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Ils reconnaissent comme légitimes cent trente-six variétés de vers, qui se réunissent en quatrains dont chacun est divisé en deux hémistiches de six ou de sept syllabes, celles-ci ayant trois ou quatre lettres, attendu qu'ils ne comptent pas seulement les voyelles, mais aussi les consonnes. Si le premier hémistiche commence par une voyelle, la même doit servir pour le second; s'il commence par une consonne, ce sont les deux premières qui doivent être les mêmes, sans parler de plusieurs autres lettres qu'il faut ramener. Ces retours de lettres semblables tiennent lieu de la rime, qui fut introduite en 1150 par Einar Skulason, poëte de la cour du roi de Suède Suerker. Ce qui est vraiment extraordinaire, c'est que des chefs-d'œuvre littéraires naquirent chez un peuple séquestré dans un pays aride et rigoureux, vivant de la pêche et d'un mince commerce, et pourtant adonné aussi à la jurisprudence, à l'histoire naturelle, aux mathématiques (1).

Le premier scalde dont il soit fait mention est Thorwald Hialteson, poëte d'Éric le Vertueux, roi de Suède; le dernier est Sturle Thordson, auteur d'un poëme en l'honneur de Birger Jarl, et de la Sturlungasaga, histoire de l'Islande et de sa propre famille. Des femmes cultivèrent aussi la poésie, et Inguna Seimond remporta la palme parmi celles qui mêlèrent anciennement leur voix à la voix des scaldes. Erpur Luitand était conduit au supplice pour crime de rébellion, quand il se mit à chanter

Veiter pella bali beittist;
Neiter vella stali heitlist.

Haki hamde geirum gotna;
Kraki framde eirum flotna;
Neiter brodda endist stale;

Heiter hodda brendist bale.

;

Voici maintenant le sens : « Hakon frappa les hommes avec les flèches Kraki flatta les hommes avec l'argent; les flammes dévorèrent celui qui donnait des habits de soie; le roi que l'or rendait heureux fut frappé par l'acier.

<< Hakon dompta les hommes avec l'épée; Kraki enrichit les marins avec l'or; celui qui portait l'acier tranchant périt par l'acier; celui qui répandait l'or périt par le feu. »

On trouve ainsi à l'origine de la poésie ces difficultés auxquelles elle se complaît parfois dans sa décrépitude.

(1) EINAD (Syllabus auctorum islandicorum) compte deux cent cinquante poëtes avant la Réforme, sans y comprendre ceux qui sont moins

connus.

un de ses poëmes en l'honneur du roi Hund; et le charme en fut si puissant que le peuple et les soldats demandèrent sa grâce tout d'une voix.

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Le scalde Égill avait perdu depuis peu son fils Gunnar, quand Bandvar, l'aîné, fit naufrage. Le malheureux père, ayant trouvé son cadavre, le porta sur son cheval jusqu'à la colline de Skalagrim, ouvrit la colline, et l'y déposa. Il avait une chaussure étroite, et une casaque rouge serrée du haut et s'élargissant sur les flancs; son sang circula avec tant de violence que sa chaussure et sa casaque en éclatèrent. De retour au logis, il se renferma dans sa chambre, où il se coucha, et personne n'osait lui adresser un mot. Il resta ainsi trois jours sans prendre de nourriture : le troisième jour, Ausgerda, sa femme, envoya un serviteur à cheval à Torgude, fille bien-aimée d'Égill, qui s'en vint aussitôt. Sa mère lui ayant demandé si elle avait soupé, elle éleva la voix et répondit: Je n'ai pas encore goûté de pain, et je ne mangerai plus que je ne sois rendue dans le séjour de Fréya. Elle pria ensuite son père de lui ouvrir, parce que, dit-elle, je veux que nous fassions ce voyage ensemble. Egill la fit entrer, et elle se jeta à la renverse sur l'autre lit : C'est bien à toi, ma fille, de vouloir être la compagne de ton père; c'est une grande preuve de tendresse. Comment, répondit-elle, pourrais-je survivre à un tel malheur ? Ils restèrent muets tous deux quelque temps; puis Égill reprit: Veux-tu prendre quelque nourriture, ma fille? Je mâche de l'herbe marine, dans l'espoir d'abréger ainsi une vie que j'aurais horreur de voir se prolonger. Le père alors: Est-ce du poison? - Oui, et il est puissant. En veux-tu aussi? Il en prit. Peu après Torgude demanda à boire, et en proposa à son père, qui prit une corne, et avala la liqueur dont elle était pleine. Ah! nous avons été trompés, s'écria Torgude; c'était du lait. Égill frémit à ces mot et mordit la corne. Torgude reprit alors : Que faire maintenant que notre intention est déçue? Il nous restera assez de vie pour que tu puisses composer un chant sur Bandvar, et moi je le graverai sur un bâton. Égill essaya, et, à mesure que la composition avançait, sa douleur s'adoucissait, et son âme retrouvait du calme. Lorsqu'il l'eut terminée, l'apporta à sa famille, s'assit sur son siége élevé, et prépara le breuvage de deuil qu'il est d'usage de boire à la mémoire des morts. Puis il renvoya Torgude de la demeure conjugale après l'avoir comblée de dons.

