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voir rien apporté, comme aussi toutes les exagérations de ce récit tendent évidemment à détourner Othon du mariage projeté.

Déjà, dans sa jeunesse, Luitprand avait été une autre fois à Constantinople, comme envoyé de Bérenger, et il lui présenta la cour d'Orient sous un aspect bien différent. Écoutons-le (1) :

Ayant quitté Pavie le 1er d'août, je me rendis par le Pô à Venise en trois jours, où je trouvai aussi Salomon, comte des Grecs, eunuque, qui, de retour d'une ambassade en Espagne et en Saxe, désirait me conduire à Constantinople, et emmenait avec lui Liutfred de Mayence, ambassadeur de notre seigneur Othon, alors roi, aujourd'hui empereur, porteur de riches présents. Partis de Venise le 25 août, nous arrivȧme s le 17 septembre à Constantinople, où j'écrirai de quelle manière admirable et inouïe nous fùmes reçus. Il y a dans Constantinople une maison contiguë au palais, d'une grandeur et d'une beauté admirable, que les Grecs, changeant l'l en r, appellent Megara, comme pour dire grand hôtel. Ce fut donc elle que l'empereur Constantin fit disposer tant pour les ambassadeurs d'Espagne, qui venaient d'arriver, que pour moi et Liutfred. Devant les yeux de l'empereur était un arbre de cuivre doré, dont les branches du même métal, de genres divers, étaient pleines d'oiseaux qui, selon leur espèce, faisaient entendre un ramage différent. Le trône ensuite était construit avec tant d'art qu'on le voyait tantôt bas, tantôt plus haut, tantôt très-élevé; mais le siége, d'une grandeur immense, était gardé par des lions en cire ou en bois, je ne sais, mais revêtus d'or. Je fus donc conduit dans cette salle, appuyé sur les épaules de deux eunuques, en présence de l'empereur. A mon arrivée, les lions ayant poussé un rugissement et les oiseaux s'étant mis à chanter, je ne montrai ni terreur ni étonnement, attendu que j'avais été prévenu de ce qui en était. Après avoir adoré par trois fois l'empereur en me prosternant, je relevai la tête; mais, au lieu de le voir quelque peu exhaussé au-dessus de terre comme avant, il m'apparut siégeant près du plafond et couvert d'autres vêtements. Je ne sais comment cela peut arriver, à moins qu'il ne soit poussé en haut par une machine.

Il ne m'adressa point la parole; car, l'eût-il même voulu, la distance ne l'aurait pas comporté décemment; et ce fut par l'intermédiaire du logothète qu'il me questionna sur Bérenger et sur sa santé. Lorsque j'eus répondu, je sortis sur un signe de l'interprète, et je me retirai dans le logement qui m'avait été assigné.

Je rappellerai ce que je fis pour Bérenger, afin que l'on comprenne de quelle affection je l'ai aimé, et comment j'en ai été récompensé. Les ambassadeurs d'Espagne et Liutfred, nonce de notre seigneur Othon, alors roi, avaient apporté de grands dons de la part de leurs maîtres à l'empereur Constantin. Je n'avais rien à lui remettre de la part de Bérenger qu'une lettre, encore était-elle pleine de mensonges. J'éprouvais de la

() L UITPRANDI Ticinensis ecclesiæ levitæ Hist. lib. VI.

honte, et je songeais à ce que je ferais, quand l'idée me vint de donner à l'empereur, au nom de Bérenger, ce que j'avais apporté de mon chef, en rehaussant du mieux que je pourrais par mes díscours ce présent modique. Je lui offris donc neuf cuirasses à l'épreuve, sept boucliers excellents à bossettes d'or, deux coupes d'argent doré, des épées, des lances, des cuissards, des esclaves et quatre carsamazes, plus précieux à l'empereur que toute autre chose. Les Grecs appellent carsamaze un eunuque tout à fait amputé. Ils viennent d'ordinaire de Verdun, dont les marchands, qui en tirent un gros bénéfice, les conduisent en Espagne.

