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d'enthousiasme, s'il n'eût été retenu par la mode, ou par la peur que lui inspiraient les philosophes, ces trompettes de la renommée. On y lit : « A Lausanne, la nuit du 27 juin 1787, entre onze heures << et minuit, j'ai fini la dernière page de mon travail dans un pavil«<lon de mon jardin. Après avoir déposé la plume, je parcourus deux << ou trois fois une allée couverte d'acacias, d'où l'on domine les «< champs, le lac, les montagnes; l'air était doux, le ciel serein, « le disque argenté de la lune se reflétait dans les eaux; la nature << entière se taisait. Je ne dissimulerai pas une première émotion de joie dans un moment qui me rendait ma liberté, et devait peut⚫ être établir ma réputation; mais mon orgueil fut bientôt rabaissé, <«<et une humble mélancolie s'empara de mon cœur en songeant

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gante et non pas son estimable histoire, et voici pourquoi. Jamais, à mon avis, la philosophie n'a mieux rassemblé les lumières que l'érudition peut donner sur les temps anciens, et ne les a disposées dans un ordre plus heureux et plus facile. Mais, soit que M. Gibbon ait été séduit, ou qu'il ait voulu le paraître, par la grandeur de l'empire romain, par le nombre de ses légions, par la magnificence de ses chemins et de ses cités, il a tracé un tableau odieusement faux de la félicité de cet empire, qui écrasait le monde et ne le rendait pas heureux. Ce tableau même, il l'a pris dans Gravina, au livre de Imperio ¡romano. Gravina mérite de l'indulgence, parce qu'il était excusé par une de ces grandes idées dont le génie surtout est si facilement la dupe. Comme Leibnitz, il était occupé du projet d'un empire universel, formé de la réunion de tous les peuples de l'Europe sous les mêmes lois et la même puissance, et il cherchait un exemple de cette monarchie universelle dans ce qu'avait été l'empire romain depuis Auguste. M. Gibbon peut nous dire qu'il a eu la même idée; mais encore lui répondrais-je qu'il écrivait une histoire, et qu'il ne faisait pas un système. D'ailleurs cela n'expliquerait point, et surtout n'excuserait pas l'esprit général de son ouvrage, où se montrent à chaque instant l'amour et l'estime des richesses, le goût des voluptés, l'ignorance des vraies passions de l'homme, l'incrédulité surtout pour les vertus républicaines. En parcourant l'histoire du Bas-Empire de M. Gibbon, j'aurais aisément deviné que si l'auteur se montrait jamais dans les affaires publiques de la Grande-Bretagne, on le verrait prôtant sa plume aux ministres, et combattant les droits des Américains à l'indépendance ; j'aurais aussi deviné la conversation d'aujourd'hui, l'éloge du luxe et de l'autorité compacte, comme dit Monsieur. Aussi je n'ai jamais pu lire son livre sans m'étonner qu'il fût écrit en anglais. Chaque instant, à peu près comme Marcel, j'étais tenté de m'adresser à M. Gibbon, et de lui dire : Vous, un Anglais! Non, vous ne l'étes point. Cette admiration pour un empire de plus de deux cent millions d'hommes, où il n'y a pas un seul homme qui ait le droit de se dire libre; cette philosophie efféminée qui donne plus d'éloges au luxe et aux plaisirs qu'aux vertus; ce style toujours élégant et jamais énergique, annoncent tout au plus l'esclave d'un électeur de Hanovre. »

<«< que je prenais congé de l'ancien et cher compagnon de ma vie, « et que, quelle que dût être la durée de mon ouvrage, les jours de <«<l'historien seront désormais bien courts et bien précaires.