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Tels sont les récits qu'on lit dans les anciennes sagas (1), dont le recueil est appelé Edda, nom dérivé d'une racine qui signifie aïeule ou loi (2). On prétend que la première Edda fut composée par Sæmund, au onzième siècle ; il ne paraît pas vraisemblable cependant qu'un prêtre ait voulu, un siècle à peine après l'introduction du christianisme, recueillir ces traditions mythologiques sans même y ajouter un mot d'improbation ou l'expression d'un sentiment chrétien. Cette ancienne Edda s'égara, et ne fut retrouvée qu'en 1643. Mais, vers l'an 1200, Snorre Sturleson, grammairien islandais, avait fait en prose un résumé de ce recueil, ou plutôt une seconde Edda en trois parties. La première contient l'ancienne mythologie; la seconde, intitulée Heimskringla (terrarum orbis) des paroles par lesquelles elle commence, comprend les sagas historiques, extraites de quatorze écrivains antérieurs; elles forment, jusqu'à l'année 1178, un cours d'histoire qui fut continué jusqu'en 1362 par Sturle Thordson, puis par un compilateur anonyme. La troisième partie, ou Scalda, est un vocabulaire de phrases et une espèce d'art poétique et métrique d'après les anciens modèles, où sont cités quatre-vingts scaldes, parmi lesquels on rencontre des princes et des rois.

C'est une tâche digne de la constance des érudits et qui peut être féconde que d'y chercher quelques traditions historiques, et surtout les sentiments, les croyances des peuples du Nord; mais celui qui se met en quête du beau y trouve des images dont la teinte âpre, nébuleuse, atroce est trop différente de notre manière de sentir. Quand on rencontre des idées hardies, des expressions vigoureuses, des traits vraiment poétiques, il faut les dégager d'allusions si vagues, d'usages si disparates que l'imagination est étouffée sous un long commentaire avant que le plaisir ait pu éclore.

Dans le Vafthrudnis-mal, le iote ou géant Vafthrudnir, un des êtres qui, dès le principe des choses, possédait la sagesse, donne l'hospitalité à Odin, qui se présente à lui inconnu, et lui

(1) X. MARMIER, Revue des deux mondes, 1836. Dans presque toutes les langues tentoniques on trouve le mot suédois saga plus ou moins altéré : en danois c'est sige; en hollandais, zeggen; en anglo-saxon, sœggan ou sergan; en anglais, say; en allemand, sagen. C'est ce qui se dit, ce qui se transmet, la tradition populaire.

(2) D'autres le font venir de Odde, nom d'une terre de Sæmund; de odr, sagesse, chant, enthousiasme; de œdi, enseigner, etc.

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propose une lutte de doctrines, à la suite de laquelle le vaincu perdra la tête. Le géant propose une multitude de questions et d'énigmes sur la mythologie au dieu, qui les résout aussitôt. Le dieu propose à son tour des énigmes au géant, qui les explique toutes, à l'exception de la dernière, pour laquelle il s'avoue vaincu et perd son royaume.

Dans le Lokasenna, les dieux sont réunis par Agir à un banquet où Loki, génie du mal, espèce de Momus scandinave, dépité de ne pas avoir été convié au festin d'Oëgir, se met à apostropher chacun, révélant les fautes de l'un et de l'autre avec l'effronterie du Momus de Lucien, jusqu'au moment où Thor arrête sa malignité en le menaçant de son terrible marteau. Nous avons mis ailleurs l'Edda à contribution, pour en déduire le système religieux des anciens Germains (1), tandis que d'autres se sont efforcés de le rattacher à celui des peuples orientaux. L'Edda, au surplus, n'est pas d'accord avec elle-même dans ses cosmogonies, et c'est peut-être là un indice de la différence existant entre la doctrine indigène et celles qui, plus tard, auront été importées et fondues avec elle dans la nouvelle compilation.

