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peuple de sylphes, auquel le christianisme imprima quelque chose de diabolique (1); mais ils étaient considérés d'abord comme des êtres bienfaisants. Les scheffres et les fées, leur descendance, sont des êtres suspendus entre l'idéal et le réel, entre les ténèbres et la lumière; les uns habitent les eaux (les ondines), les autres le feu (les salamandres). Il en est qui rôdent dans les buissons; puérils, capricieux, serviables, malins, ils cherchent à mêler leurs enfants avec ceux des hommes, afin qu'ils participent à la rédemption; ils s'indignent quand on les compare aux démons, et sont dans la joie quand ils peuvent entrer dans les églises pour y prononcer les paroles sacrées.

Nous ne devons pas passer sous silence d'autres productions scandinaves d'une nature singulière, comme Rymbegla et le Kong-skugg-sio, ou miroir du roi. Le premier est un calendrier ecclésiastique composé de petits chapitres distincts sur les fêtes, la division des temps, le cours du soleil, les âges du monde'; mélange de vérités et de fables, d'ancien et de moderne, le tout exposé avec une foi égale. Cet ouvrage ne peut servir qu'à nous informer des erreurs et des superstitions du moyen âge (2). Le second comprend deux longues dissertations sur le commerce et sur la cour, que devaient suivre deux autres sur les prêtres et sur les cultivateurs. Il est écrit par Suerrer, roi de Norwége, ou par un de ses ministres, homme habile et très-instruit. Crédule, selon l'usage du temps, il descend à des détails minutieux soit en ce qui concerne la vie du marchand, soit relativement aux graves frivolités du palais; bien qu'incomplet, il fournit de nombreux renseignements sur la géographie, l'histoire et les mœurs. Il y aun bien autre mérite dans l'ouvrage d'Are le savant (frodr), prêtre islandais qui, en écrivant une chronique de sa patrie, composa avec une critique merveilleuse pour son siècle la plus ancienne histoire du Nord.

Lorsqu'en l'année 1264 l'Islande se réunit à la Norwége, la littérature y déclina, et le pays, devenu province tributaire, eut à se débattre contre la puissance étrangère. Ayant eu connais

(1) Les Alfes, génies scandinaves, dans l'ancien langage du Nord, étaient appelés Alfr, et au plur. Alfar; en vieil allemand, Elbe. En allemand moderne, on les nomme Elfe; en suédois, Elfvar; en danois, Elve; en anglais, Elves; en irlandais et en gallois, Cheffro et Donechi, le bon peuple, les êtres bienfaisants.

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(2) Rymbegla, sive rudimentum computi ecclesiastici; Copenhague,

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sance de la littérature allemande au temps des empereurs de Souabe, les Islandais adoptèrent les aventures chevaleresques, en changeant les noms et les usages traditionnels ; il en résulta un cycle poétique, qui dura jusqu'en 1350, époque à laquelle l'île fut dépeuplée par la peste (1).

CHAPITRE V.

LES NORMANDS EN FRANCE. - CONVERSION DE LA SCANDINAVIE. ROYAUMES SCANDINAVES.

Tandis que les uns conservaient sur le sol de l'Islande les traditions paternelles, d'autres, suivant les anciennes habitudes de leurs ancêtres, couraient les mers, cherchant des aventures et du gain. Ni les glaces ni les tempêtes ne sauraient les arrêter; à peine ont-ils touché un rivage que la première forêt qu'ils rencontrent se convertit, sous leurs haches, en une flottille avec laquelle ils remontent le cours des fleuves inconnus. Rencontrent-ils des ponts, des écluses, des obstacles naturels, ils prennent leurs barques sur leurs épaules, et passent outre. Réunissant la ruse à l'intrépidité, conquérants et chicaneurs comme les anciens Romains, chevaliers et scribes, tondus comme les prêtres et respectueux envers eux, ils volent et trafiquent tour à tour, mettant leur vaillance au service de qui paye le mieux, prompts à tourner leurs armes contre ceux pour qui ils ont combattu, ou à s'emparer du pays qu'ils avaient été appelés à défendre.

