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phétiques, la rémunération annoncée, sont des protestations continuelles contre la tyrannie. C'est là ce qui conserve la loi morale malgré ses violations, ce qui perpétue les doctrines qui deviendront la base du droit public. OEuvre immense de la parole, qui triomphe de l'ignorance et de la force brutale, résiste aux rois et rend les nations sœurs. Le peuple, qui ne se trompe pas dans ses sympathies, se tourne vers ce souffle bienfaisant qui rafraîchit l'air embrasé, et il s'instruit de ses droits en accomplissant ses devoirs. L'Église en vient de la sorte à être prépondérante dans l'État comme le pape l'est dans l'Église, et Rome catholique touche à l'apogée de sa grandeur.

Mais aussi, comme elle, l'empereur aspirait à la suprématie. C'étaient deux puissances qui devaient se limiter et se restreindre l'une par l'autre. Mettre l'Église en harmonie avec le gouvernement extérieur fut le but auquel tendirent les chefs les plus distingués de l'empire depuis Charlemagne jusqu'à Rodolphe, bien que les moyens employés ne fussent ni toujours justes ni toujours opportuns; on regrette que de grands hommes se soient trouvés durant un siècle et demi engagés dans la querelle des investitures, tandis qu'ils auraient pu faire avancer la société. Mais cette lutte était une nécessité des circonstances, c'était une guerre inévitable entre l'esprit et la matière, dans laquelle les confins mal déterminés des deux pouvoirs et l'exagération, naturelle au milieu de l'ardeur des partis, faisaient aller trop loin d'un côté et de l'autre; en sorte qu'il y avait de chaque côté une part de raison et une part de tort.

Qui aurait pu ensuite prononcer entre le chef de l'Église, organe de la république catholique, et le chef des rois, seigneur suzerain de toute la chrétienté? La transaction absurde à laquelle ils descendirent suspendit la guerre, mais au détriment de tous deux; car ils perdirent l'influence bienfaisante exercée par eux sur la civilisation du monde tant qu'ils avaient marché d'accord. Ce conflit toutefois servit au développement, à la propagation d'idées qui autrement seraient demeurées stériles et infructueuses; celle de l'État, par exemple, ainsi que nous la concevons encore aujourd'hui.

Cette époque est donc justement appelée siècle de fer, en raison des cruelles souffrances endurées par les individus et par les nations; mais l'humanité avança sensiblement à travers ces épreuves. Nous ne saurions, dès lors, nous ranger de l'avis de ceux qui en font la période la plus malheureuse de la race

T. IX.

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humaine; car les faits attestent qu'à partir de Charlemagne la science, comme la vie sociale, est en voie de progrès. Alors fut accomplie la fusion du monde romain et du monde germanique, pour former le monde chrétien. L'ancien élément du pouvoir central a perdu son énergie, et ne laisse subsister désormais que le nom d'empereur : la société moderne commence. En même temps que tout se fractionne, au point que chaque contrée est couverte de peuples divers, avec des lois et des administrations distinctes, l'unité des nations se consolide : grande preuve qu'elle ne consiste pas dans l'unité de nom et de gouvernement, mais dans l'identité des idées, des mœurs, des sentiments, du langage, de la culture intellectuelle, formant cette unité morale qui n'est point assujettie à l'unité politique, et qui seule peut la produire et la conserver.

Alors des tentatives sont faites partout pour sortir de la barbarie. L'œuvre de Charlemagne et d'Alfred est continuée ou imitée; les lois deviennent stables, et sont rédigées par écrit; la législation, la politique, la religion ont pour tendance de faire cesser ce qu'il y a eu jusqu'alors de mobile dans les nations, dans les individus, dans la propriété. Les langues se classent avec leur caractère distinct, et deviennent le cachet de la nationalité. Les germes de grandes choses sont semés; et c'est dans cette matière informe qu'il faut chercher les causes des opinions, des sentiments, des institutions, de tout ce qui existe aujourd'hui. C'est là que la noblesse trouvera ses titres; les familles illustres, leur origine; c'est là qu'est notre berceau, à nous peuple, parmi ces serfs qui, sous la protection de l'Église, deviennent vilains, c'est-à-dire hommes, et bientôt citoyens.

