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Henri IV.

Ils assuraient ainsi à eux-mêmes et à leurs descendants une protection contre les envahissements des puissances voisines et les révoltes de leurs sujets; car ceux-ci ne pouvaient que rester dociles, quand ils trouvaient dans le saint-siége une garantie contre l'injustice et la tyrannie des grands.

Démétrius, roi des Russes, enyoya son fils prier Grégoire de recevoir son royaume comme fief de saint Pierre. Guillaume le Conquérant réclama de lui la bannière qui devait légitimer l'invasion de l'Angleterre. Démétrius Zwotimir, duc de Croatie, fait par Grégoire roi de Dalmatie, promit l'hommage au saint-siége, s'engageant à veiller sur la continence des prêtres, diacres et évêques, à protéger les veuves et les orphelins, à empêcher le trafic des esclaves. La Pologne dut à Grégoire d'être affranchie de la domination teutonique; et Boleslas ayant tué au pied des autels l'évêque de Cracovie, qui l'avait réprimandé de sa vie licencieuse, le pontife l'excommunią et le déposa. Quand Harald succéda à Suénon, roi de Danemark, Grégoire lui écrivit pour l'exhorter à la vertu (1). Il agissait avec les souverains comme eût pu le faire un véritable père.

Si donc il avait eu pour contemporains des rois dignes de ce nom, il aurait régénéré l'Église et le monde. Mais il eut, au contraire, à lutter contre de mauvais princes; et le besoin de résister à leurs machinations le porta à faire usage de toutes les armes que lui offraient son temps et sa position.

Le trône de Germanie était alors occupé par Henri IV, resté orphelin à six ans. Le temps de sa minorité fut agité par les prétentions des grands, qui recouvrèrent les duchés, et par celles d'Annon, archevêque de Cologne, qui n'arracha la tutelle du roi à sa mère Agnès d'Aquitaine que pour diminuer l'autorité impériale. Adalbert, archevêque de Brême, tendit au contraire à l'augmenter; ce prélat, qui aspirait à soumettre tout le Nord à la juridiction de son église, inspira à Henri une idée exagérée du pouvoir royal et le mépris de la discipline ecclésiastique.

(1) Monemus insuper, carissime, ut tibi commissi a Deo regni honorem omni industria, solertia peritiaque custodias. Sit vita tua digna, sapientia referta, justitiæ et misericordiæ condimento saleque condita, ut de te vera sapientia, quæ Deus est, dicere queat : Per me iste rex regnat (Proverb. VIII). Pauperum et pupillorum ac viduarum adjutor indeficiens esto, sciens pro certo quoniam ex his operibus et condimentis amor tibi reconciliatur Dei.

Ce fut ainsi que le premier par sá sévérité, et l'autre par sa condescendance, laissèrent se développer en mal les qualités remarquables de ce jeune prince, qui, parvenu à vingt-cinq ans, fut un tyran livré à tous les vices. Il n'était point de famille où il ne portât le déshonneur par son libertinage; il n'épargna pas même ses sœurs. Après avoir eu recours au viol contre de jeunes personnes nobles, il les forçait à épouser les compagnons de ses débauches. Résolu à répudier Berthe, sa femme, il chargea de la séduire, afin de se procurer un grief contre elle, un de ses courtisans, qui, après de longues instances, obtint d'elle un rendez-vous nocturne. Henri, voulant en être témoin et faire honte à la coupable, entra le premier dans le lieu convenu; mais il fut soudain assailli par les serviteurs de la reine, embusqués dans l'intention de châtier l'insolence du courtisan. Après être resté longtemps malade des suites de cette aventure, il fit mettre à mort son confident malencontreux, et punit Berthe par un indigne outrage (1).

Persuadé de la nécessité de gouverner les Saxons d'une main de fer, il faisait à Goslar de longs séjours, ce qui était très-onéreux pour le pays, où il possédait peu de biens; et il remplissait la Saxe et la Thuringe de forteresses, d'où les soldats, assurés de sa connivence, rançonnaient les habitants. On disait que le roi, contemplant la contrée du haut de ces donjons, s'était écrié : C'est un beau pays que la Saxe, mais ses habitants sont de misérables serfs !

