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l'épouvante en Italie. Postés sur les Aples et fortifiés dans le monastère de Saint-Maurice, ils se jetèrent de là, durant un demi-siècle, sur la Bourgogne, sur l'Italie et jusque sur la Souabe, interrompant le commerce, attaquant et exterminant les pieuses caravanes, composées surtout d'Anglo-Saxons qui se rendaient en pèlerinage au seuil sacré des apôtres ; ils mirent Gênes à feu et à sang, et offrirent ce nouvel appât à l'avidité d'autres aventuriers d'Espagne ou d'Afrique (1).

Hugues, roi d'Arles eut recours, pour se débarrasser de ces voisins incommodes, à l'empereur Romain Ier, au neveu duquel il maria sa fille Berthe, et les vaisseaux byzantins, les seuls qui pussent alors tenir tête à ces pirates, lancèrent le feu grégeois sur leurs galères. Quand ils virent que la mer leur était fermée, ils abandonnèrent Fraxinet, et se retirèrent dans la forêt qui s'étend en arrière, et qui a conservé leur nom (forêt des Maures). Hugues, n'osant pas s'y aventurer pour les en chasser, traitą avec eux, et leur promit amitié à la condition qu'ils se chargeraient de défendre les Alpes helvétiques contre Bérenger, son rival, qui se préparait à attaquer l'Italie. Ils revinrent donc à Fraxinet, et reprirent le cours de leurs brigandages, sans pour cela empêcher Bérenger d'aller soutenir ses prétentions au délà des Alpes.

Conrad, qui succéda à Hugues sur le trône d'Arles, laissa aux Sarrasins les places dont ils étaient en possession; mais Berthe, sa mère, suppléant par son activité à l'indolence de son fils, veillait sur les ennemis, et élevait des châteaux pour les empêcher de s'agrandir. Puis, soit effet de son habileté, soit hasard, une bande de Hongrois vint donner au milieu de ces africains, et les uns et les autres se détruisirent mutuellement.

Quelques seigneurs recherchèrent l'appui des Sarrasins pour se rendre indépendants; d'autres prirent les armes contre eux, pour se créer une seigneurie des terres dont ils les auraient chassés. Mayeul de Valensole, issu d'une famille illustre, à qui sa piété et son savoir avaient valu le titre d'abbé de Cluny, tomba dans les mains de ces mécréants à son retour de Rome, et sa rançon lui coûta toutes les richesses de son monastère. L'indignation causée pas cet événement ranima la haine généreuse de la domination étrangère. Le comte Guillaume ayant réuni les seigneurs, dont les forces se perdaient à agir isolément,

(1) LUITPRAND, IV, 2.

les conduisit contre les Sarrasins, qui furent vaincus. Les uns furent noyés dans la mer, les autres n'échappèrent à la mort ou à la servitude qu'en se faisant chrétiens. Cet exploit valut à Guillaume le nom de Père de la patrie, et la Gaule resta, après deux siècles et demi, délivrée de la présence des Sarrasins.

Les indigènes, qui s'étaient réfugiés dans les montagnes, revinrent sur le sol paternel dès que le fléau eut disparu; une bonne partie des terres furent données aux églises, qui devinrent de nouveau l'asile de la charité et du savoir. Le reste, subdivisé et cultivé par des mains libres, attendu que le cimeterre arabe avait exterminé les feudataires, ne tarda pas à offrir de nouveau l'aspect de la prospérité. Les seigneurs, qui avaient combattu pour la délivrance de la contrée, et qui maintenant avaient droit à l'hommage, appelèrent des gens du dehors pour la peupler, et cultiver les terres moyennant une légère redevance; les habitants se formèrent alors en communes, et jouirent de franchises dont ils donnèrent l'exemple à ceux qui les avoisinaient (1).

De temps à autre cependant on vit encore les barbaresques faire des incursions sur ces rivages, jusqu'au moment où Louis XIV creusa le beau port de Toulon, et en fit un arsenal ma

