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conquérant, pour les avoir laissées aux vaincus. Mais quel était la valeur d'un pareil don sans l'indépendance, quand le Normand était de droit supérieur à la loi et pouvait la violer à son gré, habitué qu'il était à faire sa volonté, sans frein légal ni respect humain? Aucun lien ne rattachait le vaincu au vainqueur séparés de race et parlant une langue différente, l'un se trouvait privé de son indépendance, de ses biens, de sa tranquillité, condamné au travail et à l'obéissance, quand l'autre restait en possession du sol et de l'autorité. La langue française fut adoptée dans l'enseignement, dans les actes publics, dans la conversation, dans la chaire. Une foule d'expressions et de formes étrangères s'introduisirent ainsi dans l'idiome du pays, et réunies au saxon, constituèrent la langue anglaise, qui tient le milieu entre les langues romane et teutonique. Ce fut un signe de basse naissance que de parler le saxon; mais le vaincu n'y renonça pas, et ce fut dans ce dialecte qu'il déplora ses misères et maudit l'étranger.

Guillaume n'était pas moins habile à se procurer de l'argent qu'à gagner des batailles. Lorsqu'il avait intimé un ordre, il n'écoutait pas de réclamations. Ne souffrant pas d'autres rapines que les siennes, il maintint la tranquillité publique, après avoir détruit le brigandage et fait trêve aux vengeances privées. Ce fut là un des avantages de la conquête; elle en produisit un autre, en augmentant les communications avec la France et Rome, ce qui fit cesser les mauvais effets de l'isolement, imprima de l'activité aux études et polit les mœurs. Le pays se trouva en outre préservé de nouvelles invasions de la part des Scandinaves.

Guillaume était disposé au plus mal contre Philippe Ier, roi de France, depuis que ce prince avait dit, en parlant avec quelques amis de l'embonpoint du Conquérant: Quand le roi d'Angleterre compte-t-il faire ses couches? Ce mot fut rapporté à Guillaume, qui s'en trouva très-blessé : Par la splendeur et la nativité de Dieu, s'écria-t-il (c'était son juron habituel), quand je ferai mes relevailles, j'allumerai tant de cierges à Notre-Dame de Paris, que le roi de France en sera émerveillé!

Il s'avança en effet contre lui avec une grosse armée, jusqu'à Mantes-sur-Seine, ravageant les moissons, arrachant les vignes, incendiant villes et hameaux; mais, renversé de son cheval qui s'abattit sous lui, il mourut de cette chute à l'âge de soixante

trois ans, avec le remords des dévastations et des cruautés qui lui avaient valu le nom de Conquérant (1).

Au moment où l'on allait ensevelir le grand baron, un nommé Asselin sortit de la foule, et dit à haute voix : Évêques et clercs, ce terrain est à moi : c'était l'emplacement de la maison de mon père; l'homme pour lequel vous priez me l'a pris par force pour y bátir son église je n'ai point vendu ma terre, je ne l'ai point engagée, je ne l'ai point forfaite, je ne l'ai point donnée; elle est de mon droit, je la réclame. Au nom de Dieu, je défends que le corps du ravisseur y soit placé, et qu'on le couvre de ma glèbe.

Il fallut en conséquence transiger avec le réclamant. La fosse en maçonnerie, construite à la hâte, s'étant alors trouvée trop étroite, il fallut forcer le cadavre, et il creva; l'infection qui en résulta fit précipiter la cérémonie, et abaisser en hâte la pierre du sépulcre sur la tête de l'usurpateur. Ses poëtes chantèrent ses vertus royales, en accusant les Anglais d'entêtement et de perversité, pour avoir refusé leur amour à un roi si pacifique et si juste (2).

CHAPITRE VII.

LES NORMANDS EN ITALIE.

Les Normands ne perdirent pas le goût des courses et des aventures, lors même qu'ils eurent une patrie régie par des institutions civiles, avec des établissements et un royaume au dehors; beaucoup d'entre eux mettaient leur valeur à la solde

(1) La commission instituée à Falaise pour ériger un monument à Guillaume 1er a publié, en 1846, un arbre généalogique où l'on voit que de ce prince descendent les rois actuels d'Angleterre, de Prusse, de Sardaigne, des Pays-Bas, l'empereur de Russie, elc.

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Diligeres eum, anglica terra, si absit impudentia et nequitia tua! (Guill. Pictav., p. 207.)

857.

Luna.

de princes étrangers, et allaient servir jusqu'à Byzance; d'autres épiaient toutes les occasions de rapine et de lucre. Mais il n'était plus aussi facile de mettre l'Europe à contribution, depuis qu'elle se trouvait partagée entre quelques milliers de barons attentifs à défendre leurs terres; quand, à tout passage de fleuve ou de montagne, se présentait un homme d'armes, la lance au poing et l'épée au côté, accompagné de dogues énormes, pour arrêter le voyageur et exiger le péage, si même il ne s'emparait de son bagage et de sa personne.

Les anciennes habitudes se modifiant alors sous l'influence des nouvelles idées qu'avait apportées le christianisme, les Normands s'en allaient, avec le bourdon et la cape du pèlerin, visiter les sanctuaires de la Palestine, de la Galice, de la Touraine, de l'Italie; ils criaient au sacrilége contre ceux qui osaient les troubler dans leur voyage; mais, bien armés sous leurs modestes vêtements, ils étaient prêts à 'combattre au besoin, et à piller quand ils le pouvaient. Souvent, faute de mieux, ils faisaient commerce de reliques d'autant plus estimées qu'elles venaient de plus loin; les églises se servaient de ces reliques pour accroître leur crédit, les barons les mettaient sous leurs cuirasses pour s'en aller en sûreté attendre leur rival au coin d'un bois. Souvent aussi l'aventurier normand rencontrait sur son chemin quelque châtelaine à épouser, quelque duché à occuper, et ne se faisait aucun scrupule des moyens, sûr qu'il était de trouver l'absolution de tous ses péchés au bout du pèlerinage.