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Le peuple et les grands outragés formèrent une confédéra– tion; et, mettant soixante mille hommes sur pied, ils demandèrent que Henri démantelât ses châteaux forts, remît en liberté leur futur duc, et rendît au pays son ancienne constitution. Leurs demandes ayant été repoussées, ils l'assaillirent et le réduisirent à demander la paix. Comprenant alors que les forteresses ne suffisent pas pour tenir en bride une nation qu'on maltraite, il se mit à caresser les seigneurs allemands, auxquels il n'avait pas d'abord épargné les dégoûts. Lorsqu'il se fut assuré de leur appui, il accusa les Saxons d'avoir, en démolissant les forteresses, outragé les autels et les tombeaux. Faisant en conséquence publier l'hériban par toute l'Allemagne, il marcha contre eux, les défit; et, à force de perfidies et de sup- 1075.

(1) BRUNO, ann. Sax., ad ann. 1067.

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plices, il parvint à écraser les rebelles: mot employé souvent pour désigner ceux qui réclament leurs droits.

Les plaintes des Saxons s'unirent alors à tant d'autres qui s'élevaient contre Henri, et se dirigèrent vers le pontife, comme vers le pouvoir répressif de tout ce qui était vice et tyrannie, l'appui de tout effort contre les abus. Déjà nous avons vu Grégoire, avant son intronisation, déclarer à Henri qu'il réprimerait ses excès et le trafic des dignités sacrées, auquel sa cour se livrait effrontément. Une fois assis dans la chaire de saint Pierre, il écrivit au duc Godefroi : Je ne le cède à personne en zèle pour la gloire présente et future de l'empereur; et à la première occasion je lui ferai, par l'organe de mes légats, de charitables et paternelles admonitions. S'il m'écoute, je me réjouirai de son salut comme du mien; s'il devait payer de haine l'intérêt que je lui porte, Dieu me préserve de la menace qu'il fait en disant: Maudit l'homme qui refuse de tremper son épée dans le sang!

Henri ayant résisté, Grégoire VII voulut, avant de mettre à effet ses menaces contre le pécheur, le frapper dans ses actes. Il prononça en conséquence la destitution de l'archevêque de Brême et des évêques de Strasbourg, de Spire, de Bamberg, convaincus de simonie; il exclut en outre de la communion de l'Église les cinq conseillers de Henri, pour le cas où, dans un délai fixé, ils n'auraient pas donné satisfaction au saint-siége. Il fit intervenir en même temps des parents et des amis de l'empereur, afin de le toucher. Cédant en effet aux instances d'Agnès, sa mère, il promit de s'amender et d'aider le pontife à extirper l'hérésie.

Grégoire en éprouva une vive satisfaction, mais elle fut courte. Henri avait fléchi lorsqu'il redoutait l'opposition des Saxons; mais dès qu'il en fut resté vainqueur, il voulut que leurs évêques, tombés entre ses mains, fussent dégradés comme traîtres, et il conféra l'évéché de Bamberg à une de ses créatures. Grégoire se plaignit de ce que, tout en se déclarant dans ses discours fils soumis de l'Église, il se démentait dans ses actes, et insista pour qu'il remît les évêques en liberté et se dessaisît des biens confisqués. Henri n'en tint compte et garda près de lui les personnes excommuniées. En même temps les princes saxons retenus prisonniers exhortaient le pontife à déposer cet indigne souverain, en vertu d'un droit dont nous n'examinons pas la justice, mais qui était généralement re

connu à cette époque. En conséquence, Grégoire cita Henri à comparaître à Rome, devant un concile, pour avoir à s'y justifier.

Ce prince opiniâtre ressentit alors plus de courroux que de crainte, et il répondit : « Henri, roi, non par la violence, mais << par la sainte volonté de Dieu, à Hildebrand, non pape, mais « faux moine. Tu mérites ce salut pour le désordre que tu mets « dans l'Église; tu as foulé aux pieds ses ministres comme des « esclaves, et tu t'es procuré ainsi la faveur du vulgaire. Nous « l'avons toléré quelque temps, parce qu'il était de notre de<< voir de conserver l'honneur du saint-siége; mais notre ré« serve t'a semblé de la peur : elle t'a rendu audacieux au << point de t'élever au-dessus de la dignité royale, et de me« nacer de nous la ravir comme si tu nous l'avais donnée. Tu << as mis en œuvre des intrigues et des fraudes; tu as cherché << la faveur à l'aide de l'argent, la force des armes à l'aide de « la faveur; et c'est à l'aide de la force que tu as conquis la «< chaire de paix, dont tu as détrôné la paix. Toi, subalterne, tu << t'es élevé contre ce qui était établi; or, saint Pierre, véritable « pape, a dit : Craignez Dieu, honorez le roi: mais toi, de « même que tu ne crains pas Dieu, tu n'honores pas en moi « son délégué. Tombe, ou sois excommunié. Va dans les pri<< sons subir notre jugement et celui des évêques. Descends de << cette chaire usurpée : moi, Henri, et tous nos évêques, nous << te l'enjoignons. A bas, à bas! »