Ayant donc agi ainsi, l'empereur me fit appeler trois jours après au palais; et, m'ayant parlé de sa propre bouche, il m'invita à un diner à la suite duquel il me fit des dons considérables, ainsi qu'à ceux de ma suite. Puisque l'occasion s'en présente, je dirai quelle est sa table, principalement les jours de fête, et quels jeux se célèbrent pendant le repas. Il y a une maison à côté de l'hippodrome, vers le nord, admirable de hauteur et de beauté, que l'on appelle decaennéa cubita; or déca en grec veut dire dix, ennéa neuf, et cubita se coucher, s'étendre. On l'appelle donc ainsi parce qu'on y dresse, le jour de Noël, dix-neuf tables, auxquelles l'empereur et ses conviés mangent, non pas assis comme les autres jours, mais couchés; et le service se fait avec des vases non d'argent, mais d'or. Après le repas, les fruits sont apportés dans trois vases d'or, qui, à cause de leur poids énorme, ne sont pas soutenus à bras d'homme, mais par des machines recouvertes de pourpre. Deux se présentent de cette manière à travers des ouvertures percées dans le plafond; ils sont déposés tous deux sur la table au moyen d'anneaux d'or et de trois cordes recouvertes de peau, soulevés ou abaissés par quatre hommes à l'aide de machines.

Je ne dirai pas tous les jeux que j'ai vus en ce pays, mais je ne veux pas garder le silence sur ceci : d'abord il se présenta un homme qui portait sur le front, sans le secours de ses mains, une perche haute de vingtquatre pieds et plus, ayant deux traverses de longueur inégale et en sens opposé; puis, deux enfants nus, mais avec une ceinture, montèrent voltiger sur cette perche, qui demeurait immobile comme si elle était enracinée dans la terre. L'un d'eux étant descendu, l'autre resta seul à faire des choses plus étonnantes encore. Pendant leurs exercices ils gouvernaient à leur gré la perche sur laquelle ils étaient montés, et le dernier s'équilibra sur le sommet, de manière à pouvoir exécuter ses jeux et en descendre sain et sauf. J'en fus tellement émerveillé que l'empereur s'en aperçut. Ayant donc fait venir l'interprète, il me demanda ce qui m'avait paru le plus étonnant, ou de l'agilité des enfants ou de l'adresse de celui qui soutenait la perche. Comme je répondis que je ne savais ce que je devais le plus admirer, il partit d'un grand éclat de rire, et dit qu'il ne le savait pas plus que moi.

Je ne dois pas taire non plus une autre chose nouvelle et merveilleuse que je vis là aussi. Dans la semaine qui précède les Rameaux, l'empereur fait des dons en pièces d'or aux soldats et aux différents fonctionnaires et employés, selon leur rang. Il me commanda d'assister à cette distri

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bution, ce que je fis. On avait dressé une table de dix coudées de longueur sur quatre de largeur; sur cette table étaient rangées les bourses contenant l'argent destiné à chacun, avec une inscription extérieure indiquant la somme. Ils n'arrivaient pas pêle mêle près de l'empereur, mais dans l'ordre où ils étaient appelés, eu égard à leur dignité. Le premier fut le majordome, à qui l'on mit les pièces d'or non dans la main, mais sur les épaules, avec quatre scaramangues. Après lui furent appelés le domesticostos Ascalonas et le ploas des Longaristis, chefs, l'un des soldats, l'autre des marins. Ceux-ci en recevant une somme égale, et le même nombre de scaramangues, parce que leur grade était pareil, ne les emportèrent pas sur l'épaule telles qu'elles étaient, mais les trainèrent derrière eux, aidés par d'autres. Vinrent ensuite vingt-quatre capitaines, auxquels furent données vingt-quatre livres de pièces d'or à chacun, avec deux scaramangues; puis, les patriciens en recurent douze livres et une scaramangue mais je ne sais ni le nombre des patriciens ni le total de l'or donné. On appela ensuite une foule sans fin de protospathaires, de spathaires, de candidats, de clients.