Bien avant que le monde fût créé, il existait un lieu appelé Nifelheim, au milieu duquel était un abîme d'où s'élançaient des torrents d'eaux si froides que la glace s'accumulait sur les bords. Au midi, il y en avait un autre nommé Muspelheim, tout feu et lumière. A son extrémité habitait Surtur le toutpuissant, armé de la foudre, qui, à la fin des choses, viendra vaincre les autres dieux et détruire la terre par les flammes. Les étincelles qui en sortaient fondaient en les touchant les glaces du Nifelheim, et les gouttes, s'animant à mesure qu'elles tombaient, produisirent une race de géants. Ymer, le premier d'entre eux, se propagea en faisant sortir de son aisselle gauche un homme et une femme, et il se nourrit du lait d'une vache née de la glace liquéfiée, qui se repaissait en léchant les roches couvertes de givre et de sel. Le premier jour qu'elle se mit à lécher ainsi, il sortit de la pierre une chevelure d'homme, puis le lendemain la tête, puis tout le corps. Ce fut un homme robuste et beau, nommé Buré, qui engendra Borr, lequel épousa Bestla, issue du premie couple, dont il eut Odin, Vila et Vé. Ceux-ci, devenus dieux du ciel, tuèrent Ymer, dont le sang

(1) Tome VI.

produisit un déluge dans lequel se noya toute sa race, à l'exception de Bergelmer, qui, s'étant sauvé dans une barque avec sa femme, engendra une nouvelle race.

Les trois dieux, ayant pris le cadavre d'Ymer, firent la terre avec la chair; la mer qui l'entoure, ainsi que les fleuves, avec le sang; les monts avec les os, et avec le crâne la voûte du ciel, auquel ils attachèrent un certain nombre d'étincelles tirées du Muspelheim. Les dieux eurent pour habitation l'Asgard ou le Walhalla, les hommes le Midgard, sous lequel s'ouvre l'Utgard, séjour des géants primitifs (1). L'arc-en-ciel est le pont par lequel communiquent les habitants des deux premiers royaumes. L'unité dans la création est encore ici décomposée en une trinité de démiurges, dont Odin était le plus connu. Comme créateur de l'âme humaine, il pouvait la renvoyer plusieurs fois dans des corps d'homme. La vitalité était considérée comme venant de lui, la raison de Vila, les sens de Vé. Une secte hétérodoxe vénérait Thor, protecteur des Norwégiens et des Finnois. Odin avait commis à Forsété le jugement des morts, à l'exception de ceux qui mouraient en combattant, le Walhalla s'ouvrant immédiatement pour eux. Ceux qui n'obtenaient pas l'entrée du paradis avaient pour séjour l'Helheim, monde glacé et ténébreux, ordonné comme le nôtre, dans lequel ils continuaient les occupations dont ils avaient l'habitude dans cette vie; ce qui faisait remplir les tombeaux d'armes, de bijoux et d'ustensiles divers. Là régnait Héla, déesse moitié blanche et moitié noire, comme Hécate, que parfois l'on voyait, de nuit, fendre les airs montée sur une cavale (2). Au delà de l'Helheim s'étendait un autre empire souterrain, obéissant à Ran, déesse de la mer, et à Æger, son époux, qui, avec leurs neuf fils, causaient les naufrages et cherchaient à faire sombrer les vaisseaux.

Les Scandinaves croyaient à l'inspiration de certaines femmes, les regardant même comme des divinités qui venaient assister aux accouchements. De ce nombre fut Valau-Vola, dont les prédictions sont appelées Volupsa (3), et dans lesquelles l'uni

(1) FINN MAGNUSEN, Eddalären og dens Oprindelse, eller nojagting, etc., système de l'Edda et son origine, ou exposition des fables et opinions des anciens habitants du Nord, sur l'existence, la nature et la destination de la terre, etc.; Copenhague, 1824.

(2) Cette cavale s'appelait Mare; de là le night-mare des Anglais et le cauchemar des Français.

(3) On doit à M. Bergmann, de Strasbourg, une édition avec traduction,

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