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Un autre ouvrage historique de longue haleine, l'Histoire universelle par une société de gens de lettres, fut entreprise à cette époque. C'est une compilation en vingt-six volumes in-folio dans l'édition de 1736, que les auteurs améliorèrent dans celle de 1747, d'après les critiques consignées dans la traduction allemande, puis encore dans celle de 1779, beaucoup plus abrégée. Psalmanazar, Sale, Swinton Bower, en furent les principaux auteurs; ils étaient animés d'intentions loyales, et firent souvent preuve d'une érudition solide; mais chacun d'eux ayant exécuté une partie du travail, le mérite en est différent. Prolixe dans certains endroits, stérile dans d'autres, on y remarque des vues diverses, des répétitions de faits, des asser. tions contradictoires. Les noms des artistes et des hommes de lettres sont relégués dans quelques notes succinctes, comme si personne n'eût eu d'autre tâche que de rapporter les événements extérieurs. L'ouvrage n'est même pas une histoire universelle, mais un ensemble d'histoires particulières. Les auteurs se privèrent ainsi de l'avantage unique et immense des histoires universelles, qui est d'embrasser à la fois les événements des pays divers. Comme c'était une entreprise sans exemple, elle trouva un grand nombre de souscripteurs, et le livre fut traduit dans toutes les langues littéraires; mais il lui manque l'avantage de ces contradictions vives et insistantes dont l'auteur peut se plaindre, mais qui contribuent à le tenir constamment en éveil. Des hommes de mérite firent dans la traduction allemande des corrections et des additions qui, indépendamment du reste, fournirent occasion à des recherches et à des discussions historiques. Mais, en résumé, ce très-long travail ne fit avancer d'un pas ni l'art historique ni les connaissances en cette partie, si ce n'est en ce qui touche les événements contemporains.

La littérature la plus effective de l'Angleterre se trouvait dans le parlement. Là se déployait cette éloquence d'action tout instantanée qui, s'inspirant des passions contemporaines, paraissait supérieure à tout ce qui avait précédé. Voltaire disait : Je ne sais si les harangues méditées que l'on prononçait jadis dans Athènes et dans Rome l'emportent sur les discours improvisés du chevalier Windham, de lord Carteret, de Pulteney, de Sheridan. Cette

éloquence est toutefois sans prestige pour des auditeurs d'un autre temps, attendu qu'elle avait plutôt en vue l'effet immédiat que l'art et la gloire à venir, la parole n'étant qu'un moyen secondaire de puissance au milieu de ces tempêtes réglées. En outre, elle se restreint, par la nature de la constitution, à des formules, à un appel continuel aux précédents, auxquels elle se rattache même dans les révolutions, ne cessant d'établir des comparaisons avec le passé, au moment même où il était battu en brèche. L'utilité est son but unique, et non le désir de briller; elle vit de génie, et non de goût et d'élégance; elle ne déploie point de vastes théories ni guère d'idées générales, mais une application continuelle et une simplicité pleine d'énergie.

Si, au commencement du siècle, les armes des orateurs s'émoussèrent contre l'immobilité de Walpole, qui ne possédait pas l'art de la parole, mais la tactique parlementaire, bientôt on vit grandir Pitt, Fox et Burke. Erskine fut le premier avocat qui ait apporté dans la plaidoirie le goût littéraire et une élocution brillante; puis, dans un temps où la liberté de la presse était encore peu étendue, la tribune anglaise contribua à mettre en circulation en Europe une foule d'idées politiques. Il ne faut donc pas s'étonner qu'il en soit résulté une sorte d'idolâtrie pour la constitution britannique.

Nous avons dit comment s'étaient établies les lois en Angleterre, et que le peuple y tenait opiniâtrément à sa nationalité, au point de repousser toute innovation qui le rapprocherait des autres peuples. Or, tandis que le droit britannique dictait les décisions des tribunaux, on étudiait dans les écoles le droit canonique et le droit romain, qui n'avaient aucun effet social. Le dernier faisait partie de l'éducation littéraire, le premier était abandonné aux gens d'affaires : distinction nuisible, surtout dans un pays où la constitution appelle tant de citoyens à participer à la législation et aux affaires publiques.

1723-1780.

C'est à quoi voulut pourvoir Guillaume Blakstone, né à Lon- Blakstone. dres. Après sept années d'études opiniâtres pour débrouiller le chaos des lois de sa patrie, il ouvrit un cours de droit à Oxford (1759); et la jeunesse, à qui il ouvrait un horizon tout à fait nouveau, l'accueillit avec enthousiasme (1). Bientôt chacun recon

(1) Il faut lire son Discours d'ouverture pour voir combien de titres il invoque, et combien d'excuses il fait valoir pour justifier son entreprise, et montrer la nécessité d'étudier les lois de sa patrie.

nut l'utilité d'une chaire de droit national; et Blakstone, qui y fut appelé, publia ses leçons sous le titre de Commentaires sur les lois anglaises. Les habitants de la Grande-Bretagne apprirent à se connaître eux-mêmes; l'admiration que l'on éprouvait déjà pour la constitution anglaise s'accrut chez les étrangers, et l'on n'y vit plus seulement une affaire de pratique et de coutumes.