(1)« Cette population de propriétaires cultivateurs, qui ne connut jamais le poids du joug féodal, a toujours conservé l'amour du travail et la sobriété, qui sont pour elle des vertus nécessaires; elle a toujours ignoré cette şervilité obséquieuse qui vit encore dans les campagnes de la vieille France; et le souvenir des musulmans n'a pas peu contribué à nourrir parmi elle cette ferveur de croyance, que n'a pas attiédie une récente et douloureuse persécution. Ce souvenir vit encore en Provence dans les classes les plus ignorantes et les moins soucieuses des temps passés. Il n'est pas de laboureur qui n'ait, au moins une fois dans sa vie, heurté avec sa bêche quelqu'une de ces larges briques sous lesquelles reposent les générations africaines qui ont dominé sur la Provence; et lorsque le voyageur demande ce que furent les ruines qu'il aperçoit sur la montagne, les femmes et les enfants lui répondent : C'est là qu'était notre village du temps des Sarrasins. Au milieu de ces ruines s'élève ordinairement une chapelle confiée à la garde d'un pieux ermite; cette chapelle fut jadis l'église du village qui n'est plus. Elle semble protéger les cendres des ancêtres, que leurs descendants vont visiter chaque année, le jour où la fête de la paroisse vient leur rappeler ce pieux devoir. Cette commémoration de la vieille patrie précède toujours des jeux, où la gaîté préside, excitée par le son d'un instrument sarrasin (le tambourin), et il n'est pas rare qu'une danse de même origine (la mauresque) donne encore plus de solennité à la fête. Ces fêtes religieuses et ces bruyantes joies sont le plus vivant témoignage de la dominaton étrangère et de la glorieuse délivrance. » DES MICHELS, Hist. gén. du moyen dge, t. 2, p. 398

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Sicile.

ritime. Mais ce n'est que dans ces dernières années que la bannière française, arborée sur les murs d'Alger, a garanti pour toujours la tranquillité des côtes de la Méditerranée.

Les invasions si étendues et si prolongées des Sarrasins ne permettent pas de croire qu'ils aient pu tirer de la lisière de l'Afrique septentrionale un si grand nombre d'hommes; il est plutôt à supposer que beaucoup, parmi ceux qui étaient opprimés en Europe, se joignirent à eux, notamment les Slaves, vaincus sur plusieurs points, et toujours avides d'aventures et de butin. L'usage inhumain de vendre les esclaves semble s'être ravivé alors, et beaucoup de vaincus étaient exposés sur les marchés, surtout en France. Les Sarrasins les achetaient pour en faire des eunuques; et, cette voie une fois ouverte à un lucre ignoble, ils accoururent se fournir de ces malheureux à l'embouchure de tous les fleuves, où on les amenait du centre de la Germanie. Verdun en Lorraine était un atelier très-actif de mutilations de ce genre; et, bien que les ecclésiastiques fulminassent contre un pareil trafic, on enlevait jusqu'à des enfants baptisés; les Vénitiens n'étaient pas des derniers à l'exercer. Le pape Zacharie leur racheta, en 750, beaucoup de jeunes garçons qu'ils emmenaient hors de l'Italie; et, en 776, on mit le feu, dans le port de Civita-Vecchia, aux navires grecs qui allaient mettre à la voile avec un chargement de cette nature. Ces enfants, qui grandissaient dans l'islamisme, remplissaient les rangs des ennemis de la chrétienté, ainsi que quelques prisonniers adultes, qui rachetaient leur vie au prix de leur foi encore mal affermie.

La fertile Sicile n'était jamais tombée sous la domination des Lombards; l'empire grec, qui en tirait des grains, la faisait gouverner par un patrice; il ne savait pas la défendre, et pourtant il prétendait qu'elle lui fournît, à elle seule, autant que jadis l'Italie entière. Lors de la désastreuse visite de Constantin dans l'île, outre la spoliation qu'elle eut à souffrir, il lui fallut encore subvenir à l'entretien de la cour. L'Église romaine, qui y avait de vastes propriétés, en exportait chaque année une grande quantité de produits, sans jamais y envoyer rien. Mais quand la guerre des images eut éclaté, ces grands biens firent retour au fisc, et la Sicile fut soumise à la juridiction spirituelle du patriarche de Constantinople.

Les empereurs tenaient beaucoup à cette île, qui, indépendamment de sa richesse, était comme une sentinelle avancée

dans le voisinage des domaines qui leur restaient en Calabre. Mais la mer étant sillonnée continuellement par des navires francs et sarrasins, la sujétion des patrices y devenait moindre de jour en jour, et leur dépendance ne consistait guère que dans le payement des impôts. Elpidius, l'un d'eux, qui avait voulu lever la tête contre Irène, se réfugia chez les Sarrasins, qui, à sa suggestion, firent plusieurs débarquements en Sicile, sans toutefois s'y établir à demeure.

