peut-être que Métastase travaillait pour un Théâtre où les doubles intrigues sont commandées par l'usage, la volonté des musiciens et la durée d'un spectacle, qu'il serait difficile de remplir par les seuls moyens d'une action simple et une, et qu'un double intérêt sert par la variété qu'il offre à la musique, plaisir que cherchent trop uniquement les Italiens dans leurs opéras. En France, il sera toujours très-difficile de présenter sur nos Théâtres lyriques des actions complexes, parce que la durée de nos spectacles ne permet pas les développemens que demandent deux intrigues pour être claires et pour intéresser. L'auteur de l'opéra d'Andromaque ne l'a fait peut-être avec quelqu'apparence de succès qu'en sacrifiant presque entièrement l'amour bien plus intéressant d'Oreste pour Hermione que celui de Néadé pour Ircile à l'amour maternel d'Andromaque pour son fils. La présence de cet enfant, introduit sur la

scène des le second acte, produisait l'intérêt le plus attendrissant, parce qu'il avait été préparé à l'aide des développemens de la tragédie de l'immortel Racine, et l'amour d'Oreste pour Hermione n'affaiblissait pas ce sentiment si attachant, parce que l'auteur n'en avait conservé que ce qui était nécessaire pour lier l'intrigue et accroître l'intérêt de son action. C'est le seul outrage fait au grand modèle qu'il traduisait sur la scène de l'Opéra qu'on a dû lui pardonner en faveur des larmes que les deux situations dans lesquelles il présentait Astyanax ont fait répandre aux spectateurs.

Quant à la musique de Démophon, elle n'a pas rempli tout ce qu'on attendait du talent très-avantageusement annoncé de M. Chérubini. Ses chants, quoique purs, et sous ce rapport digues de l'école du célèbre Sarti, où ce jeune compositeur a été élevé, n'ont pas paru toujours assez neufs; on a trouvé que l'expression de ses airs manquait quel quefois de tendresse et de vérité; que dans son récitatif, partie si importante d'un opéra français, il avait mal saisi le caractère des paroles, ou s'ex primait d'une manière trop vague. Ces défauts, qui tiennent peut-être à l'ignorance d'une langue avec laquelle M. Chérubini n'est pas encore assez familiarisé, n'empêchent pas que l'on ne doive rendre justice à la manière aussi correcte qu'élégante de ce jeune compositeur, à la beauté et à J'harmonie savante de ses cliceurs, à la grâce variée et piquante de ses airs de danse, à la richesse de .son orchestre, et surtout au sentiment d'une mé

lodie douce et gracieuse. Peut-être, à la place de ces éloges mérités, vaudrait-il mieux avoir à lui reprocher les écarts qui siéraient à son âge : cette chaleur d'une imagination qui, surabondante dans ses moyens, se livre à l'originalité de ses pensées, sans en apprécier trop la justesse, les développe par la variété des formes qu'elle invente, et qui, sentant vivement, exprime même avec une énergie outrée les sentimens qu'on lui offre à peindre. Mais l'opéra de Démophon ne prête à aucune critique de ce genre.

Pour décider quel est le plus bel ouvrage de M. Necker, celui du moins où il a déployé avec plus d'étendue et de profondeur les talens, le caractère et le génie d'un homme d'état, d'un grand ministre, on croit qu'il faudrait choisir entre son Mémoire sur l'établissement des administrations provinciales et le Rapport qu'il fit au Conseil le 27 décembre dernier, époque à jamais mémorable et pour le bonheur de la Nation et pour la gloire duMonarque. Ce dernier ouvrage était sans contredit le plus difficile à faire; environné de toutes parts d'abîmes et d'écueils, il marche au but qu'il fallait atteindre d'un pas ferme et sûr, avec toute la confiance que peut inspirer une raison supérieure jointe à l'intégrité la plus pure. La noble franchise de son intention y paraît toujours d'accord avec l'adresse de ses moyens, et c'est la puissance même des obstacles qu'on avait cherché à élever contre elle qu'il fait servir habilement à l'appui de sa cause.

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