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pourront servir à l'histoire que l'on écrira dans cinquante ans. Ces traits portent, je crois, principalement sur M. de La Vauguyon, gouverneur de M. le Dauphin; ce personnage, dans la pièce, s'appelle Guignon. Deux contes de madame de Choiseul, La Princesse enchantée et La Queue de vache, terminent le recueil. Il n'y a pas beaucoup d'invention dans ces deux contes, mais de la grâce et de la facilité.

Tous ces Mémoires ne sont guère faits pour soutenir la réputation de M. de Choiseul; ils donnent trop bien la mesure de ses lumières, de ses vues et de ses projets; on y reconnaît un esprit léger, superficiel, mais avec cette espèce de bonhomie, de franchise, de loyauté dont un courtisan peut être susceptible, avec ce caractère de grandeur au dehors, qui n'est pas la véritable dignité d'un homme d'Etat, mais qui en est cependant une représentation plus ou moins imposante.

LETTRE de M. Pitra, Conseiller Administrateur au département des domaines de la ville de Paris.

Ce n'est pas un éloge de Vernet que j'ai l'honneur de vous adresser, ce sont seulement quelques faits épars de la vie de cet homme célèbre, recueillis dans l'intimité de sa société, seul hommage que je puisse rendre à l'amitié dont il m'honorait. Je regrette bien de n'avoir pas prévu qu'un jour j'aurais à vous entretenir de ce grand peintre; il aimait à parler de son enfance, de ses études, de ses voyages; on pouvait le questionner sur tous les instans de sa vie, il se plaisait à raconter, et j'aurais pu l'engager sans indiscrétion à me communiquer beaucoup d'anecdotes plus intéressantes peut-être que celles dont j'ai conservé le souvenir. Au reste, l'histoire de Vernet (1), comme celle de tous les grands talens, est dans leurs ouvrages : c'est à un homme de l'art à écrire la vie de ce grand peintre. Je vais seulement vous en rappeler quelques traits qui vous feront peut-être aimer son caractère autant que vous admirerez son génie.

Vernet fut de ce petit nombre d'hommes qui

(1) Claude-Joseph Vernet, peintre du Roi, conseiller de son Académie roya'e de peinture et de sculpture, membre de plusieurs autres Académies, né à Avignon le 14 août 1714, d'Antoine Verner et de Thérèse Garnier, mort à Paris le 3 décembre 1789.

annoncent presque en naissant ce qu'ils doivent être un jour. Son père était peintre à Avignon; son talent et sa fortune étaient médiocres. Sa mère lui a souvent raconté que le hochet qui lui plaisait davantage et avec lequel elle était sûre de le faire taire lorsqu'il criait, était un des pinceaux de son père. Ce fait, qui ressemble un peu à un conte de bonne femme, paraîtra mériter plus d'attention lorsqu'on saura que cet enfant s'amusait, dès l'âge de trois ans, avec les crayons de son père; on était obligé de les cacher soigneusement, parce qu'il s'emparait de tous ceux qu'il trouvait, et ne manquait pas, comme on peut croire, de gâter les dessins qu'il s'avisait de retoucher. Ce qu'il y a de sûr, c'est que Vernet, à l'âge de cinq ans, commençait à dessiner la figure, et sa mère, à son retour d'Italie, lui montra plusieurs têtes qu'il avait dessinées à cet âge, et qu'elle avait conservées. A sept ou huit ans son père lui donna une petite palette et un chevalet. Il lui accordait, pour récompense de ses études de dessin, la permission de peindre les esquisses dont il était le plus satisfait. Il le destinait à peindre l'Histoire, et les dispositions du jeune Vernet faisaient espérer qu'il réussirait dans ce genre. Ses progrès furent même si rapides et si marqués, que les amis de son père le déterminérent à l'envoyer de bonne heure à Rome perfectionner son talent naissant par l'étude des grands modèles. Vernet avait quinze ans et demi

lorsqu'il partit d'Avignon. Son père lui remit une douzaine de louis et le recommanda à un voiturier qui se chargea de le conduire à Marseille. Vernet m'a souvent raconté que c'est de ce voyage que date la première impression du sentiment qui détermina son choix pour le genre dans lequel il s'est rendu si célèbre. La Provence, qui touche presqu'aux portes d'Avignon, offre aux voyageurs des sites et des paysages qui tranchent d'une manière très-sensible avec ceux du Comtat. Le conducteur du jeune Vernet pouvait à peine l'empêcher de s'arrêter à chaque pas pour dessiner ce groupe de montagnes dont la forme et la stérilité annoncent le voisinage de la mer, tandis que les plaines qui les bordent offrent une végétation accélérée par la chaleur du plus beau soleil, et des routes bordées de grenadiers et d'autres arbustes odoriféraus. Vernet n'a jamais oublié l'impression que lui fit éprouver la vue de la mer, lorsqu'il la découvrit pour la première fois de la Viste, montagne située à deux lieues de Marseille. Cet immense bassin qui se prolonge à perte de vue, les îles d'If, de Pomeguai, de Ratoneau, placées en face à trois lieues de distance de la terre, comme des fabriques mises au milieu de ce lac immense pour en briser l'uniformité; la tour du Bouc qui se termine en se perdant dans l'horizon; Marseille et cette foule de bastides qui couronnent la droite de ce tableau; le petit port et la péninsule des Marti-.

gues, placée sur la gauche de cette grande rade å laquelle une multitude de vaisseaux donnent une sorte de vie et de mouvement; tout l'ensemble de ce superbe spectacle enflamma le génie de notre jeune peintre, et ce moment décida qu'il ferait tous les chefs-d'œuvre de marine dont il a enrichi l'Europe. Vernet s'élança de sa voiture, saisit ses crayons, s'assit au pied d'un rocher qui l'abritait du soleil, et ni les instances, ni les prières de son conducteur ne purent parvenir à l'en arracher et à l'engager à le suivre. Il ne quitta ses crayons que lorsque le soleil cessa de l'éclairer; ce ne fut qu'alors qu'il rejoignit, mourant de faim, le voiturier à l'auberge où celui-ci de l'attendait. Le lendemain Vernet se procura la toile et des couleurs, et se tint renfermé sept jours pour peindre le plus détestable tableau de marine qu'il ait fait, dit-il, de sa vie, mais qu'il aurait bien voulu retrouver, lorsque dix ans après il revint de Rome à Marseille composer cette fameuse Tempête qu'il fit pour M. Poulharies, négociant de cette ville, tableau qui rendit si célèbre le burin de Baléchou, compatriote de Vernet, établi depuis en Angleterre.

C'est au port de Marseille que Vernet s'embarqua pour aller à Rome. Le vaisseau sur lequel il était essuya une tempête terrible à la hauteur de l'île de Sardaigne. Déjà le vent qui s'élevait annonçait à l'équipage le danger qui le inenaçait, mais ce danger était une bonne fortune pour notre jeune peintre. Il demanda, il ob

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