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imposait comme une nécessité de coordonner, de réformer, il se servit des débris de la civilisation romaine, de la liberté des peuples restés sur le sol germanique, des nouvelles institutions de ceux qui l'avaient quitté, pour élever un État réunissant les formes de l'ancienne administration impériale, la puissance de la cour, comme disaient les contemporains, les assemblées nationales de la Germanie et le patronage militaire. Il fut tout ensemble chef de guerriers, président des champs de mai, empereur romain; et le fardeau ne parut pas au-dessus de ses forces. Mais, parmi ses fils, lequel était capable de gouverner un empire qui s'étendait de l'Elbe à l'Ebre, de la mer du Nord à la Calabre? Lui-même n'avait-il pas déjà senti la secousse donnée par le Septentrion aux chaînes sous lesquelles il le tenait courbé? N'avait-il pas rencontré en Corse les vaisseaux des Arabes d'Espagne courant la Méditerranée, depuis qu'il leur avait fermé tout autre chemin? Et les autres Arabes de Kairouan pouvaient-ils se soustraire à la famine autrement qu'en se livrant à la piraterie? Charles avait comprimé les nations; maintenant les nations vont réagir.

Le lien d'unité qu'il avait imposé devait donc se relâcher; mais il n'est pas vrai pour cela qu'il n'en restât rien. Ce qui tirait sa vie de l'activité du monarque périt; il n'y eut plus un centre d'où partît et où remontât tout le mouvement : les assemblées générales devinrent plus rares et moins puissantes; les missi dominici, l'administration uniforme, le pouvoir unique qui était accepté par tous déchurent; mais on vit subsister ce qui était local, à savoir les comtes, les ducs, les vicaires, les centeniers, les bénéficiers, ainsi que l'ordre dans lequel le gouvernement central avait disposé la propriété et les magistratures, en les arrachant à la confusion où elles étaient précédemment, et en les poussant vers l'indépendance héréditaire, c'est-à-dire vers la féodalité. L'impulsion qu'il avait donnée aux intelligences dura aussi, et elles continuèrent après lui à s'avancer dans la voie des progrès; enfin l'empire d'Occident, bien qu'affaibli, n'en continua pas moins d'exister.

Les deux invasions menaçantes ont été arrêtées, l'une aux Pyrénées, l'autre au Weser; et des débris du vaste empire il se forme des royaumes capables de faire face à l'ennemi, n'étant plus obligés de se tenir constamment sur la défensive pour garantir un territoire aux frontières mobiles, mais se donnant des institutions plus ou moins régulières, à l'abri de confins dé

terminés. De nouveaux barbares surviennent, mais par mer : redoutables plutôt à raison de ravages partiels que par les effets durables de leurs incursions, ils peuvent bien affliger les nations, mais non les détruire.

Charles avait prévu ce nouveau fléau. Nous avons déjà dit que, se trouvant dans la Narbonnaise, quelques pirates normands poussèrent audacieusement leurs barques jusque dans le port; mais, instruits bientôt de sa présence, ils remirent sur-le-champ à la voile. Charles, appuyé sur le balcon, d'où ses regards s'étendaient sur la mer, resta quelque temps silencieux en laissant couler ses larmes; puis, s'adressant à ses leudes étonnés : Savezvous, dit-il, pourquoi je pleure? Ce n'est pas que je craigne ces gens-là, mais je m'afflige de ce que, moi vivant, ils aient osé aborder sur ce rivage; et ma douleur est d'autant plus grande que je prévois combien de maux ils causeront à mes fils et à leurs peuples (1).

Charles avait à s'effrayer plus encore des périls intérieurs que de ceux du dehors. Son coup d'oeil pénétrant n'avait pas manqué de reconnaître combien les grands étaient portés à attirer à eux toute la propriété, soit en dépouillant par la fraude ou par la violence ceux qui dépendaient d'eux, soit en les surchargeant de corvées et de services militaires, afin que, réduits aux abois, ils invoquassent la servitude comme refuge. Il était possible de régler cette disposition, non d'y mettre obstacle. Il avait réuni des nations d'origine diverse; mais si les Mérovingiens n'avaient pas réussi à fondre les Francs avec les Gaulois et les Aquitains, ni même les Francs de Neustrie avec ceux d'Austrasie, il était plus difficile encore d'effacer les indestructibles barrières du Rhin et des Alpes; et il n'était pas croyable que les peuples assujettis de la Saxe, de la Bretagne, de la Bavière, de l'Espagne, de l'Italie se fussent identifiés avec les conquérants, et bien moins encore les tributaires qui habitaient sur l'Oder, sur la Theiss et sur le Garigliano. Le partage fait par Charles affaiblissait les siens, et en même temps il ne remplissait pas les vœux, ne satisfaisait pas au besoin des races: or, c'est en conformité de ces vœux et de ces

