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Il voit arriver d'abord l'une des Parques qui se plaint beaucoup de l'inflexibilité de sa sœur. Atropos, ensuite plusieurs autres personnages, un avare, un fat, une mère, deux amans, etc. Ces scènes offrent quelques couplets assez bien tournés, mais elles ne sont liées par aucune espèce d'intérêt, et les détails n'en sont pas assez ingénieux pour le faire oublier. Le Destin ordonne aux Parques de filer et de couper selon le mérite de chacun. Quelque justes que soient ses arrêts, le retour trop fréquent des mêmes formules n'en a pas paru moins fastidieux. Quoique l'auteur eût fait quelques retranchemens à la seconde représentation, l'effet de la pièce n'en a pas été beaucoup plus agréable, et le parterre s'est obstiné à répéter comme à la première représentation : Coupez, coupez.

Voyage en Crimée et à Constantinople en 1786 par my lady Craven; traduit de l'anglais par M. Guedon de Berchère, notaire à Londres (1).

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Ce Voyage est un des plus agréables que nous ayons jamais lus. Ce n'est ni un roman comme celui de mylady Montague, ni un recueil d'observations pédantesques, ni une suite de descriptions emphatiques ou recherchées, ni un journal pénible et minutieux; c'est véritablement un voyage: l'imagination y parcourt rapidement un espace immense, et se plaît à suivre sans cesse

(1) Ün vol. 'iu-8o de 443 pages, enrichi de plusieurs cartes et gravures.

les traces de son guide, parce qu'au milieu d'uné foule d'objets toujours nouveaux, toujours variés, elle se sent toujours entraînée vers ceux qui méritent plus particulièrement de fixer l'attention ou par leur importance ou par leur singularité. La forme épistolaire de l'ouvrage ajoute infiniment à l'intérêt qu'il inspire; on croit voyager avec l'auteur, et cet auteur est une femme et une femme charmante. Sans la connaître, on est sûr, après la lecture de son livre, que les grâces de sa personne doivent être d'accord avec celles de son style. Comme il est impossible que l'auteur des Voyages d'Anacharsis ne fût un vieux savant de l'Académie des Inscriptions, celui des Lettres sur l'Italie un robin de province bien maniéré, quoiqu'avec infiniment de connaissances et d'esprit, on ne peut douter que l'auteur du nouveau Voyage ne soit une Anglaise du rang le plus distingué, douée de tous les goûts, de tous les talens agréables, d'un esprit juste et fin, d'un caractère ferme et facile, de la gaieté la plus naturelle et la plus séduisante, sans autre prévention que celles qui, dans une Pairesse d'Angleterre, tiennent indispensablement à l'amour de son pays, ce qu'on est bien tenté de prendre encore pour une vertu de plus.

Mylady Craven,en partant de Paris, dirige sa route par l'Orléanais, le Blaisois, la Touraine, la Provence; elle s'embarque à Antibes, séjourne àGênes, à Pise, à Florence, à Bologne, àVenise; elle s'arrête à Vienne, et donne de cette dernière Cour plusieurs détails

intéressans; de Vienne elle se rend à Varsovie, à Pétersbourg, à Moscou, Cherson, Karasbayer, Batchesaray, Sévastopole, et dans les autres postes de Crimée. Cette contrée, devenue aujourd'hui le théâtre de la guerre, fixe plus long-temps ses regards et ses observations. Le précis que donne Mylady des révolutions de cette province, habitée long-temps avant Homère par les Cimériens, nation puissante et belliqueuse descendue des Thraces, est un excellent morceau d'histoire. De Sévastopole, notre aimable voyageuse va se reposer à Constantinople, où elle trouve dans le palais de l'ambassadeur de France toutes les ressources dignes de son instruction et de son goût pour les beaux-arts. C'est, accompagnée des ar tistes que M. le comte de Choiseul-Gouffier a rassemblés autour de lui, qu'elle visite les monumens les plus curieux de Constantinople, d'A thènes, de Smyrne, de Terrapia, de Varna, etc. Sans trop s'appesantir sur aucun de ces objets, il n'en est point qu'elle n'indique ou ne rappelle de la manière la plus propre à en donner une idée vive et intéressante. C'est par Bucharest, Hermanstadt et Vienne qu'elle retourne dans sa patrie.