Voilà donc deux puissances se menaçant réciproquement de se détruire : l'une a pour elle l'opinion populaire, l'autre la violence; et chacune d'elles a fait usage de ses armes. Dans la hiérarchie des pouvoirs terrestres qui, selon les idées du temps, s'acquéraient non par la force ou par héritage, mais par l'élection des sujets et par la consécration de celui à qui avait été confiée la suprématie divine, on supposait que la première condition à laquelle fussent soumis les rois, pour exiger fidélité des peuples, était de se maintenir orthodoxes; et comme la véritable foi réside dans le sein de l'Église, celui qui en était exclu cessait d'avoir droit à l'obéissance. Notre époque, qui se croit libérale, a pour fondement de ses constitutions l'inviolabilité ou l'infaillibilité du roi; on frémit à la pensée que celui-ci puisse être responsable de ses actes. Nos pères, dans leur ignorance, croyaient, eux, qu'il n'y avait d'infaillible que ce Pierre avec lequel le Christ avait promis d'habiter jusqu'à la fin des siècles,

que c'était à lui de veiller sur la conduite des rois, de les corriger s'ils péchaient, de les réprimer s'ils se mettaient en rébellion. La sagesse d'aujourd'hui a introduit le veto des rois en opposition aux volontés des chambres, et a donné à celles-ci le refus de l'impôt pour balancer les pouvoirs. Or, non-seulement les chambres demandent compte aux ministres de leur administration, mais, plus d'une fois, elles ont prétendu changer les dynasties et ont envoyé les rois en exil ou sur l'échafaud. Les moyens sont donc changés, mais la chose reste la même.

Alors non-seulement le droit canonique mais encore le droit civil de l'Allemagne reconnaissait au pape l'autorité suprême. Voici, en effet, ce qu'on lit dans le préambule du Miroir de Souabe, recueil des coutumes teutoniques : « Dieu, qui est dit « le prince de la paix, laissa en montant au ciel deux épées << sur la terre, pour la défense de la chrétienté; et il les donna « à saint Pierre, l'une pour le jugement séculier, l'autre << pour le jugement ecclésiastique. Le pape concède à l'empe<< reur la première; l'autre est confiée au pape lui-même, sié<< geant sur un cheval blanc, afin qu'il juge comme il le doit; << et l'empereur doit tenir l'étrier, afin que la selle ne se dérange << pas. Il est indiqué par là que, si quelqu'un résiste au pape et « que le pontife ne puisse le réduire à l'obéissance par le juge<< ment ecclésiastique, l'empereur, les autres princes séculiers « et les juges doivent l'y contraindre en le mettant au ban (1). » En conséquence, Eichhorn (2) résume ainsi le droit allemand au moyen âge: «La chrétienté, qui, selon la divine institution « de l'Église, embrasse tous les peuples de la terre, forme un << tout dont la prospérité est confiée à la garde de certaines per«sonnes auxquelles Dieu lui-même a conféré le pouvoir. Ce << pouvoir est spirituel et temporel; l'un et l'autre est commis

(1) Apud SENCKENBERG, Juris alemanici seu suecici præfamen. (2) Deutsche Staats und Rechtsgeschichte, t. II, p. 358, quatrième édit. Il convient de consulter à ce sujet un ouvrage publié à Paris en 1839 par le directeur du séminaire de Saint-Sulpice Pouvoir du pape sur les souverains au moyen áge, ou Recherches historiques sur le droit public de cette époque relativement à la déposition des princes. On y discute d'une manière sérieusement historique ces trois questions :

:

Est-il vrai que le droit public européen dans le moyen âge assujettissait la puissance temporelle au pouvoir spirituel à tel point que, dans certains cas, un souverain pouvait être déposé par l'autorité du pape et du concile ? Quelles étaient les bases et l'origine de ce droit public?

Quels en ont été les résultats?

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