Imatges de pàgina
PDF
EPUB

argumens, le plus irrésistible ne serait-il pas celui qu'elle n'a osé faire valoir elle-même ?

La seconde lettre est consacrée toute entière à Héloïse. Nous ne pouvons nous empêcher d'observer que c'est de toutes ces lettres celle qui paraît écrite avec le moins d'abandon; elle dit elle-même : « J'écrirai sur Héloïse comme je le ferais, je crois, si le temps avait vieilli mon

cœur. >>

Après avoir remarqué que le but de l'auteur semble avoir été d'encourager au repentir, par l'exemple de la vertu de Julie, les femmes coupables de la même faute qu'elle, après avoir avoué que le sujet de Clarisse, de Grandisson est plus moral, elle ajoute : << Mais la véritable utilité d'un roman est dans son effet bien plus que dans son plan, dans les sentimens qu'il inspire bien plus que dans les événemens qu'il raconte.... Pardonnez à Rousseau, si à la fin de cette lecture on se sent plus animé d'amour pour la vertu, si l'on tient plus à ses devoirs, si les mœurs simples, la bienfaisance, la retraite ont plus d'attraits pour

nous.... >>

« Je trouve quelquefois, dit-elle, dans cet ouvrage des idées bizarres en sensibilité ; je ne puis supporter, par exemple, la méthode que Julie met quelquefois dans sa passion, enfin tout ce qui dans ses lettres semble prouver qu'elle est encore maîtresse d'elle-même, et qu'elle prend d'avance la résolution d'être coupable. Quand on renonce aux charmes de la vertu, il faut au moins

avoir tous ceux que l'abandon du cœur peut don ner. Rousseau s'est trompé s'il a cru, suivant les règles ordinaires, que Julie paraîtrait plus modeste en se montrant moins passionnée : non, it fallait que l'excès de cette passion fût son excuse, et ce n'est qu'en peignant la violence de son amour qu'il diminuait l'immoralité de la faute que l'amour lui faisait commettre. >>

[ocr errors]

Cette critique pourrait bien avoir plus de jus tesse appliquée au talent de Rousseau qu'à son intention, car la violence d'un sentiment se montre-t-elle jamais d'une manière plus vive et plus intéressante que dans les efforts même qu'on a faits pour les surmonter ? c'est alors qu'elle ose, pour ainsi dire, se déployer toute entière sans blesser cette retenue, cette modestie dont le charme est inséparable des grandes passions.

2

La troisième lettre, sur Emile, nous a paru présenter une foule d'idées fines et profondes; nous regrettons de ne pouvoir en rappeler ici qu'une partie.

« On croit avoir jugé les idées de Rousseau quand on a appelé son Livre un ouvrage systématique. Peut-être les bornes de l'esprit humain ont-elles été assez reculées depuis un siècle pour qu'on ait l'habitude de respecter les idées nouvelles; mais ne serait-il pas possible même qu'il vint un temps où l'on se fût tellement éloigné des sentimens naturels qu'ils parussent une découverte, et que l'on eût besoin d'un homme de génie pour revenir sur ses pas, et retrouver la

route dont les préjugés du monde auraient effacé la trace. »

<< La vertu n'est pas comme la gloire un but d'émulation; ceux qui prétendent à l'une ne veulent point d'égaux, ceux qui cherchent l'autre ralentissent quelquefois leurs efforts lorsqu'ils trouvent des compagnons de paresse.»

<<< Tout le monde a adopté le système physique d'éducation de Rousseau.....Si la même pensée avait créé le monde physique et le monde moral, si l'un était, pour ainsi dire, le relief de l'autre, pourquoi se refuserait-on à trouver dans l'ensemble du système de Rousseau la preuve de sa vérité ? »

« On a souvent parlé du danger de l'éloquence, mais je la crois bien nécessaire quand il faut opposer la vertu à la passion; elle fait naître dans l'âme ces mouvemens qui décident seuls du parti que l'on prend; c'est l'éloquence seule qui peut ajouter cette force d'impulsion à la raison et lui donner assez de vie pour lutter à force égale contre les passions.»

Des réflexions d'une si haute philosophie sont suivies d'une apostrophe à sa fille remplie de douceur et de sensibilité et que terminent ces paroles touchantes:

« Oui, ma fille, j'écouterai pour toi les leçons de Rousseau, son éloquente bonté te répond de mon indulgence; peut-être l'aurais-je trouvée dans mon âme, mais l'impression de ses sublimes ou

vrages est si profonde qu'on le confond avec la nature même. »

En parlant de la Profession de foi du Vicaire Savoyard, il était bien naturel à madame de Staël de comparer le mérite de cet écrit avec celui de l'Importance des Opinions religieuses, et c'est par ce parallèle remarquable que finit sa quatrième lettre.

« Cet ouvrage (la Profession de foi du Vicaire Savoyard), cet ouvrage, dit-elle, n'était que le précurseur de ce Livre, époque dans l'histoire des pensées, puisqu'il en a reculé l'empire; de ce Livre qui semble anticiper sur la vie à venir, en devinant les secrets qui doivent un jour nous être dévoilés; de ce Livre que les hommes réunis pourraient présenter à l'Etre suprême comme le plus grand pas qu'ils ont fait vers lui; de ce Livre que

le nom de son auteur consacre en le mettant à l'abri du dédain de la médiocrité, puisque c'est le plus grand administrateur de son siècle, le génie le plus clair et le plus juste qui a demandé d'être écouté sur ce qu'on voulait rejeter comme obscur et comme vague; de ce Livre dont la sensibilité majestueuse et sublime peint l'auteur aimant les hommes comme l'Ange Gardien de la terre doit les chérir. Pardonne-moi, Rousseau, mon ouvrage t'est consacré, et cependant un autre est devenu l'objet de mon culte... Toi-même, toi surtout, ton cœur passionné pour l'humanité eût adoré celui qui long-temps occupé de l'existence de l'homme sur la terre, après avoir indiqué tous

les biens qu'un bon gouvernement peut lui assurer, a voulu prévenir ses plus cruels malheurs en portant du calme dans son âme agitée, et donner ainsi la chaine des pensées qui forment toute sa destinée. Oui, Rousseau savait admirer, et n'écrivant jamais que pour céder à l'impulsion de son âme, les vaines jalousies n'entraient point dans son cœur; il aurait eu besoin de louer celui que je n'ose nommer, celui dont je m'approche sans crainte quand je ne vois en lui que l'objet de ma tendresse, mais qui me pénètre plus que personne de respect quand je le contemple à quelque distance; enfin celui que la postérité, comme son siècle, désignera par tous les titres du génie, mais que mon destin et mon amour me permettent d'appeler mon père. »

Si la lecture de ces quatre premieres lettres laissait encore le droit de s'étonner de trouver dans les pensées d'une femme de vingt ans une si grande étendue et une si grande maturité d'esprit, avec quelle surprise ne lirait-on pas dans la cinquième son jugement sur le Contral social! Ses idées à ce sujet ramènent bien naturellement aux objets qui occupent dans ce moment tous les esprits. « Rousseau, dit-elle, que n'es-tu le témoin du spectacle imposant que va donner la France, d'un grand événement préparé d'avance et dont, pour la première fois, le hasard ne se mêlera point! C'est là peut-être, c'est là que les hommes te paraîtraient plus dignes d'estime. » La sixième lettre traite du goût de Rousseau

9

5.

« AnteriorContinua »