Tels étaient les hommes qui, durant deux siècles, menacèrent l'Europe, puis fondèrent des royaumes considérables. Migration différente de celles qui avaient eu lieu antérieurement; car ce n'était plus un peuple entier changeant de patrie, comme cela peut s'exécuter par terre, mais un petit nombre de guerriers venant sans femmes, et épousant les filles des vaincus,

(1) Plus tard, l'Islande a été un lieu de pêche. Il a été parfois question de transporter dans le Jutland ses rares habitants et de la laisser déserte; mais aujourd'hui elle est reconnue comme très-propice pour les pêches polaires; et ses mines très-productives le seraient plus encore si l'exploitation n’en était entravée par la compagnie instituée par Christian II, qui en a le pri vilége.

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qui apprenaient à leurs enfants la langue maternelle. Quelquesuns, se dirigeant à l'orient, fondèrent l'empire russe; d'autres, faisant voile vers l'Italie, en firent disparaître les derniers restes de la domination grecque; d'autres encore, voguant vers le midi et l'occident, rouvrirent les plaies ouvertes par les Saxons leurs frères dans l'Armorique et dans la Bretagne.

Peut-être est-il- vrai que les victoires de Charlemagne sur les Saxons en déterminèrent beaucoup à se réfugier chez les Normands, qu'ils excitèrent par vengeance à porter la guerre aux Francs; mais il est certain que ces bandes de corsaires se recrutèrent de tous ceux, en si grand nombre, qu'indignait le joug de la servitude, ou de ceux que la paix privait d'occasions de signaler leur valeur.

Stimulés par leurs conseils ou enhardis par leurs secours, ils commencèrent à désoler la France, non plus en pillant pour fuir aussitôt, mais avec une insistance qui laissait apercevoir l'idée d'y conquérir une demeure. Ils l'obtinrent en effet quand Louis le Débonnaire, plus dévot qu'habile à lire dans l'avenir, accorda au Danois Harald une province, en récompense de son baptême; ce fut un appât pour d'autres auxquels n'était échu dans leur patrie qu'un héritage, celui de la mer. Les bateaux armés dont Charlemagne avait garni l'embouchure des fleuves furent laissés à l'abandon; et comme si ce n'eût pas été assez, ses fils firent appel aux Normands dans leurs guerres fraternelles. Pepin II, le prétendant d'Aquitaine, ne craignit pas d'abjurer, pour leurs dieux, la religion dont les ministres avaient sacré son aïeul. Carloman recourut à eux contre son propre père; Louis le Germanique s'en fit une arme contre son frère; Hugues, bâtard de Lothaire, espérait avec leur aide acquérir la couronne de Lorraine.

Lorsque les forces de la France eurent été brisées à la bataille de Fontenay, ces pirates assaillirent audacieusement tout ce qui s'étend de l'embouchure de l'Elbe à celle du Guadalquivir. Mais les fleuves de l'Aquitaine n'étaient pas aussi faciles à remonter; le pays entre l'Elbe et le Weser leur offrait peu d'attrait; et bien qu'ils eussent saccagé Hambourg, et qu'ayant pris position sur l'Elbe ils eussent défait en bataille rangée le duc Brunon, auquel ils tuèrent onze comtes et deux évêques, bientôt les Saxons les défirent à leur tour à Norden, et les forcèrent à se retirer.

En Espagne, ils osèrent livrer Séville aux flammes, et marcher

de là sur Cordoue et Alicante. Ils mirent durant treize jours Lisbonne au pillage; mais les tempêtes du golfe de Gascogne, la valeur des chrétiens de la Gallice et les armes des khalifes arabes les éloignèrent de ces côtes. Il y reparurent cependant de temps à autre, saccagèrent la mosquée d'Algésiras; et Alphonse le Grand dut fortifier la ville d'Oviédo pour y mettre à l'abri les objets précieux des gens des environs.

La France, contrée riche et plus voisine, accessible par plusieurs fleuves, les attirait davantage. Elle était épuisée par l'anarchie; ses souverains avaient laissé avilir leur autorité, et l'occasion parut belle à ceux qui étaient chargés de la défense des côtes pour secouer, avec l'aide de ces aventuriers, jusqu'à l'apparence de la sujétion.

