Imatges de pàgina
PDF
EPUB
[ocr errors]

pareille situation morale. J'étais dans un épuisement tel qu'à peine je pouvais me soutenir.

Revenu de cette espèce d'évanouissement, je n'ai pu m'empêcher de me dire en moi-même : Cette place que j'entendais, il y a huit jours, retentir de malédictions, de cris de la plus terrible fureur; ces pavés que je vis teints du sang et souillés par les cadavres flétris et mutilés de deux hommes odieux et détestés (1); cette même place retentit aujourd'hui de bénédictions, de louanges, de vœux sincères pour la conservation de l'ami, du sauveur de la Patrie; on couvre de fleurs le chemin par lequel il va remonter sur son char de triomphe!... O Providence! vous avez voulu que je fusse témoin oculaire de la scène la plus sanglante et du spectacle le plus ravissant. Je vous en rends grâces.

[ocr errors]

M. le Directeur général est sorti de l'Hôtelde-Ville dans le même ordre qu'il y était entré, et a été reconduit par le même cortége ( qui grossissait même par la jonction de plusieurs patrouilles qui accouraient de tous les quartiers de la capitale ) jusqu'à la barrière de la Conférence, où il a remercié la Garde bourgeoise qui voulait absolument l'accompagner jusqu'à Versailles. Madame Necker, madame de Staël et M. l'ambassadeur de Suède étaient dans une troisième voiture qui suivait à une assez grande distance les deux premières. Ils étaient aussi précédés et suivis de Gardes bourgeoises marchant tambour (1) MM. Foulon et Bertier.

battant et drapeaux déployés. Les acclamations étaient aussi bruyantes au départ qu'à l'arrivée.. Il était trois heures quand le cortége quitta l'Hôtel-de-Ville.

Il n'est point de beau jour sans nuage, et cette belle journée eut aussi le sien. Peu s'en est fallu que du sein même d'une joie si pure ne sortissent de nouveaux troubles. Pendant que M. Necker recevait à la croisée les hommages, je dirais presque les adorations du peuple, l'Assemblée des Electeurs, vivement émue par le discours du Ministre, prenait l'arrêté suivant:

« Sur le discours vrai, sublime et attendrissant » de M. Necker, l'Assemblée des Electeurs, pé»> nétrée des sentimens de justice et d'humanité

[ocr errors]

qu'il respire, a arrêté que le jour où ce Mi»nistre si cher, si nécessaire, a été rendu à la » France devait être un jour de fête; en consé» quence, elle déclare, au nom des habitans de >> cette capitale, certaine de n'être pas désavouée, » qu'elle pardonne à tous ses ennemis, qu'elle >> proscrit tout acte de violence contraire au pré» sent arrêté, et qu'elle regarde désormais comme >>> les seuls ennemis de la Nation ceux qui trou» bleraient par aucun excès la tranquillité pu»blique.

» Arrêté en outre que le présent arrêté sera lu » au prône de toutes les paroisses, publié à son » de trompe dans toutes les rues et carrefours, et >> envoyé à toutes les municipalités du Royaume; » et les applaudissemens qu'il obtiendra distin

» gueront les bons Français. Fait à l'Hôtel-de» Ville le 30 juillet 1789. »