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Le nom de Grégoire VII a été quelque temps un objet de colères railleuses, surtout de la part de ceux qui, dans le siècle passé, prétendaient au titre de philosophes. Nous avons exposé les faits dans le récit; si nous avions besoin d'autorités, nous rappellerions que la mémoire de ce pontife a été réhabilitée par les protestants eux-mêmes, et notamment par VOIGT dans l'Hildebrand und sein Zeitalter (1). Outre cet ouvrage dans son entier, on aime à entendre HEEREN s'exprimer ainsi dans une dissertation couronnée par l'Institut : « Grégoire VII apparaît sous un « aspect différent, selon qu'on le considère avec les yeux de son siècle ou <«< avec ceux du nôtre; car le dessein qui aujourd'hui serait un crime contre « l'humanité pouvait alors être un bienfait pour elle; mais la justice de « l'histoire veut qu'on choisisse le premier point de vue.

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« Lui-même, dans quelques-unes de ses lettres, et les chroniqueurs du << temps appellent cette époque un siècle de fer. La dégénération du système féodal avait rompu presque tous les liens de la sociéte civile : << princes sans pouvoir, seigneurs sans dépendance, le reste esclave; des << violences et des attentats étaient les événements journaliers; les ministres « de la religion étaient accusés non-seulement de complicité dans ces faits, << mais même d'en être les principaux auteurs.

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Grégoire VII conçut l'idée de réformer le monde chrétien en le sou<< mettant à sa domination; et il se sentit la force et les talents nécessaires « pour soutenir ce rôle. Il était du petit nombre de ceux à qui la nature

(1) Histoire du pape Grégoire VII, par J. VOIGT, professeur à l'université de Halle, traduite par l'abbé Jager, 4e édit., 2 vol.; Paris, 1854.

<< donne assez de pénétration pour juger leur siècle sous tous les aspects, << pour connaitre ses faiblesses et ses forces et pour fonder sur cette «< connaissance de vastes projets. Ce qui semble impossible à la foule << devient facile à des êtres privilégiés; elle appelle témérité ce qui est le « fruit de la science la plus profonde et de la volonté la plus énergique. »> Le célèbre Spittler, s'étant servi dans la Geschichte des Pabsthum d'une expression inconvenante envers Grégoire VII, le docteur Paul de Heidelberg, l'une des lumières de l'Église protestante allemande, se leva pour l'improuver, et dit que, lorsqu'il s'agissait de juger Grégoire VII, on pouvait envisager la question de quatre points de vue différents :

1° Se demander s'il opéra d'après sa conviction, ou s'il connaissait l'immoralité du but et celle des moyens à l'aide desquels il voulait l'atteindre.

Il conclut que, sous ce rapport, Grégoire est exempt de tout blâme. 2o Grégoire pouvait-il, de son temps, croire qu'il fût possible de corriger autrement le clergé qu'en le soustrayant à l'autorité séculière?

Le docteur Paul n'ose l'affirmer, observant toutefois que la faiblesse humaine fait souvent que les meilleures intentions se trouvent gâtées par quelque mélange involontaire d'ambition et d'amour-propre.

3o La voie prise par Grégoire était-elle juste en elle-même ?

Le docteur répond négativement, attendu qu'il n'usait que de palliatifs sans porter le fer à la racine, c'est-à-dire à la corruption religieuse et morale du clergé, voulant seulement substituer au gouvernement arbitraire des princes le gouvernement arbitraire des papes. Il nous semble que les œuvres de Grégoire répondent dans un autre sens.

4° Grégoire possédait-il véritablement l'humilité, la générosité, l'amour de la justice qu'il affectait? était-ce, en somme, un homme de bien?

Il ne le nie pas, mais il ne l'affirme pas non plus. Lorsqu'on a lu cependant et ses amis, comme Anselmè, évêque de Lucques, dans ses commentaires sur les psaumes, et ses ennemis, comme Bennon, on ne peut le croire un hypocrite.