(1) Chron. Mon. S. Gall. II, 22. Scitis, o fideles mei, quod tantopere ploraverim? Non hoc timeo quod isti magis mihi aliquid nocere prævaleant; sed nimium contristor quod, me vivente, ausi sunt littus istud attingere; et maximo dolore torqueor quia prævideo quanta mala posteris meis et eorum sint facturi subjectis.

besoins que nous verrons bientôt l'empire se dissoudre, la féodalité l'emporter sur la monarchie, l'unité faire place au morcellement, chaque baron se faire le centre d'une société restreinte et presque indépendante, les grands et les évêques occupés non plus à protéger le trône des Carlovingiens, mais à s'en disputer les débris.

Les avantages d'un grand empire ne saurait être compris qu'à l'aide de raisonnements subtils et de combinaisons d'association d'une portée supérieure aux idées simples de nations nouvelles, étrangères aux habitudes d'union, n'ayant que des rapports sociaux limités et peu nombreux. Son mécanisme compliqué laisse les peuples ou tyrannisés par les gouvernants, ou négligés par le monarque éloigné d'eux, à moins que la direction ne lui soit imprimée par une administration beaucoup mieux réglée qu'elle ne saurait l'être dans un État de formation récente, où manque encore l'expérience. Tant que les comtes, les missi dominici, les évêques, les scabini reçurent l'impulsion de Charlemagne, ils se murent avec harmonie et rapidité; lorsqu'il ne fut plus là pour la donner, son habileté incomparable ne pouvant se transmettre avec le titre impérial, cette machine trop rapidement assemblée, et poussée par un bras hardi sur une route non encore aplanie, dut naturellement s'écrouler. Malheureux le roi qui arrive au moment où va éclater une révolution dont il n'est pas cause et qu'il est impuissant à réprimer comme à diriger (1)!

Tel fut le sort de Louis le Débonnaire, sous lequel se fractionna l'empire de Charlemagne en trois grands royaumes, d'Italie, de France et de Germanie, sans compter ceux de moindre étendue, les uns et les autres d'une durée plus ou moins courte. Les différentes nations avaient perdu leurs familles princières : les chefs saxons avaient été convertis au christianisme ou exterminés; le dernier roi lombard était mort dans le cloître de Corbie; la dynastie des Agilolfinges s'était éteinte violemment dans la personne de Tassillon. Elles cherchèrent donc des chefs ailleurs, et les fils mêmes de Louis se présentèrent comme tels. Ils parurent se mettre à la tête d'une rébellion parricide, quand ils ne faisaient que réaliser le vœu de peuples aspirant à une existence nationale.

En Italie, le sceptre passe des Carlovingiens dans des mains

(1) Louis XVI, etc.

italiennes, auxquelles il est bientôt arraché par les étrangers. Les Saxons, qui se substituent en Allemagne à la race de Charles, ont les plus grandes peines à établir quelque accord entre les différentes populations teutoniques qui aspirent au commandement et les tribus slaves destinées à obéir; ils attirent à la Germanie ce titre d'empire que Charles avait fait revivre, et qui s'y conserva jusqu'à nos jours pour s'éteindre aux mains de François II, devenu François Ier, empereur d'Autriche (1). La France elle-même échappe à la descendance de Pepin, qui disparaît au fond des cloîtres, où elle avait laissé mourir les Mérovingiens.

Les premières bandes des barbares ont à peine reçu des habitudes d'ordre par la civilisation qu'il en apparaît d'autres derrière elles, les Slaves au nord-est, les Normands au nordouest, et par eux sont fondées deux grandes puissances, la Russie et l'Angleterre. La division empêche de résister à leur invasion, et il en résulte des divisions nouvelles.

