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arrivait aux rois d'avoir besoin du bras ou de l'argent des seigneurs, ils devaient leur prodiguer les priviléges au détriment de la couronne, et une concession en entraînait bientôt une plus grande.

On sent, dans les capitulaires émanés des successeurs de Charlemagne, que la puissance royale tombe. Ne dérivant plus de l'empereur seulement, divergeant dans leur but, ce sont souvent des questions ou des conseils, des actes des évêques ou du pape, des conventions entre princes dans leurs querelles si fréquentes, ou même des transactions avec les seigneurs. Au lieu d'embrasser les intérêts généraux, ils s'arrêtent souvent à des intérêts particuliers; ils se bornent à faire droit sur des griefs, en s'exprimant avec cette hésitation qu'inspire l'incertitude de l'obéissance. Déjà, par l'édit de Mersen, Charles le Chauve avait donné garantie aux seigneurs pour l'inamovibilité de leurs fonctions publiques, et obligé tout homme libre à se mettre sous le patronage d'un seigneur, éteignant ainsi le peu qui restait de la liberté germanique, et constituant une noblesse dominante. L'autorité royale parut se relever quelque temps après, quand le même monarque, pourvoyant par l'édit de Pistés (1) à chaque branche de l'administration, s'exprima en roi, et ordonna que tous les châteaux élevés sans le consentement du souverain fussent démolis; mais il ne fut pas écouté. Nous le voyons, dans un autre capitulaire, s'efforcer d'empêcher les réunions séditieuses, sévir contre les crimes politiques, et appeler les citoyens à défendre la paix publique. Au lieu de recourir toutefois à des moyens efficaces pour s'assurer leur assistance, il se borna à exiger, des hommes libres et des centeniers, des serments sur les reliques. Or ces serments, prêtés partout, furent bientôt violés, en même temps que les ordres qu'il donnait pour l'abolition des péages nouveaux et des corvées trop onéreuses restaient méconnus.

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Lorsque ensuite il voulut conduire en Italie les seigneurs, peu disposés à entreprendre une expédition lointaine et sans profit, au moment où les Normands se montraient si redoutables, Charles, pour les décider, leur sacrifia, par l'édit de Kiersy sur Capitul. de l'Oise, les plus beaux priviléges du royaume. Ainsi, non content

(1) Cet édit de Pistes, en 37 articles, qui rappelle les Capitulaires, renferme notamment un règlement sur la fabrication et la valeur des monnaies qui est un des plus anciens et des plus curieux monuments de notre législation,

Kiersy. 877.

d'assurer de nouveau à ses vassaux leur rang et leurs fonctions, il leur permit de les transmettre à leurs fils et même à des parents. Il garantit, en outre, à tous les fils des comtes qui le suivraient en Italie, la survivance de la dignité paternelle. Il déclara même alors, pour lui et ses successeurs, que les fidèles pourraient résister à main armée à l'ordre du roi, quand il leur commanderait une chose injuste. De ce moment les seigneurs deviennent propriétaires et maîtres de leurs dignités comme de leurs fiefs, et le système féodal s'affermit sur les ruines du pouvoir royal.

Les usurpations ne firent depuis lors qu'aller croissant, et quelques seigneurs secouèren toute dépendance. Boson transmit à ses fils la Bourgogne transjurane, que le comte Rodolphe Welf, couronné ensuite à Saint-Maurice dans le Valais, rendit indépendante du Jura aux Alpes Pennines. La Navarre se proclama libre sous Fortunio, fils de Garcias Ximenès, qui avait commencé cette révolution. Les autres seigneurs employaient leur bras à la défense du pays, puis ils se servaient des armes qu'ils avaient dirigées contre l'ennemi pour s'affranchir euxmêmes; ils se conciliaient ainsi la faveur du peuple, qui retrouvait en eux, avec satisfaction, la vigueur qu'avaient perdue les Carlovingiens dégénérés. Les Sarrasins rencontraient pour s'opposer à eux, sans parler des deux nouveaux royaumes de la Provence, le Roussillon affranchi par Gérard, célèbre dans les romans de chevalerie, l'évêché de Grenoble, la vicomté de Marseille. La famille de Waïfre ou Guaifer s'était relevée dans la Gascogne; dans l'Aquitaine, c'étaient les maisons de Gothie, de Poitiers et de Toulouse; Reinier, premier comte de Mons ou du Hainaut, dispute la Lorraine aux Allemands, et laisse son nom dans le roman du Renard comme type de l'astuce qui l'emporte sur la force brutale; les comtes ou, comme on les appelait alors, les forestiers de Flandre, et ceux de Vermandois, combattent contre les Belges et les Allemands.

