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vers est divisé en neuf régions. Ce nombre neuf est solennel dans les traditions des scaldes; Heimdall, protecteur de la terre, avait eu neuf mères; les Valkyries et les Dysers apparaissaient toujours aux hommes au nombre de neuf; les noces de Freïr et de Gerda durèrent neuf jours; neuf jours aussi le voyage d'Hermod à l'Helheim, pour délivrer Baldur ; la grande solennité qui se célébrait à Upsal revenait tous les neuf ans; les sacrifices se comptaient et les chants se distribuaient par neuvaines; on traçait neuf sillons de charrue autour du feu sacré pour connaître l'avenir, et la Scandinavie n'a pas encore oublié son respect pour ce nombre révéré.

Le goût des récits et du merveilleux n'y cessa pas non plus avec les temps anciens et les migrations successives. Les Islandais revenant chaque année sur les côtes de la Baltique et sur celles de la Norwége, pour recueillir un héritage dans leur ancienne patrie, pour visiter des parents, pour venger une injure restée sans expiation, ravivaient les vieilles traditions et en amassaient de nouvelles. D'autres fois, c'était le marchand norwégien qui venait en Islande échanger les productions du sol natal contre les laines et le poisson du pays. Arrivant en automne, il ne repartait qu'à la saison nouvelle; accueilli en attendant dans la chaumière islandaise (bär), et devenu l'hôte de la famille, il s'acquittait envers elle en racontant, durant les longues soirées d'hiver, ses voyages, ses périls sur la mer orageuse, puis les exploits des rois et des héros norwégiens. De son côté, l'Islandais qui sortait de sa patrie, avait beau trouver de fertiles contrées, des beautés courtoises, des iarls généreux, il n'oubliait pas l'humble toit de sa cabane enfumée. Il voyait, à son retour, ses compatriotes se presser autour de lui avec une avidité naïve, pour entendre des récits qui semblaient les transporter, d'un pays dépourvu de tout agrément naturel, dans les champs de l'imagination. Quand un bâtiment abordait, tous accouraient sur le rivage, s'informant d'où il

notes et glossaires, de trois poëmes de l'Edda. Elle porte le titre de Poëmes islandais ( Voluspa, Vafthrudnis-mal, Lokasenna); Paris, imp. roy., 1838. La Voluspa, ou visions de Vola, représente la mythologie scandinave, de l'origine des choses jusqu'à la destruction et à la renaissance du monde, chantée par la prophétesse Vola, en montrant que la justice finit par triom. pher de la force et de l'astuce; tout y est sombre et moral, et semble annoncer la chute des dieux scandinaves. Nous avons parlé tout à l'heure du Lokasenna et du Vafthrudnis-mal, ce dialogue si curieux entre Odin et le ïote Vafthrudnir.

venait, si ceux qui le montaient n'avaient rien à raconter de la Suède, de la Norwége et du Danemark. De cette manière les traditions de ces pays venaient chaque année s'amasser dans cette île comme dans des archives de famille, en se revêtant de ce vague, de cet idéal qu'elles empruntaient à l'éloignement, mais en conservant, même assez tard, le caractère primitif, qui se trouvait altéré sur le continent par le contact des peuples germaniques.

Ces traditions donnèrent naissance à d'autres sagas ou chants historiques, recueillis de ville en ville de la bouche de scaldes voyageurs dans la cabane du pêcheur, comme sous la tente du guerrier et dans la salle du prince, puis répétés devant un auditoire attentif.

Bien qu'ils ne fussent pas sacrés comme le barde, ni privilégiés comme les anciens scaldes, ces rapsodes du Nord étaient partout bien accueillis ; et lorsqu'ils avaient réveillé à la cour le souvenir des antiques héros, le prince leur faisait don de l'anneau d'or et de l'épée ciselée. Thorstein étant allé visiter Harald, roi de Norwége, lui raconta une histoire qui dura trois jours; et le roi lui ayant demandé où il l'avait apprise, Dans mon pays, répondit-il. Je vais chaque année à l'Alting, et j'y recueille les récits de notre célèbre Haldor (1).

Les sagas sont donc des traditions orales, simples de forme comme de sujet, transmises de père en fils, œuvre de la famille et du peuple. En aucun pays elles ne furent aussi nombreuses ni aussi durables qu'en Islande. Torfée en compte cent quatrevingt-sept; Muller en a analysé cent cinquante-six (2), et il eroit que les premières, qui contiennent les chants des scaldes, remontent au douzième siècle; les autres ne vont pas au delà du dix-septième. Tandis qu'ailleurs les traditions sont le résultat de patientes recherches de la part des érudits, elles sont

(1) TORFÉE OU TORFASON, historiographe du Danemark au dix-septième siècle.

