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Enfin, où en sont les choses? Etes-vous au bout de toutes vos extravagances? Combien de vos victimes dont vous avez précipité les jours et empoisonné la fin! Un jour viendra où la Nation entière verra combien elle a été trompée par des charlatans, s'apercevra que vous n'avez fait de votre effrayant pouvoir que l'instrument de vos haines et de votre ambition. Recevez ces tristes vérités, et ne doutez pas que je ne fasse tous les jours des vœux contre vous.

Le Paysan Magistrat, ou l'Alcade de Zalaméa, drame en cinq actes, en prose, représenté pour la première fois le lundi 7 décembre au Théâtre français, qui s'appelle aujourd'hui Théâtre de la Nation, est de M. Collot d'Herbois. Cette petite pièce, imprimée depuis longtemps, avait déjà paru avec succès sur plusieurs théâtres de province; elle est tirée d'une pièce espagnole de D. Pedro Calderon de La Barca (1). On peut juger par le simple précis que nous allons en donner combien M. d'Herbois s'est permis d'altérer son modèle.

Un jeune officier, le neveu du général, vient loger chez un riche et honnête laboureur nommé Crespo, qui a une fille et une nièce. Le jeune homme est d'abord très-empressé de voir l'une et l'autre, mais à ce premier mouvement de curiosité se joint bientôt un intérêt plus sérieux, lorsqu'il

(1) Voyez le second volume du Théâtre Espagnol, traduit par M. Linguet.

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s'aperçoit que la fille du laboureur est une jeune personne qu'il a vue par hasard aux spectacles de Madrid et dont il a gardé le plus tendre souvenir. Son amour projette aussitôt un enlèvement, et, grâce au sergent qui l'accompagne, le projet s'exécute très - militairement. On les arrête aux portes de la ville. Dans l'intervalle, le laboureur a été fait Alcade, ce qui lui donne le pouvoir de venger sa fille et son honneur; mais soumettant son ressentiment à la justice, ou plutôt cédant à la tendresse paternelle, il propose à l'officier d'anéantir la procédure s'il consent d'épouser sa fille. Le jeune homme s'y détermine sans peine, mais son oncle est moins docile; il finit pourtant par se laisser fléchir aux larmes de la jeune personne et à l'estime que lui inspire le caractère de son père. Il pardonne au fils de Crespo qu'il avait reçu comme volontaire, et qu'il voulait livrer au conseil de guerre pour s'être battu contre le ravisseur.

Quoiqu'il n'y ait dans la pièce française ni viol, ni meurtre, ni jugement capital, comme dans la pièce espagnole, on y a conservé cependant les principaux caractères, les effets les plus dramatiques de l'action. Il y a du mouvement et de l'intérêt, mais les scènes qui semblaient devoir amener les développemens les plus attendrissans sont faibles; celle du père devenu de simple laboureur juge du ravisseur de sa fille est loin de remplir l'attente du spectateur, elle nous a paru manquer également de pathétique et de dignité. Ce qui a le plus réussi, ce sont quelques détails du rôle,

de Crespo, dont la simplicité franche et courageuse étonne et embarrasse souvent le vieux général d'une manière assez piquante; comment n'applaudirait-on pas dans ce moment tout ce qui semble fait pour humilier les prétentions du rang et de la noblesse? Des sarcasmes de ce genre n'avaient pas même besoin d'esprit et d'originalité pour être sûrs de réussir. En dépit de ce mérite, les représentations du Paysan Magistrat n'ont pourtant pas été fort suivies. Quelque accueillis que soient les détails d'un ouvrage de théâtre, ce ne sont jamais ces détails qui en décident le succès.

La représentation de Caroline, opéra comique en trois actes, donné au Théâtre italien le mer

credi 2, n'a pu être achevée; les murmures du parterre et des loges ont forcé les acteurs de se retirer dès le commencement du second acte. Les paroles de ce malheureux opéra sont de M. de La Chabeaussière. Il en avait pris le sujet dans le joli roman de Caroline, et si le moyen qu'il avait imaginé pour son dénouement n'était pas trèsvraisemblable, il était au moins ingénieux, c'était de faire jouer à l'époux même le rôle de l'amant. Le public n'a pas eu la patience d'attendre le mot de l'énigme, et le caractère ridicule de la Tante est ce qui a contribué le plus à lui donner de l'humeur. La musique a paru plus qu'insignifiante, on l'a trouvée plate et niaise.

Voyage de M. Le Vaillant dans l'intérieur de l'Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, dans les années 1780, 1781, 1782, 1783, 1784 et 1785. Deux volumes in-8°, avec gravures enluminées.

Ce nouveau Voyage est un des livres les plus remarquables dont notre littérature se soit enrichie cette année; peut-être même est-ce le seul, après Anacharsis, qui ait mérité quelque succès et qui l'ait obtenu; c'est beaucoup, vu la foule innombrable de volumes et de feuilles sur les affaires du temps que chaque jour voit éclore, et qui par leur objet du moins semblent solliciter exclusivement l'attention des lecteurs de toutes les classes. Il faut avouer que ce n'est cependant ni par des découvertes bien importantes, ni par des observations bien profondes que l'ouvrage deM.Le Vaillant a pu intéresser; il n'a pas pénétré fort avant dans l'intérieur de l'Afrique, et nous savions, à peu de chose près tout, ce qu'il nous en dit. Le plus grand charme attaché à la lecture de ce Voyage tient au caractère même du voyageur, à l'active intrépidité qui marque toutes ses entreprises, à la prudence de ses moyens et de ses mesures, à la candeur naturelle de ses sentimens, à la vivacité de toutes ses impressions, et surtout à la simplicité attachante avec laquelle il a su les décrire. On sent qu'il a peu songé à rendre son style plus ou moins précis, plus ou moins élégant; mais ses descriptions ont beaucoup de netteté, sa narration est toujours claire, animée,

elle entraîne sans effort l'imagination de ses lecteurs; on croit moins le lire que l'écouter; on partage ses plaisirs, ses peines, ses dangers, ses succès; il semble en un mot qu'on soit du voyage, et l'on finit par l'aimer comme si l'on eût réellement passé une partie de sa vie avec lui.

Pour donner une idée de la manière dont M. Le Vaillant sait peindre les objets qui l'ont frappé, nous citerons la peinture qu'il fait d'un jeune Cafre de dix-huit ans, à qui son adresse à lancer la sagaie et la massue courte avaient acquis une grande réputation..

« J'envoyai chercher, dit-il, un mouton, et le montrant du doigt au jeune homme, je lui permis de le tirer. Il portait cinq sagaies dans la main gauche; sur mon invitation il en saisit une de sa droite, fait lâcher le mouton qui se met à galoper pour rejoindre le troupeau; en même temps il brandit sa sagaie avec force, et s'élançant en avant par quatre ou cinq sauts rapides, il la décoche, la sagaie siffle, fend l'air et va se perdre dans les flancs de l'animal qui chancelle et tombe mort sur la place... Je ne pus lui cacher ma surprise et ma joie ; tant d'adresse unie à la force, à la grâce, enchanta tout mon monde. L'amourpropre est un sentiment universel, mais il se modifie suivant les mœurs et les climats ; en Europe il brille dans les yeux, dans tous les traits d'une belle femme et lui donne de la fierté; il est l'âme des talens et fait naître des chefs-d'œuvre; il se cache même sous la bure et les haillons. En

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