L'homme qui a dû combattre pour défendre, non plus contre des armées, mais contre les Hongrois ou les Normands, pillards aux bandes détachées, son champ, sa maison, avec tout ce que ce mot comprend de doux et de sacré, s'y attache d'affection et songe à s'y créer plus de bien-être, au lieu de penser à envahir le bien d'autrui. Ainsi cesse ce vertige de changement qui agitait l'Europe depuis plusieurs siècles. La féodalité le rend ensuite impossible en morcelant les nations et les provinces et en enchaînant à la terre les honneurs, les noms, l'existence.

Quand le pape et l'empereur en vinrent à engager une querelle dans laquelle les armes pouvaient moins que l'opinion, l'un et l'autre durent faire appel à celle-ci; et l'homme apprit

qu'il avait des droits, qu'il pouvait choisir, en faisant usage de la raison, le parti auquel il voulait prêter le secours de son or, de son épée, de ses convictions. Et, lorsqu'il eut mesuré ce qu'avaient de puissance cet or, ce fer, cette force morale, il voulut les employer à assurer, à accroître ses droits, qu'il avait appris à connaître et à apprécier.

La littérature, en conservant le mouvement qui lui avait été imprimé au temps de Charlemagne, abonda en esprits d'élite. Elle est digne d'une attention particulière, sinon par les résultats auxquels elle arriva, au moins par son activité et par sa tendance continuelle vers les idées pratiques, par les efforts qu'elle fait pour marier l'ancien avec le nouveau, la philosophie avec les sciences divines.

Mais, pour partager notre avis, il ne faut pas chercher la littérature de cette époque dans les formes élégantes, dans des inepties sonores; il faut la trouver chez ces clercs qui rédigeaient les lettres des papes et des empereurs, au sujet de leurs différends; lettres énergiques, où brille le feu d'une langue vivante et une raison digne des temps les plus éclairés.

Que de noms illustres nous avons passés en revue! Alfred, Kanut, Hincmar, Photius, Sylvestre II, Grégoire VII, un Othon, deux Henri, Hugues Capet, Guillaume de Normandie, l'Allemand Arnolfe, Ferdinand de Castille, le Cid. Nous avons même déjà nommé Godefroy, Urbain II, Bohémond et ses Normands, qui bientôt vont marcher à la glorieuse conquête de la terre sainte, où ils se trouveront en face d'une autre civilisation.

De leur côté, les empires de Constantin et de Mahomet suivaient leur voie. Il y a du mouvement dans le premier, mais c'est un cadavre qui marche à peine; il porte l'ancien orgueil dans les discussions sophistiques, dans sa prétention de diriger les consciences, dans son éloignement pour cette unité chrétienne qui fait la force de l'Europe. L'autre va aussi se décomposant. Des dynasties s'élèvent et sont renversées tour à tour, conservant toujours quelque chose de leur nature nomade, et se transportant de la Mecque à Damas, à Bassora, à Constantinople; les parricides, les fratricides se multiplient, et le sort de l'espèce humaine ne s'améliore pas; elle n'obtient ni la dignité personnelle ni des garanties pour ses droits. Les musulmans édifient, mais sur le sable.

Les musulmans sont cependant, dans la littérature et dans les arts, supérieurs aux Européens; ils conservent et cultivent

la science; on les considère comme des maîtres, et ils peuvent citer des noms illustres, comme ceux d'Al-Mamoun, d'AlMansor, de Mahmoud Gaznevide, de Djelal-Eddyn, de Ferdoucy, d'Avicenne.

Que leur manque-t-il donc ?

