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CHAPITRE XVII.

GRÉGOIRE VII.

Gualbert et Nil, ermite de la Calabre, et d'autres saints personnages de ce temps, multiplièrent les miracles de conversion. Ainsi beaucoup se conservèrent sans souillures au milieu de la corruption universelle; mais leur voix et leur exemple n'exerçaient pas une influence générale; ils ne faisaient souvent qu'exciter ces révolutions tumultueuses qui deviennent inévitables partout où manque un moyen de réforme régulier.

Des plaies si gangrenées ne pouvaient être cicatrisées que par le fer et le feu. La réforme ne pouvant venir efficacement que d'en haut, et de ce siége vers lequel, à raison de son élévation, les princes et'les peuples tournaient également leurs regards. Tant que les églises se vendraient, tant que les dignités seraient obtenues à prix d'argent ou par la brigue, tant que le déréglement de ceux qui en étaient investis les ferait pencher plutôt du côté des princes, qui en trafiquaient, que du côté des pontifes, devait-on espérer que les évêques pussent recouvrer l'indépendance et l'autorité qu'ils avaient perdues par la licence? L'Église s'était dépravée en se sécularisant; elle avait besoin de revenir à ses vrais principes, de rendre au sacerdoce, au monachisme, sa vigueur et son zèle, d'instituer un censeur ne relevant point des puissances temporelles, et qui jugeât et punît les méchants, quels que fussent leur rang et leur titre. Le pape pouvant seul réunir ces conditions, il était indispensable de soustraire son élection à l'intervention séculière, d'affranchir les prêtres du lien féodal, et pour cela de les isoler de la famille. Mais celui qui entreprenait de rompre le triple noeud de la terre, de la famille, de l'autorité temporelle, dont le clergé se trouvait lié à l'égard de la société, devait s'attendre à une lutte terrible avec les rois, dont la puissance s'amoindrirait; avec les prêtres, dont les passions se trouveraient gê– nées; avec la force immense des habitudes les plus douces. Celui-là ne pouvait donc être qu'un héros, et les pas d'un héros, dans des temps malheureux, ne sauraient être calculés selon la mesure de l'homme ordinaire dans des temps paisibles.

1013-1083.

Hildebrand, natif de Soano en Toscane, avait été élevé dans le monastère de Cluny. Son érudition dans la littérature profane et sacrée, ses mœurs irréprochables, un cœur droit, une intelligence qui concevait avec maturité, une fermeté prudente dans l'exécution, ne tardèrent pas à le signaler à ses contemporains. Touché de l'abaissement de l'Église, il écrivait à Hugues, son abbé (1): « Puissé-je vous faire comprendre de combien << de tribulations je suis assailli! quels soins incessants m'ac<< cablent de plus en plus! Maintes fois j'ai demandé au divin << Sauveur de m'ôter de ce monde, ou de me laisser devenir «< utile à notre mère commune. Une inexprimable douleur et « une profonde tristesse envahissent mon âme, en voyant l'É« glise d'Orient que l'esprit des ténèbres a séparée de la foi ca<«<tholique. Dois-je tourner mes yeux vers l'occident, au midi, « au nord? C'est à peine si j'aperçois quelques prêtres qui << soient parvenus à l'épiscopat par les voies canoniques, qui << vivent comme il convient, qui gouvernent leur troupeau dans << un esprit de charité, non avec l'orgueil despotique des puis<< sants de la terre. Parmi les princes séculiers, je n'en connais << aucun qui préfère la gloire de Dieu à la sienne propre, la « justice à l'intérêt. Ceux parmi lesquels je vis, Romains, Lom<< bards, Normands, sont pires que des juifs et des païens. Si « je reporte mon attention sur moi-même, je me trouve telle<< ment accablé de mes propres fautes, que je ne vois d'espé«rance de salut que dans la miséricorde de Jésus-Christ. Si je « n'étais pas dans l'attente d'une vie meilleure, si je n'avais << pas l'espoir de me rendre utile à l'Église, je ne demeurerais <<< pas davantage à Rome, où je me trouve, Dieu le sait, << comme enchaîné depuis vingt ans, partagé entre une douleur « qui se renouvelle chaque jour, et une espérance, hélas ! trop << lointaine. Assailli par mille tempêtes, ma vie n'est qu'une <«< continuelle agonie. Puisque nous sommes obligés d'employer « tous nos efforts pour réprimer les méchants, puisque nous << sommes contraints, tandis que les princes négligent leur de« voir, de défendre l'exercice des religieux, je t'exhorte fra«ternellement à m'assister, en priant et en conjurant ceux qui << aiment sincèrement saint Pierre d'être véritablement ses fils « et ses soldats, de ne pas lui préférer les potentats de la terre, << qui ne sont bons qu'à accorder des faveurs méprisables et

(1) Ep. II, 49.

