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et de vérité; c'est Ninon qui les adresse au marquis de Villarceaux.

<< L'art ne fait point naître les sens, c'est un don de la nature. Vous ne pouvez donc devoir mademoiselle d'Aubigné qu'à sa tête; oui, Marquis, qu'à sa tête : écoutez seulement. Par le mot sens on ne veut peindre que cet attrait invincible pour le plaisir que les hommes cherchent toujours dans leurs maîtresses. Il en est cependant un autre qui peut porter le même nom; celui-ci est presque indéfinissable, il naît du désouvrement, de la lecture des romans, de l'exaltation actuelle ; c'est un vide, un besoin inexplica ble qui règne dans la tête de quelques femmes, auquel elles sont aussi soumises qu'aux mouvemens involontaires de leurs sens. Ce désir chimérique les domine, d'autant plus qu'il n'a point de but réel; un homme adroit le tourne toujours à son avantage avec art il gagne la confiance d'un cœur qu'il veut séduire; connaissant sa faiblesse, il la plaint, il parle d'un bonheur qui lui est inconnu et qui fait le charme de la vie : aisément il monte une tête qui s'exalte d'elle-même; elle croit voir sa chimère se réaliser; bientôt celui qui la lui fait entrevoir lui devient nécessaire. S'il a le sens commun, alors il s'éloigne, il augmente par-là le désir, le besoin qu'on a de le voir; si ce désir ne devient pas une passion, il est si vif qu'il porte souvent aux mêmes sacrifices, etc. »

L'ABSENCE. A Babet.

Je souffre, ma Babet l'ignore.
Peut-être même en cet instant
Au nouvel amant qui l'adore
Sa bouche a souri tendrement.
Peut-être, hélas !... Mais je l'ignore.
Ah! l'heureux sort que d'être absent!
Elle a passé la douce aurore
Qui lui promettait mon retour;
Babet sans y songer encore
A su jouir de ce beau jour.
Combien l'absence sert l'amour!
Moi, pour Babet toujours le même,
En la voyant je la croirai,

En la croyant je l'aimerai;
Tout s'excuse dans ce qu'on aime.
Mais je soutiens que tout amant,
Comme moi sans être en délire,
Plus d'une fois aurait pu dire:

Ah! l'heureux sort que d'être absent!

On a donné au Théâtre italien, samedi 31 octobre, la première représentation de Raoul, Sire de Créqui, comédie lyrique en trois actes, en prose, mêlée d'ariettes, paroles de M. Monvel (1), mu

(1) M. Boutet de Monvel, ancien acteur de la Comédie française, ensuite lecteur de S. M. le Roi de Suède, depuis enterré glorieusement dans le nécrologe de plusieurs Journaux, puis marié, puis voyageant... après avoir erré sur quelques théâtres de province, vient de reparaîLe, au grand étonnement de la capitale, sur celui des Variétés

sique du chevalier d'Alayrac. Le sujet de cette pièce est tiré d'une Nouvelle de M. d'Arnaud. C'est plutôt une pantomime qu'une pièce, mais c'est une pantomime fort dramatique et surtout fort pittoresque.

L'analyse la plus fidèle ne saurait donner une juste idée de l'effet d'un ouvrage qui est tout en situations; si le premier jour on y a trouvé quelques langueurs, ce ne peut guère être dans les développemens, car il n'y en a presque point; c'est uniquement dans le mouvement de l'action dont la vraisemblance exigeait sans doute, pour ne pas troubler l'illusion, que les temps fussent encore plus pressés. C'est ce qu'on a eu l'attention de faire aux représentations suivantes, et le succès de l'ouvrage s'est soutenu. Il y a dans le second acte un mérite très-neuf et très-réel, c'est la manière adroite dont les deux scènes se trouvent toujours liées; soit qu'elles se succèdent l'une à l'autre, soit qu'elles soient simultanées, l'effet de l'une ajoute toujours infiniment à l'effet de l'autre. La musique n'a rien de remarquable, mais elle est en général assez analogue au caractère des différentes situations, et sous ce rapport elle a été justement applaudie.

vers,

La mort de Molière, comédie en trois actes, en de M. le chevalier de Cubières, représentée pour la première fois au Théâtre français le jeudi 19 novembre, n'a pas été entièrement achevée; Amusantes, où, malgré la faiblesse de ses moyens physiques, il n'a pas joué un seul rôle dans lequel il n'ait eu le plus grand succès.

aussi quelle idée que celle de choisir pour le sujet d'une comédie la mort d'un grand homme, et de le présenter pour ainsi dire agonisant durant deux actes! Cette situation a paru si triste et si pénible, qu'on a su presque bon gré à l'auteur de n'avoir pas eu le talent de la rendre plus intéressante; on trouve en effet dans l'invention de cette pièce beaucoup moins d'originalité que de démence et de bizarrerie. Le premier acte cependant offre quelques jolis vers et même une idée de scène assez heureuse. Chapelle a communiqué à Molière une pièce de sa façon. Il y trouve de l'esprit, des traits, mais pas le sens commun :

Croit-il mon pauvre ami que pour la comédie
L'esprit soit suffisant? Du bon sens, du génie,
Voilà, voilà surtout les dons qu'il faut avoir.

Tel qu'il est, en un mot, l'homme cherche à se voir,
Et non tel qu'on l'a peint dans cet œuvre infidèle.
Qui manque la copie est sifflé du modèle.

Je ne répondrais point que cet ouvrage-là
Ne réussît pourtant, qu'il ne plût; et voilà
Comme de Beaux-Esprits, membres d'Académies,
Quand je ne serai plus, feront des comédies...

Molière s'explique franchement avec son ami, et pour justifier son opinion il lui propose de consulter La Forêt, sa bonne servante. Chapelle, qui trouve l'épreuve bizarre, la croit encore fort hasardeuse Elle est accoutumée à tout ce qui vient de vous, et votre renommée lui fait trouver tout bien. Disons-lui, répond Molière, que la pièce est de moi... Plus d'excuse. On appelle La Forêt.

:

Molière lui lit le commencement de la première scène ; c'est l'Insouciant, comédie en cinq actes; il n'en a guère lu plus de trente vers que la pauvre fille appuyée sur son balai s'endort.- La Forêt?... Vous voyez l'effet de la lecture,

Elle dort tout debout.

Ce trait ne pouvait manquer de réussir.

Elle vient de paraître enfin, la seconde partie des Confessions de J. J. Rousseau, en deux volumes in-8°, et c'est sur une copie déposée à Genève que paraît avoir été faite l'édition. Cette seconde partie, quant au talent de l'écrivain, est assurément au dessous de la première; elle est plus méprisable encore quant au fonds; c'est un tissu de bassesses, de folies, souvent même de platises, le mot est de l'invention de Rousseau, et semble fait tout exprès pour caractériser une grande partie des détails contenus dans ce singulier ouvrage. Il y a cependant une sorte de charme attaché à cette lecture dont on ne saurait se défendre; on se fâche, on s'indigne souvent contre l'auteur, on est tenté plus d'une fois de jeter le livre, mais on le reprend toujours, et quelque humeur que puissent donner ses injustices, ses préventions, ses extravagances, on finit par admirer le talent qui a pu jeter tant d'intérêt sur des inepties aussi bizarres, quelquefois même aussi odieuses (1). In

(1) Que penser par exemple d'un homme qui, après avoir annoncé qu'il envoya ses trois enfans à l'hôpital des Enfans-Trouvės, ajoute : «Si je disais mes raisons, j'en dirais trop; puisqu'elles ont pu me >> séduire elles en séduiraient bien d'autres. >>

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