Euphémius, tribun, c'est-à-dire gouverneur de l'île au nom de Michel le Bègue, s'étant épris d'une jeune fille consacrée au Seigneur, l'enleva; et l'empereur, bien qu'il se fût rendu coupable d'un sacrilége pareil, ordonna qu'on fît subir au tribun un châtiment sévère. Euphémius se mit en état de défense; mais, voyant l'inégalité de ses forces, il se rendit près de ZiadetAllah-ben-Ibrahim, roi aglabite de Kairouan, à qui il promit foi de vassal et un tribut s'il l'aidait à conquérir sa patrie et le titre d'empereur. Le prince musulman lui confia cent voiles et dix mille combattants commandés par l'émir Abd-el-Cam, qui, ayant débarqué en Sicile, y bâtit une ville de son nom (Alcamo), près des ruines de Ségeste. Euphémius, proclamé roi de l'île, espérait que ses complices lui ouvriraient les portes de Syracuse, quand, s'étant avancé seul près des murailles, il fut tué par deux frères de celle qu'il avait outragée.

Les Siciliens, reprenant alors courage pour sauver leur patrie, défont les Sarrasins restés sans appui; mais bientôt l'ennemi revient à la charge, et demeure maître de la partie occidentale de l'île. Palerme, après un siège qui coûta la vie a plus de cinquante mille de ses habitants, devint la résidence des émirs envoyés par les princes de Tunis, pour achever la conquête et gouverner le pays. Mahomet, fils d'Abd-Allah-ben-Aglab, premier émir, tua neuf mille Romains à la bataille d'Enna, dont le château fut pris par son successeur Al-Abbas, qui fit construire dans l'île la première mosquée. Le patrice Théodote était tombé sur les remparts de Messine. Syracuse rappela, par une résistance héroïque et désespérée qui dura dix mois, les temps où elle brisait la puissance d'Athènes'; mais la lâcheté du navarque Adrien rendit inutiles tant d'efforts. Les chefs des assiégés furent massacrés; la plèbe fut transportée en Afrique pour y pleurer sa liberté, sa patrie; et la ville, avec ses temples magnifiques, fut réduite en ruines (1).

(1) THEODOSII monachi Epist., de excidio Syracusarum. R. Ital. Scr. I,

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Enorgueillis par cette conquête, les émirs refusèrent obéissance aux princes aglabites; mais lorsque, vingt-cinq ans après, ceux-ci les eurent domptés, Ibrahim, roi de Kairouan, débarqua en personne dans la Sicile, et prit Taormine, défendue en vain par d'étroits défilés, par des hauteurs escarpées, et par le fort que les anciens rois avaient élevé au-dessus de la ville. Les Sarrasins construisirent sur cet emplacement le bourg et le fort de Mola. A la même époque, d'autres Sarrasins ravageaient Lemnos, dont ils enlevaient toute la population. Quand les villes de la Calabre envoyèrent demander humblement pardon à Ibrahim d'avoir prêté appui aux rebelles, le roi africain leur enjoignit de se préparer à l'esclavage, et d'annoncer son arrivée dans la cité du vieux Pierre.

Cosenza néanmoins l'arrêta sur la route; et comme il mourut sur ces entrefaites, la discorde se mit entre les vainqueurs les fils des premiers conquérants ne se trouvant pas liés envers les rois fatimites de Tripoli, qui avaient usurpé le trône des Aglabites. De là une guerre durant laquelle les chrétiens renouvelèrent, de temps à autre, de généreuses tentatives pour secouer un joug détesté : les Agrigentins surtout, qui se soutinrent quatre ans, et furent à la veille de prendre Palerme ; mais, vaincus à la fin, ils baignèrent de leur sang les débris de leur ancienne magnificence.

L'Italie devait donc concevoir de vives appréhensions au sujet de ces dangereux voisins, qui, après avoir déjà maintes fois pillé ses côtes, la menaçaient, de Palerme, d'agressions nouvelles et plus terribles. Les ducs de Bénévent et les villes de la Campanie, que ne protégeaient plus les Grecs, au lieu de se mettre d'accord pour pourvoir à la sûreté commune, se faisaient la guerre, et allèrent même jusqu'à réclamer l'assistance des musulmans dans leurs inimitiés. Ceux d'Afrique occupèrent Bari, ceux d'Espagne Tarente, mêlant leur sang à celui des chrétiens dans ces luttes fratricides.

D'autres s'étaient établis dans l'île de Ponza; mais Sergius,

deuxième partie, p. 262. Histoire de l'Afrique sous la dynastie des Aglabites, etc., par Ibn-Khaldoun, qui écrivait à Tunis de 1352 à 1406, et que de Hammer a appelé le Montesquieu arabe. M. Noël Des Vergers, membre corespondant de l'Institut, en a donné le texte et une traduction. On y voit la lutte des Berbères contre les Aglabites, et comme épisode la domination de ceux-ci en Sicile. — T, G. WENRICH, Rerum ab Arabibus in Italia insulisque adjacentibus, Sicilia maxime, sardinia atqué Corsica, gestarum commentarii; LEIPZICK, 1845.

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