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d'inertie et de résistance, qu'une force de mouve ment et d'activité. On a calculé profondément que le contraire serait bien plus neuf, bien plus hardi ; en conséquence, on a prescrit tantôt avec mépris, tantôt avec fureur, toute division du Corps représentatif qui aurait pu servir à fixer l'incertitude de ses vues, la mobilité de ses projets; et plus on a senti combien il importait à la puissance du Corps représentatif de demeurer indivisible, plus on a cherché tous les moyens imaginables de diviser et de subdiviser à l'infini le Pouvoir Exécutif. On est parvenu à le réduire à des fractions si minimes, qu'il peut paraître aujourd'hui fort douteux s'il reste assez d'énergie au Pouvoir Exécutif, non pas pour se défendre luimême, ce qui menacerait la Liberté, mais pour empêcher seulement que l'inviolabilité des Représentans de la Nation ne soit plus qu'une qualité métaphysique peu respectée de la classe la plus imposante de Messieurs leurs commettans.

Des hommes légèrement initiés dans les secrets de nos Lycurgues modernes ont osé dire qu'ils avaient fait précisément pour la Puissance Législative ce qu'il convenait de faire pour le Pouvoir Exécutif, et pour le Pouvoir Exécutif ce qu'il convenait de faire pour la Puissance Législative.

Ils ont osé dire encore que si la Liberté l'avait emporté sur le Despotisme, cela n'était pas étonnant, parce que la Liberté s'était servie de toutes les armes du Despotisme, et que l'autorité que l'on appelle aujourd'hui le Despotisme n'avait

guère employé que celles de la justice et de la bonne foi; que les avantages qui appartiennent communément au petit nombre, l'accord et le secret, par une fatalité singulière dans la circonstance actuelle, semblaient avoir été le partage du plus grand nombre, etc. (1).

J'ai le plus profond respect pour des révolutions de brochures et de philosophie, surtout lorsqu'elles sont appuyées par une coalition aussi terrible que celle de la populace et de l'armée, mais quelque décisifs qu'en soient les effets, je crains toujours un peu le retour de cet empire qu'il ne faut jamais oublier, celui des choses et des circonstances.

Tant de longues habitudes contrariées en même temps, tant d'abus imaginaires ou réels (2) réformés sans égards et sans mesure, tant de pouvoirs, tant de droits, tant de prétentions de tout genre qu'on a vu sacrifier avec une si grande violence, ont amoncelé à mes yeux une masse de mécontentemens et de vengeance qui m'afflige et m'épouvante.

Si la classe la plus nombreuse des habitans de

(1) L'établissement de la Milice nationale a peut-être sauvé le Royaume, et surtout la Capitale, des plus grands malheurs; mais que dirait le chevalier des Dialogues de l'abbé Galiani, du projet de mettre habituellement toute la France en régimens? Ne le trouverait-il pas presque aussi étrange que celui de mettre toute la France en ports de mer?

(2) De ce nombre sont sans doute certains priviléges exclusifs qui, pour paraître au premier aperçu n'être profitables qu'à cinq ou six personnes et nuisibles à cent autres, n'en font pas moins le bonheur, l'agrément ou la sûreté de dix mille.

ee vaste Empire paraît animée dans ce moment de la même pensée, du même vou, le sera-t-elle encore lorsqu'elle verra tromper, je ne dis pas les espérances que son imagination s'exagère, mais celles même qui ne seraient que justes, si les suites de la révolution qui l'enivre aujourd'hui de joie ne risquaient pas d'en rendre l'accomplissement plus difficile?

Le grand nombre ne sera-t-il pas toujours le grand nombre? Pourra-t-il acquérir les mêmes lumières, jouir des mêmes avantages que le petit nombre des privilégiés de la nature et du sort? Ceux de la Loi proscrits, les autres n'en existeront pas moins, n'en abuseront pas moins, n'en seront pas moins exposés à l'envie et à toutes les passions qu'elle inspire.

Séduit, acheté par un parti, ce grand nombre ne peut-il pas l'être demain par un autre? Ne fûtce pas là dans tous les temps son patrimoine et sa destinée?

Dans la réunion des circonstances les plus favorables, ne pouvait-on concevoir une manière de réformer les abus, de rétablir l'ordre qui eût épargné à la Nation des mouvemens si convulsifs, des dangers si menacans, des scènes d'horreur si atroces? Pour régénérer l'Empire fallait - il en croire des conseils perfides, imiter la crédulité barbare des filles de Pélias, et sur les fausses promesses d'un Génie plus cruel que Médée déchirer la Patrie, comme elles déchirèrent l'auteur infor

tuné de leurs jours, dans le fol espoir de lui rendre ainsi la vie et la jeunesse ?

Une constitution sage et raisonnable ne peut manquer d'influer sur le caractère d'une Nation, en assurer le bonheur, la puissance et la liberté; sous ce point de vue elle intéresse sans doute toutes les classes, toutes les conditions, tous les individus; mais que de rapports politiques plus ou moins habilement combinés dont la détermination sera toujours indifférente au grand nombre! et c'est aujourd'hui pour de semblables discussions qu'on agite la Nation entière, qu'on cherche à la soulever contre elle-même.

Nos sublimes Législateurs ont-ils calculé tous les dangers qu'il y avait à faire passer subitement une population immense de la servitude de l'autorité, d'une autorité respectée depuis tant de siècles, à la servitude de la loi, d'une loi établie d'hier, dont les dix-neuf vingtièmes de la Nation ne peuvent avoir une juste idée, et qui blesse sensiblement la classe jusqu'ici la plus intéressée à maintenir l'ordre public? Est-ce impunément qu'ils ont cru pouvoir appeler au milieu des vices et des habitudes d'une Nation corrompue tous les transports, toutes les agitations, tout le délire de la Liberté naissante? Est-ce sans frémir enfin qu'ils ont pu voir les plus grands intérêts, les passions les plus violentes s'avancer jusqu'au bord du précipice, et lutter là dans les ténèbres pour décider à qui resterait l'Empire?

Les périls et les malheurs attachés aux grandes

révolutions politiques m'affectent d'autant plus vivement que j'y vois toujours la certitude d'un grand mal, et que l'espèce de bien qui peut en résulter me paraît toujours dépendre beaucoup plus du sort aveugle des événemens, que des lumières et de la volonté de ceux qui les dirigent ou croient les diriger.

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Etudiez l'histoire, parcourez les annales de tous les peuples, vous verrez que les vraies sources du bonheur des individus et de la prospérité nationale, dépendantes du sol, du caractère des mœurs, des lumières, de l'industrie d'une Nation, tiennent encore plus aux principes d'une bonne administration qu'à ceux d'une constitution plus ou moins parfaite.

Avec une bonne armée bien disciplinée on a de la force; avec un commerce florissant, des richesses; avec des talens, des lumières, des arts, de l'industrie, toutes les jouissances du riche, toutes les ressources du pauvre. Ces biens, les seuls peutêtre qui ne soient pas imaginaires, ont existé sous toutes les formes de gouvernement, et il n'en est aucune qui puisse les garantir sans une administration sage, vigilante, éclairée. La constitution qui en serait la moins susceptible est celle qui, par sa nature même, trop faible, trop incertaine, trop mobile, aurait une tendance habituelle vers le désordre et l'anarchie.

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Voyez à la tête d'un pays libre des Séjan, des Verrès, des Catilina; ce pays sera tout aussi malheureux que s'il était soumis à un despote. Placez

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