Chez eux les princes, investis d'un pouvoir illimité, donnent la mort et la reçoivent; ils sont cruels parce qu'ils tremblent, et ils ont toujours à trembler parce qu'ils sont cruels; ils sont faibles, parce qu'ils ne connaissent point de frein. Chez nous, au contraire, la religion, en commandant l'obéissance aux sujets, diminue pour les rois les motifs de crainte; et, en enjoignant aux rois de respecter leurs sujets, elle ôte à ceux-ci l'occasion de se révolter, à ceux-là la tentation de se montrer cruels. Chez nous, par suite, tout se consolide et tend au progrès; les musulmans restent barbares, et continuent à menacer l'Europe du côté de l'Orient, lorsque ses frontières sont assurées au nord.

Qu'est-ce qui s'opposera à eux?

Ce sera encore cette puissance unique qui l'emporta sur toutes les autres ; qui, après avoir planté sa croix sur les plages · inhospitalières de la Baltique et du Don, armera de ce signe révéré la poitrine des guerriers, afin qu'ils aillent résoudre, aux bords du Nil et du Jourdain, la grande querelle de l'Orient et de l'Occident.

FIN DU NEUVIÈME VOLU E.

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De quei le chief seignor est tenus à ciaus des homes de ces homes qui li ont faite la ligece par l'assise; et coment et de quai tos les homes sont tenus les uns as autres par l'assise.

Le chief seignor est tenus as homes des homes dou reiaume de Jerusalem qui li ont faite la ligece par l'assise, quo il ne deit metre main ne faire metre en leur cors ni en lor fiés de quei il li ont faite la ligece, se ce n'est par esgart ou par connoissance de sa court; ni ne deit soufrir à son poeir que autre li mete. Et se aucun de leur seignors met main en leur cors ni en lor fiés, ce il ne le fait par l'esgart ou par la conoissance de sa court, le chief seignor ne le deit soufrir, ains le doit faire délivrer le plus tost qu'il pora, ce il est pris et arresté; et deit celui de ces homes qui se aura fait mener à quanque il porra et devra par ́sa court. Et se aucun de leur

(1) Nous rappellerons ici que les Assises de Jérusalem sont le recueil des lois rédigées, après la conquête de la cité sainte (1099), pour y établir une organisation régulière, un gouvernement. Le roi de Jérusalem Godefroy de Bouillon, de concert avec les principaux seigneurs de la croisade, réunis en assises, rédigea ce code civil et criminel, et en déposa le manuscrit dans l'église du Saint-Sépulcre. Ces lois ne firent naturellement que reproduire les formes du gouvernement féodal entrées dans les mœurs des conquérants, et c'est à ce titre qu'elles sont particulièrement dignes d'attention et d'étude. Destinées à régir l'État chrétien de Palestine, elles auraient été anéanties avec la domination des successeurs de Godefroy de Bouillon et des croisés, et elles auraient complétement disparu si elles n'avaient été en partie introduites dans le royaume de Chypre par Gui de Lusignan (1193), dans l'empire latin de Constantinople (1204), et dans la Morée sous Godefroy de Ville-Hardoin II, héritier de cette province conquise par son père. Les Latins, toutefois, avec Constantinople et Chypre, avaient perdu le texte de ces Assises, lorsque le gouvernement de Venise en prescrivit la recherche. En 1531, maîtres de l'ile de Chypre, les Vénitiens retrouvèrent quatre exemplaires manuscrits complets; ils en firent une traduction italienne, et les manuscrits originaux furent déposés dans la bibliothèque de Saint-Marc, où on les conserve comme un des plus curieux monuments législatifs du moyen âge.

Voir l'histoire des croisades de Michaud, t. IV; les lois maritimes antérieures au XVIIe siècle de Pardessus, t. Ier, ch. VII; et l'excellente édition des Assises publiées par le comte Beugnot dans le Recueil des historiens des croisades; impr. roy., 1844, in-fol.

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