A

Il manquerait, ce me semble, quelque chose à l'intérêt de ces lettres, s'il n'était aisé de reconnaître dans l'ami à qui elles sont adressées un Prince (1) digne, par son caractère et par toutes ses qualités personnelles, de trouver dans l'atta(1) Monseigneur le margrave d'Anspach.

chement de la plus aimable des femmes le prix le plus doux de ses vertus et de sa noble sensibilité. Je ne sais cependant si je veux pardonner à Mylady ce qu'elle lui dit après avoir vu le Roi de Pologne. « Stanislas Poniatowski est la seconde personne à » qui j'aie souhaité le bonheur de n'être pas au » nombre des Souverains, car je regarde comme >> impossible que la multitude de personnes et » d'affaires désagréables dont ils sont assaillis ne » les arrache trop souvent à la société des gens de >> lettres et autres sectateurs des Muses, bien plus >> intéressante pour le philosophe instruit que les >> courbettes serviles qui ne dévouent qu'à l'ambi» tion les instans qu'ils ont l'air de donner au » Monarque..... » Sans doute tout l'appareil de la puissance et des grandeurs n'est qu'un fardeau pénible pour l'être qui pense; mais la plus sublime ou la plus ravissante de toutes les méditations vaut-elle la plus simple disposition faite pour augmenter ou pour assurer la félicité de tout un peuple? et cette disposition ne dépend-elle pas souvent de la seule volonté du Souverain? Ah! Mylady, ne dégoûtons pas les honnêtes gens d'un métier qu'il est si rare de voir faire en conscience.

L'idée que nous donne Mylady des mœurs et des habitudes de la Nation turque paraît assez d'accord avec les Mémoires du baron de Tott et ceux de M. Volney. Qu'ajouter au naturel de la peinture que voici?

« Je vis l'autre jour un Turc couché sur des coussins, lequel battait lentement un fer qu'il

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roues,

voulait former en fer à cheval; il avait pendant tout ce temps-là la pipe à la bouche. Il y a plus : dans un rang plus élevé, les Turcs ont une invention qui leur épargne jusqu'à la peine de tenir leur pipe, qui est portée sur un petit affût à deux, et de cette manière le fumeur n'a rien à faire que d'aspirer et exhaler la fumée, ou même il laisse reposer la pipe sur la lèvre inférieure, tandis qu'il tourne la tête à droite et à gauche. Peut-être est-ce une circonstance heureuse pour l'Europe que les Turcs soient paresseux et ignorans; si cet Empire si vaste était peuplé d'hommes adroits et ambitieux, la force étonnante qu'il aurait bientôt, son influence dans la balance politiqué le rendraient infailliblement le maître du monde, Dans l'état présent des choses, ce n'est qu'une barrière inanimée qui sert à intercepter le commerce et à prévenir des guerres entre d'autres Puissances. >>

Quoiqu'à l'exemple de tant de voyageurs, Mylady n'affecte point de mêler à ses observations beaucoup d'anecdotes plus ou moins hasardées, il en est quelques-unes qui lui ont paru trop remarquables, pour être négligées, comme celle-ci sur le Sultan qui règne aujourd'hui,

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1

Sélim (dit-elle en 1786), neveu d'Achmel', qui doit lui succéder, a environ vingt-six ans. On m'a dit que son entendement perce à travers les nuages de l'éducation efféminée qu'il a reçue. Entre autres preuves qui annoncent un caractère ferme, aussitôt qu'il a été instruit de la coutume

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