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au lieu d'être attribuées au mérite, et que les biens légués à l'Église comme le patrimoine général des indigents devinssent des propriétés de famille.

Une fois le clergé réintégré ainsi dans l'influence que lui pro- Investitures. curent la vertu et la piété, il restait, pour compléter la tâche et pour lui procurer l'indépendance, à écarter la pierre de scandale, à savoir, le droit que s'arrogeaient les seigneurs laïques d'investir les prélats, en leur remettant l'anneau et la crosse, occasion de simonie et d'élections indignes. Hé quoi! s'écriait le pape, la plus misérable femme peut choisir son époux selon les lois de son pays, et l'Épouse de Dieu, comme une vile esclave, doit recevoir le sien de la main d'autrui? Fort donc de sa propre volonté et de celle du peuple, sur lequel il s'appuya dans tous ses actes (1), Grégoire VII tira cette force prodigieuse qui lui fit surmonter tant d'obstacles et obtenir le triomphe de l'esprit sur la matière. Il défendit aux ecclésiastiques de recevoir de la main d'un laïque l'investiture des bénéfices, comme aux laïques de la donner, sous peine d'excommunication.

A une époque où, dans le droit politique, le chef de l'État n'avait de prééminence sur ses vassaux qu'à raison de la supériorité résultant pour lui de l'inféodation, enlever aux seigneurs le droit d'investir les prélats, c'était soustraire entièrement ceux-ci à leur dépendance, et soumettre au pontife un tiers peut-être des propriétés de toute la chrétienté. L'Église renonçait-elle aux biens et aux droits pour lesquels se donnait l'investiture, elle restait dépouillée de toute autorité temporelle et dépendante du prince, comme aujourd'hui le clergé protestant. Les conservait-elle, au contraire, sans avoir besoin de demander à chaque vacance la confirmation de ses pouvoirs séculiers, elle devenait indépendante et aurait étendu sa puissance jusqu'à rendre les princes ses vassaux. Grégoire ne reculait pas devant ces conséquences; car, voulant régénérer la société à l'aide du christianisme, il ne croyait pas pouvoir y parvenir tant que la chaire de saint Pierre ne serait pas élevée au-dessus du trône des rois. Il en résultait directement pour lui la néces

(1) Henri IV atteste lui-même que l'abaissement des évêques et des prélats était populaire. Rectores sanctæ Ecclesiæ, videlicet archiepiscopos, episcopos, presbyteros, sicut servos pedibus tuis calcasti; in quorum conculcatione tibi favorem ab ore vulgi comparasti. MANSI, Concil. XX, 471.

sité de s'immiscer dans les affaires temporelles et dans le gouvernement des peuples.

C'est ici l'un des points les plus épineux de l'histoire et du droit public; mais on peut discuter en toute liberté la question de l'indépendance mutuelle des puissances séculière et ecclésiastique, dès que la cour de Rome a cessé de prétendre, par droit divin ou naturel, à une juridiction directe ou indirecte sur le temporel des princes. C'est donc une question purement historique; et sous ce rapport nous avons vu suffisamment que la supériorité du pouvoir spirituel n'était pas seulement un usage introduit peu à peu par certaines circonstances, une exagération d'une foi irréfléchie, mais une partie essentielle du droit public. Or, ne voulant suivre ici ni les panégyristes ni les détracteurs, nous laisserons Grégoire VII lui-même exposer ses pensées à ce sujet.

« L'Église de Dieu doit être indépendante de tout pouvoir temporel; l'autel est réservé à celui qui, par un ordre non interrompu, a succédé à saint Pierre (1); l'épée du prince lui est soumise et vient de lui, parce qu'elle est chose humaine; l'autel, la chaire de saint Pierre, viennent de Dieu seul et dépendent de lui seul (2). L'Église est à cette heure dans le péché, parce qu'elle n'est pas libre (3), parce qu'elle est attachée au monde et aux mondains (4); ses ministres ne sont pas légitimes, parce qu'ils sont institués par des hommes du monde; parce que chez les oints du Christ, qui s'appellent surintendants des églises, on trouve les désirs et les passions criminelles (5), avec la convoitise des choses terrestres (6), dont ils ont besoin dès qu'ils sont attachés au monde. C'est pourquoi l'on ne voit que dissensions, haine, orgueil, cupidité, envie, dans ceux qui doivent posséder la paix de Dieu (7). L'Église se trouve dans cet état, parce que ceux qui doivent la servir ne s'inquiètent que des intérêts d'ici-bas; parce que, soumis à l'empereur, ils n'agissent que comme il lui plaît; parce que, servant l'État et le prince, ils demeurent étrangers à l'Église.

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L'Église doit cependant être libre, ou le devenir par le moyen de son chef, par le premier homme de la chrétienté, par le soleil de la foi, le pape. Le pape tient la place de Dieu, dont il gouverne le royaume sur la terre; sans lui il n'y a pas de royaume, sans lui la monarchie s'engloutit comme un vaisseau brisé. De même que les choses du monde sont du ressort de l'empereur, celles de Dieu sont du ressort du pape. Il convient donc que celui-ci arrache les ministres des autels aux liens qui les enchaînent à la puissance temporelle.