Léo, protestant aussi, en outre du passage rapporté dans le texte, termine ainsi le récit des gestes de celui que M. de Lamennais appelait le grand patriarche du libéralisme européen (Avenir, 6 janvier 1831):

« Dans le monde des phénomènes, la lumière de la vérité ne reste pas « concentrée sur une seule figure, mais se répand sur toutes; et le vrai << ne se trouve pas dans quelques phénomènes isolés, mais il ressort de « la lutte de tous. Isolés, ils se démentent et se réfutent l'un l'autre ; ils <«< ne donnent leur véritable signification que pris en masse et opposés <«<les uns aux autres. Or, cette lutte de tous les phénomènes dans leur « développement extérieur est l'histoire ; et elle n'offre pas d'autre intérêt <«< que celui que l'on prend à la lutte de l'esprit avec la matière, que ce«< lui du développement de la pensée au milieu des diverses puissances « de l'accident. Le but de toute l'histoire est donc que la forme sous laquelle l'esprit se manifeste soit toujours plus spirituelle, toujours plus << divine. Quand donc nous rencontrons un homme qui domine son siècle, « les perches de la fauconnerie vides, sans toiles et sans faucons, et sans

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« le dirige d'un bras vigoureux, et se rend compté du progrès qu'il a en « vue, nous devons le célébrer comme un héros, quand bien même son « œuvre aurait le sort de tous les autres phénomènes, quand elle serait « anéantie par les œuvres des siècles subséquents. Grégoire est incontes<< tablement l'intelligence la plus vigoureuse et la plus vaste, l'âme la plus héroïque dans l'histoire du moyen âge. A sa mort, s'efface l'intérêt qui donna à quelques hommes de son siècle une certaine importance << morale; et ses successeurs ne firent longtemps que suivre, plus ou moins «< directement, la route tracée par ce génie puissant. » Histoire d'Italie, liv. IV, chap. 4, § 6.

Un ardent adversaire de la puissance papale accuse Grégoire VII d'avoir préparé l'asservissement de l'Italie, mais sans s'en douter, attendų que, sans lui, les Allemands se seraient emparés de la péninsule entière. Ce qui signifie que les ancêtres des Italiens actuels et leur chef eurent tort de ne pas se laisser enlever leur nationalité, c'est-à-dire de ne pas se laisser tuer, afin que leur postérité pût avoir le droit du poing dans sa brutalité, même deux siècles après l'ère glorieuse des communes. Il confesse, du reste, les immenses bienfaits dus aux papes du moyen åge: «< Dans les siècles barbares, c'était un grand privilége d'être jugé par des << tribunaux ecclésiastiques. C'est l'Église qui a fait les croisades; et l'on << sait quel coup terrible elles ont porté à la féodalité; l'Église a suscité << l'insurrection lombarde; elle a rendu à Rome sa splendeur, » LIBRI, Hist. des sciences mathématiques en Italie, tom. II, p. 5.

H. PAGE 388.

LE ROMANCERO DU CID.

Parmi les romances espagnoles, celles qui concernent le Cid Campeador forment à elles seules un travail long et remarquable; elles sont au nombre de plus de cent, sans parler de celles qui sont perdues (1). Un poëme ou fragment sur la vieillesse du héros est fort antérieur aux romances; et en même temps que le style en est plus âpre et plus inculte, on y retrouve ce mélange de générosité et de rudesse qui disparaît dans les ouvrages d'art.

Au moment où le Cid, exilé par Alphonse à l'âge de soixante-quatre ans, vient de quitter sa femme et ses enfants :

« Pleurant de ses yeux, malgré sa force d'àme, il tournait la tête et regardait sa demeure. Il vit les portes ouvertes et les huis sans cadenas;

(1) La première édition du Romancero du Cid fut publiée par Fernand de Castillo en 1510; Pierre Florez en fit paraître une seconde en 16414; puis Jean Escobar une autre dans le siècle suivant; il fut le premier à coordonner ces romances de manière à former presque une histoire suivie. Vincent Gonzalez de Requero, en les réimprimant en 1818, en a élagué vingt-quatre comme fausses.

Voyez le Romancero espagnol ou recueil des chants populaires de l'Espagne, traduction complète avec une introduction et des notes par M. DAMAS HINARD; Paris, 1844, 2 vol. in-12,

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