M. Necker étant rentré dans la salle, M. de Clermont-Tonnerre lui lut cet arrêté : il en fut touché jusqu'aux larmes; il se prosterna d'attendrissement, et exprima la vive émotion et le bonheur qu'il éprouvait par quelques phrases pleines de ce trouble d'un cœur oppressé de sentimens divers. On jeta ensuite par les croisées de l'Hôtelde-Ville un grand nombre de feuilles volantes, sur lesquelles on avait écrit à la hâte : Amnistie générale, pardon du passé, et qu'on faisait circuler dans toute la place en les portant au bout d'une épée. Ces expressions équivoques firent succéder une inquiétude subite à la douce émotion qu'on venait d'éprouver, Amnistie générale! Mais le Roi, disait-on, a déjà manifesté ses intentions à l'égard des soldats. Pardon du passé! pour qui? pour les citoyens? Mais ils n'ont fait qu'user du droit naturel de se défendre; pour les ennemis de M. Necker? Mais on ne lui connaît d'ennemis que ceux de la Nation, et ceux-là la Nation seule a le droit de leur pardonner ou de les punir, etc. Voilà, Monsieur, ce que l'on disait dans la place même de Grève. Quelques-unes de ces feuilles furent portées au Palais-Royal. L'arrêté des Électeurs fut envoyé aux Districts; on sut que ces Électeurs avaient dépêché un courrier à Villenauxe pour faire relâcher M. de Bézenval. Voilà tout-àcoup le Palais-Royal dans une fermentation pareille à celle des premiers jours de la révolution;

1

les Districts s'assemblent pendant la nuit, et prennent des arrêtés plus violens les uns que les autres contre les Électeurs, dont ils déclarent la compé tence et le jugement nuls et absurdes, etc. Le District de l'Oratoire dépêche deux de ses mem bres à Villenauxe pour s'opposer à l'élargissement de M. de Bézenval; celui des Blancs-Manteaux envoie une députation à l'Assemblée nationale pour l'instruire de ce qui se passe et protester cóntre; enfin le feu se rallume dans la capitale. L'Assemblée des Électeurs prend le parti extrê mement sage de chanter la palinodie, et de dépêcher un second courrier qui porte un contre-ordre à Villenauxe; M. de Bézenval est amené à BrieComte-Robert, et gardé à vue. L'Assemblée nationale, ayant entendu la lecture du discours de M. Necker, les griefs du District des Blancs-Manteaux et les raisons des Députés de la Municipalité de Paris, ayant à leur tête M. Bailly, a pris, le 31 juillet, à quatre heures après-midi, un arrêté qui a été imprimé et affiché dans tout Paris.

L'Oreille, conte asiatique, trois petits volumes in-8°, par mademoiselle de Sommery, auteur des Doutes sur diverses opinions reçues dans la société, des Lettres du chevalier de R***, de la Comtesse de Tourville, etc.

Ce conte voudrait être dans le genre de ceux d'Hamilton, mais il n'en a ni la grâce ni la facilité. Il y règne une sorte de merveilleux, dont l'exagé

ration froide et pénible ne laisse voir le plus souvent' que les efforts d'un esprit qui s'épuise en combinaisons bizarres, et non l'heureuse invention d'une imagination naturellement vive et féconde. Boileau a dit :

Le vrai seul est aimable,

Il doit régner partout, et même dans la fable.

On serait presque tenté de dire: et surtout dans la fable. Plus une idée est folle et plus elle a besoin d'un grand air de vérité pour ne pas nous déplaire; ne faut-il pas qu'un homme singulier le soit bien plus sincèrement qu'un homme simple, pour nous paraître supportable? Il en est de même des ouvrages. Un autre défaut de celui de mademoiselle de Sommery qu'on pardonne encore moins, est d'être infiniment trop long elle aurait dû traiter son livre comme la Reine de l'île des Tubéreuses traita l'un de ses amans. L'auteur doit nous savoir gré de cette ingénieuse comparaison, puisqu'elle nous engage à vous faire connaître un des plus jolis épisodes de son conte; c'est un nain de la hauteur d'un cure-dent, qui, placé sur l'épaule du Roi, lui fait lui-même son histoire.

« Je m'appelle Eliacin, je suis le cinquième fils du soudan d'Égypte. A l'âge de dix-neuf ans, l'on me conseilla de voyager. J'eus le malheur d'aborder dans cette île. Mon cœur était tout neuf. Les charmes de la Reine m'enivrèrent; elle reçut mes hommages avec une douceur qui m'enhar

« AnteriorContinua »