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Blackstone n'examine pas les améliorations possibles; il accepte ce qui est, montre les rapports civils et politiques tels qu'ils sont, en indique les origines et les commente, mais sans prétendre les altérer. Son livre est donc un monument d'érudition, un manuel précieux, mais non pas un essai de philosophie légale. C'est ce qu'il déclare ouvertement dès le principe: « On a disputé longuement, dit-il, et sans conclusion, sur l'origine des différentes formes de « gouvernements; mais tel n'est pas mon but: de quelque manière qu'ils aient commencé, quel que soit le droit en vertu duquel « ils existent, il y a et il doit y avoir dans tous une autorité suprême, incontestée, absolue, dans laquelle résident les droits << de la souveraineté, placée dans les mains de ceux en qui il est plus présumable que se trouvent les qualités requises dans les << administrations suprêmes, c'est-à-dire, la sagesse, la douceur et << le pouvoir.

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Quelle différence avec les idées françaises, en vertu desquelles on prétendait tout remettre en doute, tout régler, non pas d'après le fait, mais en conséquence d'abstractions philosophiques!

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Marie-Thérèse conserva sur le trône, au milieu des tristes exemples du temps, sa dignité de femme. Elle possédait à un haut degré le sentiment de sa qualité d'impératrice; et si Frédéric II se moqua de sa dévotion, ses contemporains ne parlaient d'elle qu'avec une admiration qu'ils transmirent à leurs descendants, malgré l'accroissement des impôts et l'impulsion plus vigoureuse donnée à l'administration. Elle ne retourna jamais en Lombardie, dans les quarante années de son règne. Si elle traita la Hongrie,

à qui elle devait tout, comme une conquête, au lieu de seconder ses progrès, il faut en accuser plutôt la constitution que des intentions malveillantes de sa part. Si elle ne favorisa pas la littérature nationale, elle combla Métastase de bienfaits; et, en ménageant les pays qui lui étaient assujettis, elle en tira plus que n'en avait tiré son père. Elle eut une bonne armée, forma une école d'artillerie, et institua un collége militaire qui reçut son nom, ainsi qu'un autre à la nouvelle Vienne.

L'Autriche avait des finances en désordre et une quantité énorme de papier monnaie. En 1703 avait été créée la banque de Vienne, qui fut une source d'abus; et, bien qu'elle fournit des subsides au trésor, elle ne pouvait suffire aux dépenses de guerres opiniâtres (1). Marie-Thérèse s'efforça d'apporter quelque remède à cet état de choses. Elle raviva les manufactures, établit des écoles de filature, parce que la laine et le coton étaient tirés du dehors; appela des ouvriers de France, de Hollande, de Saxe et de Suisse ; mit des entraves, conformément aux idées en vogue, à l'exportation des matières premières; établit un conseil aulique de commerce, sou. mis immédiatement au gouvernement, avec une caisse richement garnie, capable d'avancer de dix à cent mille florins à ceux qui voulaient faire des spéculations : quinze conseillers particuliers relevaient de ce conseil, chacun avec une caisse. Une société d'agriculture qui dût distribuer des prix fut instituée ainsi qu'une école de commerce, à Vienne, et une autre pour la gravure sur cuivre et sur pierres dures; à Fiume, une société pour le raffinage des sucres, une en Bohême pour les toiles, une pour trafiquer avec l'Égypte. La Croatie, la Dalmatie, l'Istrie, le Tyrol, élevaient des vers à soie, indépendamment de l'Italie; et l'introduction des moutons de Barbarie et d'Anatolie contribua à l'amélioration des troupeaux. Ces différentes mesures valurent des éloges à Marie-Thérèse, bien que toutes n'aient pas duré autant que son règne.

Son époux et son fils, l'un d'un caractère tout allemand, l'autre qui se piquait de philosophie, avaient pris en aversion l'étiquette espagnole, ce qui la détermina à la supprimer. Elle était pourtant jalouse de tout ce qui augmentait le lustre de sa maison. Elle donna le titre d'altesse royale aux archiduchesses, et fit renouveler pour elle celui de majesté apostolique; elle fonda l'ordre militaire qui

(1) FR. NICOLAÏ (Reisen durch Deutschland, 1781) donne la meilleure statistique de la monarchie autrichienne et l'histoire de la banque de Vienne.

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