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valeur? Qu'est-ce qu'un champ à moi, si je ne le cultive? Que me servirait tout l'or du Pérou, si je ne pouvais l'échanger contre le travail et l'industrie de ce qui m'entoure? Si, de l'usage même du droit de propriété, l'on voit naître le plus vif intérêt de conserver, d'accroître, de jouir, l'inégale distribution des propriétés nécessite plus sûrement encore ceux qui n'ont point toutes celles que l'on peut croire indispensables au bonheur à se les procurer à force de peine et d'industrie, å s'associer en quelque manière aux puissances des plus riches propriétaires, en se chargeant d'une partie des soins et des travaux qu'exigent l'échange, la conservation ou l'amélioration de leurs propriétés.... Travaillé de vos mains, votre champ ne produit que vingt gerbes; je joindrai mes efforts aux vôtres, il en produira trente, quarante, davantage; cet accroissement de produit, il est juste qu'il m'appartienne en tout ou en partie.... Voilà la base de tous les traités entre le pauvre et le riche, et c'est ce traité qui devient évidemment une source intarissable de richesses et même de bonheur, pourvu que les conditions en soient dictées par la raison, par la prudence, par l'équité. Ainsi donc le droit de propriété, qui semble au premier aperçu devoir appauvrir la masse générale, tend par sa nature même à l'augmenter, et c'est une vérité que les faits prouveront encore mieux que le raisonnement.

A ces vastes domaines de la liberté, que parcourent des peuplades errantes sans aucune pos

session qui les attache plutôt à un lieu qu'à un autre, comparez les pays même les plus mal gouvernés, mais où les intérêts de la propriété sont encore protégés par la Loi; où trouverez-vous le plus de culture, le plus de richesses, le plus de population? Multipliez les comparaisons de ce genre, et vous verrez que c'est toujours en raison du respect pour la propriété que s'accroissent, et dans la progression la plus étonnante, ces trois grandes sources de la prospérité publique.

Les propriétaires sont donc originairement les premiers soutiens, les premiers bienfaiteurs de la société, ils le sont trop souvent sans avoir le bonheur de s'en douter, mais cela n'empêche pas qu'ils ne le soient; en augmentant leur richesse particulière ils augmentent la richesse publique, et leur propre intérêt les force à en être des gardiens fidèles ou des distributeurs équitables. C'est sous ce rapport du moins que devrait les considérer la Loi, c'est vers ce but qu'elle devrait diriger leur conduite et leurs vœux.

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Il n'y aurait point de riches s'il n'y avait point de pauvres, cela est incontestable ; mais ce qui n'est pas moins certain, quoiqu'on ne l'ait pas répété si souvent, c'est que s'il n'y avait point de riches il n'y en aurait que plus de pauvres, et les pauvres seraient plus pauvres encore. Quoique le sort de nos journaliers ne soit pas à beaucoup près aussi heureux qu'il pourrait l'être, il n'en est presque point qui, sobre et laborieux, ne puisse bientôt se procurer plus de jouissances,

plus de faste même que n'en ont de très- grands Souverains condamnés à régner sur des contrées sauvages ou barbares.

Quelle triste égalité que celle dont il ne résulte d'autre avantage que celui d'être tous également misérables!

La loi la plus juste, la plus favorable aux pauvres comme aux riches est celle qui protégera le mieux toute espèce de propriété; mais cette loi juste n'aura pas oublié que, de toutes les propriétés la plus respectable, la plus sacrée, est cette portion de liberté, cette propriété déterminée de nous-mêmes que doivent garantir à tous les premiers intérêts de l'ordre social les premières dispositions de la puissance publique.

Cette propriété bien établie pourra balancer seule avec succès l'ascendant de toutes les autres. A l'abri de cette égide, le travail et la bonne foi pourront procurer à tous une subsistance aisée; les talens et l'industrie, des richesses et de la considération, le génie, la valeur, la supériorité des lumières, en se dévouant au bien public, les honneurs et la gloire.

Ce ne sont pas des lois contre les riches qu'il s'agit d'établir, ce sont des lois en faveur des pauvres, des lois qui les empêchent d'être toujours pauvres, ou du moins de se trouver malheureux de l'être encore.

Privileges.

Les abus qui ont rendu ce mot odieux ne

doivent pas en imposer à l'écrivain qui ne cherche que la vérité ; il n'y yoit qu'un motif de plus pour se montrer impartial.

Un privilége est le droit de jouir exclusivement d'un avantage quelconque. Il y a des priviléges attachés à la personne, au corps dont on est membre, à la Nation entière; il est des priviléges purement honorifiques; il en est d'une utilité réelle; les uns sont personnels, les autres sont héréditaires. Sous tous ces rapports les priviléges sont de véritables propriétés. Sous ces mêmes rapports il n'y a point de propriété qui ne soit un privilége, et la société entière n'est fondée que sur des priviléges.

Ce principe nous paraît d'autant plus juste que la conséquence qui en résulte nécessairement porte à nos yeux le même caractère d'évidence, c'est que tout ce que l'on vient de dire sur les propriétés en général s'applique avec la même justesse à ce qu'on appelle plus particulièrement des priviléges, c'est-à-dire, ces droits exclusifs qui n'appartiennent qu'à une certaine classe de la société, à un certain nombre d'individus plus ou moins considérable.

Comme il n'est pas vrai que les propriétés possédées par un petit nombre d'hommes diminuent en effet la portion de tous, il n'est pas vrai non plus que les priviléges attribués à un petit nombre d'hommes altèrent essentiellement le droit que d'autres y peuvent prétendre. Partout où il y a des distinctions, il y a différens moyens de les par

tager ou de les atteindre. Si vous en exceptez quelques contrées livrées encore à des préjugés barbares, ces distinctions sont même une des' premières richesses de l'État, car elles sont autant de prix proposés à tous les genres de mérite, d'industrie et de talent.

L'honneur des premières classes rejaillit par degrés jusque sur les dernières. Quelque grande que paraisse ici la distance d'un Duc et Pair à un simple artisan, le point d'honneur de ce der nier est sans contredit, relativement à son état, beaucoup plus susceptible à Paris qu'il ne le serait à Boston ou à Constantinople.

T

Je sais bien qu'il est plus d'un moyen de gouverner les hommes, et que celui de la raison est préférable à tous les autres, mais peut-être n'y en a-t-il pas trop de tous. Ceux qui frappent les sens et l'imagination seront du moins long-temps encore les seuls qui soient à l'usage de la multitude.

Aux yeux du Législateur, le droit des priviléges comme celui des propriétés ne paraît si respectable qu'autant qu'il est une application bien entendue de l'intérêt personnel à l'avancement et au maintien de la chose publique. Ce n'est que pour encourager les particuliers à augmenter par leurs soins et par leurs travaux la masse des richesses existantes qu'il importe à l'État de protéger de toute sa puissance le droit de propriété. Ce n'est que pour inspirer à chacun l'émulation dont sa destinée et ses talens le rendent susceptible qu'il

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