Le pouvoir de Mahomet s'est affaibli dans l'Arabie; mais il acquiert dans la Perse une force à laquelle ce pays ne s'était jamais élevé depuis le temps de Cyrus. D'autres musulmans menacent l'Italie et l'empire d'Orient, débris languissant de l'ancienne civilisation, placé sur les confins d'une barbarie nouvelle; ceux d'Espagne, arrêtés par les Cantabres, se livrent à la culture des arts et des sciences qui adoucissent leurs mœurs.

Au milieu de ces événements grandit l'autorité ecclésiastique, qui domine seule le bouleversement, et parvient à régénérer les familles et les sociétés. Les pontifes arrivent à l'apogée de leur puissance. Tel est le tableau que nous nous efforcerons de

tracer.

Louis, fils de Charlemagne, mérita mieux le surnom de Pieux, qui lui fut donné par ses contemporains, que celui de Débonnaire, que lui a maintenu la postérité (2). D'un caractère bien

(1) En 1806, il renonça au titre d'empereur romain, et prit celui d'empereur héréditaire d'Autriche (François Ier).

(2) Les Italiens l'appellent, à la manière latine, Pio, dans le sens de doux, comme Virgile en parlant d'Énée; les Allemands entendent ce surnom dans le sens religieux, et le traduisent par Fromm; les Français, par DÉBONNAIRE. Les historiens de ce temps sont :

THEGANUS, De gestis Hlodovici. De bonne foi, quoique parfois peu impartial.

ASTRONOMUS, De vila Hlodovici Cæsaris. « Cette biographie de Louis le

veillant, il eut les mœurs et les vertus d'un particulier, et manqua des qualités nécessaires à l'homme public pour faire le bien qu'il désirait. Élevé avec soin par saint Guillaume de Toulouse, il eut pour la religion un amour fervent et candide, au point de considérer les prêtres comme supérieurs à toute grandeur humaine. Son père le força de se livrer de bonne heure aux affaires, et lui confia le gouvernement de l'Aquitaine, où il montra tant d'affection pour le peuple que les Francs en éprouvèrent de la jalousie; et un sentiment de justice lui fit restituer aux grands de ce pays les biens immenses dont les avaient dépouillés son aïeul et son père. Par une précaution délicate, il séjournait alternativement en plusieurs endroits durant l'hiver, afin que sa résidence n'imposât à aucune de ces villes un fardeau trop onéreux. Il soulagea ses sujets de plusieurs impôts, et les exempta de fournir des fourrages aux troupes, quoiqu'ils ne cessassent jamais de se plaindre.

Jeune encore, il exerça son courage contre les Arabes d'Espagne, ennemis de la religion et du pays, et leur enleva Barcelone. Parvenu au trône, il renvoie dans le cloître les moines Adalhard et Wala, neveux et ministres de Charlemagne. Gémissant des exemples d'incontinence donnés par son père et par

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Débonnaire par l'Astronome, écrivain du neuvième siècle, est, dit l'abbé Le
Gendre, ce que nous avons de meilleur sur le règne de ce prince.
NITHARD, De dissentionibus filiorum Ludovici Pii. Il était proche parent
de Charlemagne, et partisan de Charles le Chauve.

ERMOLDUS NIGELLUS, Carmen in honorem Ludovici.

M. Pertz, bibliothécaire du roi de Hanovre, a publié dans les Monumenta Germaniæ (vol. V), parmi beaucoup d'autres documents relatifs à cette époque, la chronique de FLODOARD, contemporain des derniers Carlovingiens et de Hugues Capet, retrouvée par lui en Hollande.

RIMBERT, archevêque de Hambourg au temps de Louis le Germanique, dans sa Vie de saint Anscarius.

Le MOINE DE SAINT-GALL, qui écrit d'après la tradition vulgaire. RODOLPHE DE FULDE, Annales saxonnes. Le seul qui paraisse avoir lu Tacite.

ABBON DE SAINT-GERMAIN, De bellis Parisiacis. Il raconte le siége de Paris par les Normands.

REGINON, Chronique jusqu'à l'an 907.

Les lettres des empereurs et rois, de Servatus Lupus, d'Hincmar, et les Capitulaires.

Voyez aussi F. FUNK, Ludwig der Fromme, Geschichte der Auflosung des grossen Frankanreichs; Francfort, 1832. Nous recommandons surtout l'Histoire du moyen âge de M. DES MICHELS, dont on ne saurait assez apprécier l'ordre dans l'exposition des faits.

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