« L'État est une chose, l'Église en est une autre. De même que la foi est une, l'Église est une, le pape son chef est un, les fidèles ses membres sont un. Si l'Église existe par ellemême, elle ne doit opérer que par elle-même. De même qu'une chose spirituelle n'est visible que par une forme terrestre, et que l'âme ne peut opérer sans le corps, ni ces deux substances être unies sans un moyen de conservation, de même la religion n'existe pas sans l'Église, ni celle-ci sans les moyens qui assurent son existence (1). Comme l'esprit s'alimente de choses terrestres dans le corps, ainsi l'Église se maintient à l'aide des possessions temporelles. Il est du devoir de l'empereur, qui a en main le pouvoir suprême, de faire qu'elle se procure ces biens et les conserve. Les empereurs et les princes sont nécessaires pour cela à l'Église (2), qui n'existe que par le pape, comme le pape n'existe que par Dieu (3).

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<«< Si l'on veut donc que l'Église et l'empire prospèrent, il est nécessaire que le sacerdoce et la monarchie soient étroitement liés, et associent leurs efforts pour la paix du monde (4). Le monde est éclairé par deux luminaires, le soleil plus grand, la lune plus petite. L'autorité apostolique ressemble au soleil la puissance royale à la lune. Comme la lune n'éclaire que grâce au soleil, les empereurs, les rois, les princes, ne subsistent que grâce au pape, parce que celui-ci vient de Dieu (5). Par ce motif, la puissance du siége de Rome est de beaucoup plus grande que celle des princes (6); le roi est soumis au pape et lui doit obéissance (7).

(1) Epist. 1, 7.

(2) Ib. V, 10; VI, 20; I, 75.

(3) Ib. I, 39.

(4) Ib. I, 19.

(5) Ib. II, 13, 31.

(6) Ib. VIII, 21.

(7) 16. VIII, 23; VIII, 20; I, 75.

« Le pape venant de Dieu, toute chose lui est subordonnée ; les affaires spirituelles et temporelles doivent être portées devant son tribunal (1). Il doit enseigner, exhorter, punir (2), corriger (3), juger, décider. L'Église est le tribunal de Dieu (4), et prononce sur les péchés des hommes; elle montre le chemin de la justice, elle est le doigt de Dieu. Le pape est donc le représentant du Christ et supérieur à tous. Sa dignité est grande et redoutable (5), car il est écrit : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera de même délié dans le ciel (6). Ainsi parla Jésus-Christ à Pierre; c'est par Pierre que l'Église romaine existe; en elle réside le pouvoir de délier, et l'Église du Christ est fondée sur Pierre.

« Cette Église se compose de tous ceux qui confessent le nom de Christ et qui s'appellent chrétiens. Toutes les églises particulières sont donc membres de l'Église de Pierre, qui est celle de Rome. Celle-ci est donc la mère de toutes les églises de la chrétienté (7), qui toutes lui sont soumises comme des filles à leur mère. L'Église romaine prend soin de toutes les autres (8); elle peut en exiger honneur, respect, obéissance (9). Comme mère, elle commande à toutes les églises et à tous les membres qui leur appartiennent; et tels sont les empereurs, rois, princes, archevêques, évêques, abbés et autres fidèles (10). En vertu de sa puissance, elle peut les instituer ou les déposer (11); elle leur confère le pouvoir, non pour leur gloire, mais pour le salut du plus grand nombre. Ils doivent donc humble obéissance à l'Église (12); et toutes les fois qu'ils se jettent dans les voies du péché, cette sainte mère est obligée de les arrêter et de les re

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mettre sur le bon chemin (1), autrement elle serait complice de leurs méfaits (2). Mais quiconque s'appuie sur cette tendre mère, l'aime, l'écoute et la défend, éprouve les effets de sa protection et de sa munificence (3).

« Quelque résistance que rencontre celui qui tient sur la terre la place de Jésus-Christ, il doit lutter, demeurer ferme, souffrir à l'exemple de Jésus-Christ (4). Du chef doivent partir la réforme et la régénération (5); il doit déclarer la guerre au vice, l'extirper (6), et jeter les fondements de la paix du monde (7); il doit prêter main-forte à ceux qui sont persécutés pour la justice et la vérité (8). La persécution et la violence ne doivent point le détourner de son tribut (9); et puisque celui qui menace l'Église, qui lui fait violence et lui cause de l'amertume, est fils du démon, non de l'Église, elle doit le bannir et le retrancher de la société humaine (10). Il faut donc que l'Église demeure indépendante, que tous ceux qui lui appartiennent soient purs et irréprochables: accomplir cette grande tâche est le devoir du pape (11). L'Église sera libre (1). »

Nous recueillons ces pensées de Grégoire dans les lettres qu'il écrivit à différentes époques, et leur réalisation fut l'œuvre qu'il poursuivit constamment, avec une confiance intime, avec cette hardiesse et cette énergie dont s'effarouchent nos siècles épuisés, mais qui convenaient à des temps de si grands désordres, où de pareilles convictions trouvaient de l'assentiment. Il voulut donc recouvrer l'ancienne suzeraineté du saint-siége sur la Sicile, l'Espagne, la Hongrie, la Dalmatie. Les princes de ces différents pays, apercevant dans Rome, non de l'ambition, mais un esprit de sagesse, de justice, de savoir, et une autorité protectrice, lui assujettirent leurs États à titre de fiefs.

(1) Epist. V, 5; II, 1.

(2) Ib. III, 4; IV, 1; II, 5. Append. I, III, 4.

(3) Ib. I, 58; III, 11.

(4) Ib. IV, 24.

(5) Ib. V, 5; IV, 28; IX, 21.

(6) Ib. II, 1.

(7) Ib. VI, 1; VIII, 9.

(8) Ib. VI, 12.

(9) Ib. Append. II, 15.

(10) Ib. VI, 1; IV, 27.

(11) Ib. 1, 70; JI, 12.

(12) Ib. VIII, 5; Append. VOIGT, Hildebrand und Zeitalter, par

tie II, c. 5.

T. IX.

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