(2) Saga bibliotek med Anmerkuinger og indledende afhandlinger; Copenhague, vol. in-8°. Cet ouvrage comprend le résultat des recherches an térieures, surtout de celles faites par Magnusen, qui avait réuni tous les manuscrits inédits épars chez les prêtres et chez les paysans islandais. Il en avait fait don, en mourant, à l'université, avec une somme pour les publier et pour l'entretien de deux étudiants islandais s'occupant des antiquités du Nord. En 1772, une commission royale fut instituée pour la publication de ces manuscrits; et il en résulta l'édition des Sagas avec la version latine. D'autres savants, danois surtout, se sont livrés à ce genre d'études.

là le livre des familles. Dans l'étroite cabane de l'Islandais, tous se livrent à leur travail autour de la lampe alimentée par l'huile de baleine, tandis que le maître du logis, assis près de la lumière, se met à lire les sagas en les accompagnant d'explications et de commentaires pour les jeunes gens et les serviteurs. C'est un mérite de plus pour celui qui sait déclamer d'une manière pathétique, et un plus grand encore si le thulr (le lecteur) y joint la connaissance du passé. La jeune laitière apprend de son père à les lire l'hiver dans les étables, afin de pouvoir les redire en plein air quand revient le tardif printemps.

Les parois des maisons, les ciselures sur bois et sur acier, les dessins des tapisseries reproduisent les scènes ou les vers des sagas, qui sont ainsi conservées et répandues de mille manières.

Lors donc que la Société royale de Copenhague songea à réunir ces derniers fragments de la tradition septentrionale, vieux témoins de la civilisation et de la langue primitive du Nord, elle n'eut pas à chercher d'autres collaborateurs que les paysans islandais.

« Que saurions-nous, dit Rask (1), du développement intel«lectuel, de l'organisation et de l'état du Nord dans les temps << reculés sans les sagas et le livre des lois? Là où ils ne viennent << pas à notre secours, nous tâtonnons dans les ténèbres, comme « il arrive pour la réunion des diverses principautés danoises << sous la domination de Gorm, et pour d'autres événements de « première importance. Nous ne connaîtrions rien non plus ni « de la vie, ni des travaux.ni, des leçons d'Odin si nous n'avions « l'Edda et les chants des scaldes. >>

C'est précisément dans les sagas dérivées de ces sources primitives qu'il faut chercher l'histoire des pirates, dont les incursions désolèrent l'Europe au moyen âge; de ces Angles et de ces Normands, fondateurs de la puissance britannique; de Rurik, qui commença l'empire de Russie; de Tancrède de Hauteville, qui fonda un royaume dans la plus riante contrée de l'Italie. Les sagas ont généralement un caractère héroïque; mais on s'attendrait vainement à y trouver des fées bienveil

(1) Veiledning cil det islandske sprag., X. Ce professeur de Copenhague, l'un des plus savants philologues, a dirigé ses patientes et doctes études sur les antiquités islandaises, et institué, en 1816, une société de bibliophiles islan dais (Islands bokmenta Felag), qui a publié plusieurs ouvrages sur ce pays. Lui-même a fait paraître l'Edda et les sagas, la meilleure grammaire scandinave et le dictionnaire islandais-latin.

Mœurs

lantes, de ces assauts de courtoisie dans les tournois dont nos romans de chevalerie sont remplis ; les peintures sont en rapport avec des natures rudes et incultes. Quand les vents attiédis font dissoudre et fondre les glaces qui l'ont enchaîné longtemps au rivage, l'Islandais quitte le sol natal sur un bateau fragile et s'abandonne aux flots avec ses compagnons. Rencontre-t-il un vaisseau, il l'aborde, lui livre combat; la mer est teinte de sang, et bientôt les coupes circulent au milieu des chants de triomphe, pour célébrer la victoire des plus forts ou des plus heureux. Parfois deux vaillants chefs passent la journée entière à lutter en combat singulier, sans que l'un l'emporte sur l'autre ; alors, bannissant de leur coeur magnanime toute trace de courroux, ils montent sur le même bâtiment, et s'en vont de compagnie en quête d'aventures; puis, s'élançant bientôt sur la première plage où les ont poussés le vent et la fortune, ils se mettent à saccager et à tuer à l'envi l'un de l'autre. Le butin a pour eux moins d'attraits que la bataille et le sang; le sang et la guerre inspirent leurs chants; le merveilleux consiste pour eux dans des récits tantôt de combattants agitant huit bras armés, tantôt de géants qu'un seul cheval ne saurait porter, tantôt de boucliers enchantés forgés par des nains, tantôt d'épées qui tranchent l'acier comme de la toile.