<< transitoires, tandis que Jésus en promet de véritables et « éternelles. >>

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On voit là se révéler l'idée que le monde ne peut être réformé que par l'Église, qui en est la tête : « Notre seul désir, « disait-il, est que les impies se convertissent; que l'Église « foulée aux pieds, dans la confusion, et morcelée, reprenne << son ancien éclat; que Dieu soit glorifié en nous, et que nous, « avec nos frères et ceux-là même qui nous persécutent, nous << puissions parvenir au salut. Moyennant un vil salaire le soldat << brave la mort pour son maître, et nous craindrions d'affron<< ter la persécution pour la vie éternelle (1)! »

A ces gémissements, à cette résolution, on sent qu'il sera homme à courir droit à son but, sans s'occuper de ce qu'il rencontrera sur son passage. En effet, son activité ne tenait pas compte des obstacles, les dangers augmentaient son courage; il commençait avec la lenteur nécessaire à celui qui veut aller loin, puis il se hâtait ou se modérait selon les circonstances, Fertile en ressources, attentif à tirer parti des événements, d'une extrême pénétration, il était aussi habile à connaître les hommes qu'à se les attacher et à les inspirer de ses propres sentiments.

Il révéla le projet qu'il nourrissait quand les pontifes le choisirent pour conseiller. Les abominations que venait de traverser la papauté l'avaient convaincu que tout le mal était né de ce que la dignité suprême restait abandonnée à l'élection intéressée ou corrompue des puissants de la terre; mais la prétention des empereurs ne pouvant être abattue d'un coup, il commença par corriger ce que les nominations royales avaient d'excessif,

(1) Unum volumus, videlicet ut omnes impii resipiscant, et ad creatorem suum revertantur. Unum desideramus, scilicet ut sancta Ecclesia, per totum orbem conculcata et confusa, et per diversas partes discissa, ad pristinum decorem et soliditatem redeat. Ad unum tendimus, ut Deus glorificetur in nobis, et nos cum fratribus nostris, etiam cum his qui nos persequuntur, ad vitam æternam pervenire mereamur. Pensate, carissimi, pensate quot quotidie milites sæculares pro dominis suis, vili mercede inducti, morti se tradant. Et nos quid pro summo rege et sempiterna gloria patimur aut agimus ? Quale dedecus et quale improperium qualisque derisio oculis nostris objicitur, quod illi, velut pro vili alga, mortem subire non metuunt, et nos pro cœlesti thesauro et æterna beatitudine etiam persecutionem pati divitamus! Erigite ergo animos in vires, spem vivam concipite, illud vexillum præ oculis habentes ducis nostri, scilicet regis æterni, unde ipse dicit: In patientia vestra possidebitis animas vestras.

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en les soumettant à la réélection du clergé et du peuple. Nous l'avons vu, dans cette intention, conseiller à Brunon d'entrer dans Rome en pèlerin, et d'y réclamer les suffrages de ceux qui, seuls, avaient le droit de les donner. Brunon s'y soumit, et annonça la résolution de déposer les évêques simoniaques. Il fit examiner en conséquence la conduite des prélats à Rome, à Reims, à Mayence, et voulut connaître les moyens par lesquels ils avaient acquis leur dignité. Il déclara nulle toute ordination obtenue à prix d'argent; mais il trouva le mal si commun, qu'il fut obligé de se relâcher de sa rigueur, et d'imposer seulement quarante jours de pénitence aux coupables convaincus de simonie.