Mais les batailles les plus terribles sont contre les Normands et contre les Sarrasins, dont nous allons retracer successivement les expéditions.

CHAPITRE III.

INCURSIONS DES SARRASINS.

Charlemagne, dont l'épée redoutable avait arrêté les hordes errantes, mais sans pouvoir ou sans savoir leur opposer une digue suffisante, n'eut pas plutôt fermé les yeux, que la Scandinavie lança au dehors ses formidables pirates; les Slaves sortirent de leur obscurité; les Hongrois, race étrangère aux nations germaniques, poussèrent leurs coursiers contre les frontières de l'empire carlovingien.

Ces peuples ne trouvaienit pas, comme au déclin de l'empire des Romains, des peuples qui, affaiblis par la servitude et par les vices qu'elle engendre, regardaient avec indifférence les ef– forts tentés par une métropole éloignée; mais des générations jeunes, armées pour défendre leurs foyers, et associées dans l'unité puissante du christianisme. L'âme se réjouit à observer comment elles parvinrent soit à repousser les agresseurs, soit à les policer et à en faire des instruments de cette civilisation qu'ils menaçaient.

Un réveil énergique dans l'empire byzantin parut avoir détourné de la Grèce les Arabes, qui s'étendirent vers la Perse. En France, ils avaient été arrêtés par Charles Martel; puis les comtes d'Aquitaine, de Barcelone, de Navarre, veillaient sur cette frontière, secondés en outre par l'intrépidité des Basques, par le royaume d'Oviedo, qui grandissait, et plus encore par la discorde qui s'était mise entre les nouveaux maîtres de l'Espagne. De même qu'on avait vu les Francs combattre sous les enseignes d'émirs révoltés contre les khalifes, les Arabes vinrent soutenir les comtes rebelles contre les Carlovingiens et dévaster le pays. Mais bientôt Barcelone devint pour eux une barrière qu'ils ne dépassèrent plus; et si parfois quelque bandes de coureurs poussa jusque sur le sol français, il n'en résulta qu'un dégât passager, bien vengé du reste par les chrétiens.

Mais des pirates sarrasins sortaient désormais des ports d'où jadis faisaient voile les flottes puniques; et parcourant la Méditerranée, qu'ils regardaient comme leur domaine, ils interrompaient tout commerce. Tantôt se jetant sur les côtes, tantôt

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remontant le cours des fleuves, partout ils menaçaient les propriétés et les personnes (1).

S'étant jetés sur la Sardaigne, où ils massacrèrent la garnison, les Sarrasins enlevèrent le corps de saint Augustin et occupèrent un certain nombre de postes, bien qu'il ne paraisse pas qu'ils se fussent emparés de l'île entière. Une partie de la population fut emmenée en Afrique, où elle fonda la colonie de Sardonia, dans les environs de Kairouan (2); le reste des habitants se réfugia dans les montagnes. Alors les villes tombèrent en ruines; les routes et les aqueducs se dégradèrent. Charlemagne, après avoir pris les armes pour leur enlever les Baléares et les autres grandes îles de cette mer, fit croiser dans leurs eaux une flotte destinée à repousser les envahisseurs. Mais, trop faible sans doute, cette flotte n'empêcha pas la Corse et la Sardaigne de retomber au pouvoir des Sarrasins; et avant de mourir il put apprendre que Nice et Centumcellæ (3) avaient été pillées par les pirates. Louis avait à peine succédé à son père, que des ambassadeurs venaient de Cagliari implorer son assistance (4). Mais il n'eût guère à leur accorder que de la pitié. Cependant les papes continuèrent la guerre contre les Sarrasins de Sardaigne; le comte de Gênes recouvra la Corse, et Boniface, marquis de Toscane, conjointement avec Bernard son frère, ayant débarqué entre Utique et Carthage, leur livra sur le rivage cinq combats, dans lesquels il demeura vainqueur (5); mais son courage ne fut point secondé, et d'ailleurs les Sarrasins ne se laissaient pas abattre par des défaites.