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Les barques des Normands remontaient en serpentant le cours des fleuves, et leurs cornes d'ivoire (1), leur tonnerre, répandaient une telle épouvante que les habitants des rives s'enfuyaient avec leurs troupeaux dans les villes et dans les abbayes du voisinage, pour s'y mettre à l'abri des remparts et des reliques; protection insuffisante contre ces dévastateurs avides, qui, révérant moins les choses sacrées qu'ils ne convoitaient les richesses des églises, attaquaient, tuaient, incendiaient. Les monastères de Fleury, Saint-Martin de Tours, Saint-Germain des Prés à Paris furent ruinés. L'abbé de SaintDenis paya une fois une rançon d'un million et demi, ce qui n'empêcha pas son abbaye d'être détruite. Personne n'osait ensemencer les champs : les bêtes fauves reprenaient possession des bois et des routes. Toutes les contrées à travers lesquelles les fleuves de l'ancienne Gaule descendent à l'Océan furent réduites par ces forbans à cet état de désolation. Quelquefois ils s'avançaient même dans l'intérieur des terres; Bigorre et Tarbes ne furent pas à l'abri de leurs excursions. Enfin, attirés par l'abondance autant que par la facilité du butin, ils s'établirent à demeure sur les fleuves les plus favorables à leurs incursions, la Loire, la Seine, la Garonne, l'Escaut et la Meuse. La province que Louis le Débonnaire avait assignée à Harald Station de dans le pays des Frisons vit accourir d'autres aventuriers, charmés de la trouver aussi bien appropriée à leur manière de naviguer et de combattre. Après s'être emparés de Dorstadt,

(1) Tubam eburneam tonitruum nuncupatam... D. MORICE Preuves de l'Hist. de Bretagne, p. 119.

l'Escaut.

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marché principal des Frisons, avoir dépeuplé Utrecht, brûlé Anvers, rasé Witta à l'embouchure de la Meuse, ils formèrent un établissement dans l'île de Walcheren. Ayant obtenu de l'empereur Lothaire la cession légale de ce qu'ils avaient acquis, ils s'agrandirent en s'étendant sur le pays de Louvain, dont ils firent leur place d'armes. Baudouin Ier, qui tenait ce pays en duché, défendit courageusement la Flandre; mais la basse Lorraine, la Frise, la Neustrie septentrionale restèrent à découvert. Un Rurik, différent du fondateur de l'empire russe, obtint de Charles le Chauve le duché de Frise. Rodolphe ravagea l'Allemagne jusqu'au moment où il fut tué dans une bataille par Louis le Germanique. Rollon ou Roll, après avoir dévasté la Hollande et battu les Francs sur l'Escaut, sortit de l'île de Walcheren pour aller menacer les bords de la Seine. Le plus terrible de tous fut Godefroy, qui, ayant réuni dans l'EstAnglie les Danois qui ne voulaient pas se soumettre au christianisme imposé par Alfred le Grand, débarqua sur les rives de la Meuse et de l'Escaut, dont il resta maître, après avoir tué dans les Ardennes le fils naturel de Louis le Germanique. Ce monarque ne put les empêcher de se fortifier à Nimègue, et de fonder une nouvelle colonie à Ascaloa (Esloo) près de Maestricht, en conservant tout le pays entre la Meuse et la Somme. Bien que défaits ensuite par Louis III à Saucourt en Vimeux, ils n'en gardèrent pas moins Anvers, Gand et la plus grande partie de la Flandre.

Godefroy sortit d'Ascaloa pour venger cette défaite; et l'incendie de Tongres, de Cologne, de Bonn, de Juliers, de Trèves, de Metz épouvanta l'Europe. La magnifique chapelle de Charlemagne à Aix dut servir d'écurie aux coursiers danois, et son palais dévasté resta ouvert à tous vents.

Un tel outrage réveilla Charles de sa torpeur, et fit cesser la résistance de ses barons, qui, à son appel, se présentèrent devant Ascaloa. Godefroy se montra disposé à obtenir en traitant ce qu'il ne pouvait avoir par les armes : mais s'étant rendu à une conférence, il y fut assassiné. Alors son frère Sigefroy ravagea, pour le venger, les bords de l'Oise; et bien que Carloman s'humiliât jusqu'à lui payer douze livres d'argent, ne se tenant pas pour satisfait, il aida les Normands de la Seine à mettre le siége devant Paris; puis, à son retour, il tua l'archevêque de Mayence, qui voulut s'opposer à son passage. Plus heureux dans ses dispositions, le roi Alphonse, l'ayant

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