Lorsqu'il eut cessé de vivre, Henri III nomma, pour lui succéder, le moine Gébehard, son conseiller, homme d'une vertu exemplaire, qui, ayant pris le nom de Victor II, s'occupa par lui-même, et avec l'aide d'Hildebrand, de réformer la discipline. Après lui, une faction, mécontente de voir se succéder tant de papes allemands, porta au siége pontifical Étienne IX, qui fut soupçonné d'avoir voulu faire passer la couronne impériale sur la tête de Godefroi de Lorraine, son beau-frère, un des plus grands princes de cette époque, afin d'expulser de l'Italie les Normands et les Allemands; mais quand la mort l'atteignit au bout de huit mois, ne voulant pas que ses projets pour l'abaissement de la puissance impériale fussent interrompus, il pria qu'on n'élût pas son successeur avant le retour d'Hildebrand, alors en Germanie. Néanmoins les seigneurs de Tusculum proclamèrent à main armée Jean, évêque de Velletri, sous le nom de Benoît IX. Hildebrand, convaincu que le pape d'une faction serait pire encore que le pape d'un empereur, s'unit aux grands et aux cardinaux pour demander à l'impératrice Agnès un autre pontife, qui fut Gérard, évêque de Florence. Hildebrand, qui apporta sa nomination, eut soin qu'il fût réélu dans un synode assemblé à Sienne, où il prit le nom de Nicolas II; et en même temps, afin que ces élections tumultueuses ne se renouvelassent pas, il détermina le nouveau pontife à enlever le droit d'y intervenir tant au roi qu'au peuple, en le confiant à un concile de cardinaux-évêques et de cardinaux-prêtres (1), sauf, ajoutait vaguement la bulle, l'honneur et

(1) Les cardinaux-évêques étaient ceux d'Ostie, de Porto et Santa-Rufina, d'Albe, de la Sabine, de Tusculum et de Préneste, vicaires du pape en tant

le respect dus au roi Henri ainsi qu'à ses successeurs, et l'approbation du clergé.

Les grands, mécontents de se voir privés d'un privilége si précieux, s'adressèrent à l'empereur Henri IV, à la mort de ce pontife, pour lui demander un pape. Les prélats lombards, convoqués à Bâle par ce prince, abolirent la constitution de Nicolas II (1), et décidèrent que le pape serait choisi dans le paradis d'Italie, comme ils appelaient la Lombardie, afin qu'il eût des entrailles paternelles pour compatir à la fragilité humaine (2). Ils élurent donc Pierre Cadalous, évêque de Parme, qui prit le nom d'Honorius II. Le nouvel élu vint prendre possession de sa dignité à main armée; et, faisant même alliance avec les Normands, il humilia la faction de Tusculum. Mais Hildebrand avait déjà fait proclamer, par les cardinaux, Anselme de Bagio, évêque de Lucques, sous le nom d'Alexandre II; le schisme se convertit en guerre civile, et il ne prit fin qu'au moment où l'archevêque Annon, tuteur de Henri IV, eut reconnu Alexandre.

Exerçant une aussi grande puissance, révéré comme maître et seigneur par les papes eux-mêmes (3), Hildebrand aurait. pu facilement s'asseoir dans la chaire de saint Pierre, s'il l'eût ambitionnée avant d'y être porté sous le nom de Grégoire VII. Alors il informa l'empereur de son élection, mais en le priant de le soulager de ce fardeau, dans la prévoyance qu'il aurait à lutter avec lui, peu disposé comme il l'était à tolérer ses excès. Malgré cette manifestation, Henri, n'ayant pas trouvé dans cette nomination la moindre trace de simonie ou de brigue, ne put

que patriarche de Saint-Jeau de Latran. Les cardinaux-prêtres étaient les curés attachés aux quatre autres églises patriarcales de Rome. Des cardinauxdiacres présidaient aux établissements de charité.

(1) Romæ, Nicolao papa defuncto, Romani coronam et alia munera Henrico regi transmiserunt, eumque pro eligendo summo pontifice interpellaverunt. Qui ad se convocatis omnibus Italiæ episcopis, generalique conventu Basileæ habito, eadem imposita corona, patricius romanus appellatus est. Deinde cum communi omnium consilio, parmensem episcopum summæ romanæ Ecclesiæ elegit pontificem. HERMANN CONTRACT. (2) LABBE, Concil., t. IX, p. 1155.

(3) Saint Pierre Damien lui écrivait :

Papam rite colo, sed te prostratus adoro;

Tu facis hunc dominum, te facit ille deum.
Vivere vis Romæ ? clara depromito voce....
Plus domino papæ, domino quam pareo papæ.

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1073.

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