Heureux le guerrier qui obtient un éloge de ces chantres inspirés! L'étranger demande en arrivant à l'Alting: Où est cet homme fameux dans les sagas? Ses fils brûlent de l'égaler ; à peine ont-ils pu se procurer un bateau et quelques compagnons qu'ils s'élancent sur la mer, courant au butin et au carnage. Tombent-ils dans le combat, Odin les attend dans le Walhalla.

Un paysan, passant le soir près de la grotte où est enseveli Gunnar, entend du bruit, et aperçoit une lumière au milieu des blocs massifs qui recouvrent le héros. Revenu avec le fils de celui-ci, ils voient quatre lumières étinceler dans le tombeau, tandis que le défunt, couché sur ses armes, répète son chant funèbre comme Lodbrog dans la fosse des serpents.

Asmundr, après un long combat, renverse son adversaire, et, le tenant d'une main robuste, lui dit : Je ne puis te tuer, parce que je n'ai pas mon épée au côté. Me promets-tu de m'attendre ? je vais la chercher. Je te le promets, dit-il. L'autre part, et trouve à son retour son rival encore étendu sur le sol, attendant tranquillement la mort.

Amundr, aveugle de naissance, vient à l'Alting demander à Litingr satisfaction de la mort de son père. Comme celui-ci la lui refusé, il s'écrie: Que ne puis-je cesser d'être aveugle, afin de pouvoir me venger. A peiné est-il entré dans la tente que ses yeux acquièrent soudain la faculté de voir. Gloire à Dieu ! dit-il; je comprends ce qu'il attend de moi. Saisissant alors sa hache, il tombe sur son ennemi, le tue; et ses yeux se referment soudain, couverts d'une éternelle obscurité.

Les femmes elles-mêmes respirent la vengeance et la fierté; elles encouragent leurs frères au combat; parfois, se couvrant du casque et de la cuirasse, elles vont elles-mêmes défendre leur honneur. Une jeune fille s'en alla heurter au tombeau de son père pour lui demander son redoutable glaive, afin de le venger; et l'ayant obtenu, elle attaqua les ennemis, qu'elle vainquit. Tornbiörg, fille d'un roi de Suède, combat courageusement dans les rangs des soldats; et son père lui ayant donné le gouvernement d'une province, elle prend un nom d'homme et se voit saluée du titre de roi. Elle combat avec tous les champions qui demandent sa main, et après les avoir vaincus elle les fait tuer ou mutiler. Il en est un enfin qui parvient à triompher d'elle : alors, retournant près de son père, elle dépose ses armes à ses pieds en lui disant : Je vous rends le pouvoir que vous m'avez confié ; je renonce à la gloire à laquelle j'aspirais, et je redeviens femme.

Il y a plus de charme dans la figure d'Ingerborg, l'amante de Hialmar. Ce jeune guerrier, mourant sur le champ de bataille, donne au fidèle Oddr son anneau pour le lui porter. En recevant le triste message, elle y fixe ses regards, et, sans proférer une parole, elle tombe pour ne plus se relever.

Les mœurs présentées dans les sagas offrent un tableau repoussant ce ne sont que séductions, adultères, incestes. Le temps qui n'est pas employé à la guerre se consume dans la débauche; les vengeances des puissants sont exécutées par des sicaires (berserkir). Les superstitions jouent un grand rôle, notamment les songes, les prèssentiments, les sorcières et les trolls (1), puis les nains rusés, les formidables géants et un

(1) Les trolls, très-puissants dans la magie, étaient de trois sortes. Les premiers étaient des monstres gigantesques; les seconds, de beaucoup inférieurs en force, l'emportaient par l'intelligence et par la connaissance des secrets de la nature et de l'avenir; ce qui les fit parvenir à vaincre les premiers et à devenir dieux. Les troisièmes sont un mélange des deux autres races, mais inférieurs à toutes deux.

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