Ces incursions ne ressemblaient point à celles des Septentrionaux. Les indigènes autrefois s'étaient mis à couvert des barbares, en se retirant du côté de la mer. Maintenant les Sarrasins les refoulent dans l'intérieur des terres, en portant sur les côtes l'attaque et le ravage. Maîtres des grandes îles et du détroit de Gibraltar, les Sarrasins dominèrent dans le bassin occidental de la Méditerranée, comme ils le faisaient déjà dans le bassin oriental; ainsi se trouvait remis en question le problème qui

(1) REINAUD, Invasions des Sarrasins en France, en Savoie, en Suisse, etc.; Paris, 1836.

(2) Cette ville, de la régence de Tunis, fut pendant plusieurs siècles la capitale de l'Afrique musulmane.

(3) Aujourd'hui, Civita- Vecchia.

(4) ÉGINHARD, ad annum 815 ou 820.

(5) L'ASTRONOME, de Vita Ludov., c. 42.

avait été résolu par la destruction de Carthage, à qui de l'Orient ou de l'Occident appartiendrait la souveraineté des mers.

La Provence se trouvait surtout exposée à leurs incursions, et, dès les premières qu'ils y firent, ils détruisirent le monastère de Lérins, foyer d'activité et de science, ainsi que les colonies marseillaises d'Antibes, de Saint-Tropez et d'Hyères. Se tenant sur la mer entre Toulon et Nice, et enhardis par le succès, ils attaquèrent les villes. Marseille fut saccagée deux fois en dix ans (1); et ces contrées, dans lesquelles les générations précédentes s'étaient efforcées d'allier, en quelque sorte, la richesse du sol et des habitants avec la beauté du ciel, sont depuis lors perdues pour l'histoire. Ils firent de l'île de la Camargue leur point de relâche, pour s'élancer de là le long du Rhône, dont l'embouchure n'était pas encore obstruée, et deux fois ils pillèrent la ville d'Arles. Mais quand ils y revinrent quelques années après, Gérard de Roussillon les surprit, les mitŢen déroute, et non moins actif que vaillant, il leur ôta l'envie de revenir à la charge.

La nécessité de s'opposer à ces ennemis toujours menaçants servit de prétexte à Boson pour se faire roi de Provence. Mais lorsqu'il eut cessé de vivre et que Gérard se fut fait moine, les Sarrasins se représentèrent, non plus pour piller, mais pour conquérir. Cela nous paraît plus vraisemblable que le récit de Luitprand (2). Selon lui, vingt Sarrasins venant d'Espagne, poussés par hasard sur la côte de Provence, surprient Fraxinet (3) dont ils égorgèrent les habitants; puis, s'étant fortifiés dans cette position inaccesible, ils secondèrent les paysans d'alentour dans leurs massacres fratricides, et dévastèrent tout le pays situé derrière eux. Aidés de nouveaux compagnons, ils dominèrent militairement le pays, sans dépendre ni des khalifes d'Espagne, ni des émirs d'Afrique. La flotte romaine, qui était mouillée dans le port de Fréjus, encore ouvert à cette époque, n'échappa aux flammes que par la fuite. Les Sarrasins de Fraxinet franchirent les Alpes maritimes restées sans défense, et, mettant le feu à Acqui et à d'autres villes, ils semèrent

(1) Les religieuses du monastère de Saint-Victor, dans les faubourgs de cette ville, se coupèrent le nez, pour échapper à la brutalité des mécréants; delà vint à ce monastère le nom de Denarrados.

(2) Liv. I, c. I.

(3) Fraxinetum, aujourd'hui le bourg de la Garde-Fresnet, au sud de Draguignan (Var).

888-848.

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