Vers la moitié du neuvième siècle, les enfants de Lodbrog, s'étant proposé d'aller assaillir la capitale du monde chrétien, Épisode de débarquèrent à Luna (1), qu'ils prirent pour Rome, et en ravagèrent les alentours. Avertis de leur méprise, ils se remirent en route au hasard. Ayant rencontré un pèlerin, ils lui demandèrent des renseignements. « Voyez-vous, leur répondit-il, ces chaus«sures que je porte sur mon dos? Elles sont tout à fait usées, et « celles que j'ai aux pieds ne valent guère mieux : or les unes et << les autres étaient neuves à mon départ de Rome (2). » Effrayés

(1) Luna, ville maritime de l'Étrurie septentrionale, sur la Macra; aujourd'hui Lunegiano.

(2) Il paraît que la ville de Luna n'en fut pas quitte pour si peu de chose. PAUL WARNEFRID (de Gest. Longob., lib. IV, c. 47) el Muratori (Antiq. Ital., t. I, p. 25; Rer. ital. Script., t. XIII, p. 49) nous apprennent qu'elle fut prise et presque détruite.

Voici en peu de mots, sur ce fait, une légende du Nord:

Les rois de mer Hasting et Biörn, fils de Lodbrog, après avoir pris Paris

du trajet qui leur restait à faire, ils rebroussèrent chemin. Un siècle et demi plus tard, quarante pèlerins normands, Les Normands revenant de Palestine sur des barques amalfitaines, arrivèrent

à Salerne au moment où cette ville était menacée par une flottille de Sarrasins; leur valeur aida les habitants à repousser l'ennemi, et le prince Guaimar III, en les congédiant après les avoir dignement récompensés, les invita à revenir avec d'autres braves de leur pays. Ce qu'ils racontèrent à leurs compatriotes de ces délicieux climats stimula leur penchant naturel pour les aventures; et Osmond de Quarrel, se trouvant alors

et rançonné les Parisiens, veulent aller saccager la capitale du monde chré. tien, dont ils ont entendu vanter les richesses; ils réunissent une flotte de cent barques, tirés de leurs établissements sur la Loire, la Garonne et la Seine; ils mettent à la voile, pillent en passant les côtes d'Espagne, vont jusqu'aux bords de la Mauritanie, pénètrent dans la Méditerranée, ravagent les iles Baléares, arrivent enfin devant une ville italienne, aux murailles étrusques flanquées de tours. La prenant pour Rome, ils envoient dire aux habitants qu'ils étaient les vainqueurs des Francs, qu'ils ne voulaient aucun ma! aux Italiens, qu'ils cherchaient seulement un refuge pour réparer leurs navires, et que leur chef, las de la vie errante, brûlait du désir de recevoir le baptême pour se reposer au sein de la religion chrétienne. L'évêque et le comte de Luna leur fournissent tout le nécessaire; Hasting est baptisé, mais sans que ses compagnons soient admis dans l'intérieur de la ville. Au bout de quelques jours le néophyte tombe dangereusement malade et fait connaître son intention de laisser tout son riche butin à l'Église, pourvu qu'on lui accorde une sépulture en terre sainte. Bientôt les gémissements des Normands annon. cent sa mort. Une grande procession funéraire le dépose au milieu de la cathédrale; et là, s'élançant du fond de la bière l'épée à la main, Hasting, secondé par les siens, massacre l'évêque qui officiait et tous ceux qui assistaient à la cérémonie. Maîtres de la ville, les Normands s'aperçoivent que ce n'est pas Rome; ils emportent alors sur leurs barques les riches dépouilles de Luna, ses femmes les plus jolies, ses jeunes gens capables de porter la lance ou de manier la rame, et se remettent en mer.

Une légende italienne nous rend compte de la destruction de cette ancienne ville par un récit qui, sans être plus vraisemblable, n'est pas moins romanesque.

Le prince de Luna s'éprend des charmes d'une jeune impératrice qui voyage avec son époux. Sa passion est bientôt partagée; et les deux amants, pour se réunir à jamais, ont recours à ce stratagème : l'impératrice est atteinte d'une maladie mortelle; elle expire, est enterrée, et de son tombeau elle passe dans les bras de son bien-aimé. L'empereur, informé de tout, venge sa honte, et punit le ravisseur par la destruction totale de la florissante cité.

Ce qu'il y a de vrai au fond de ces traditions, c'est que la catastrophe de la ville de Luna se rattache à une mort simulée.

Voyez DEPPING, t. I, p. 164-168. – SUнм, History of Danemark, t. II, p. 213-216. — Geijer, Svea Rikes Häfder, t. I, p. 578. — PLUQUET, Roman de Rou, t. I, note VIII. CAPEFIGUE, Sur l'invasion des Normands, p. 157.

à Salerne.

1015.

1017.

sous le coup d'une poursuite judiciaire, s'en vint, accompagné de quatre frères et neveux et de leurs hommes liges, s'établir sur le mont Gargano, près d'un sanctuaire très-fréquenté, pour offrir le secours de son bras à qui en aurait besoin.

Deux seigneurs de la Pouille, Melo et Dato, réclamèrent les services de ces étrangers, dans le but de soustraire leur patrie au joug des catapans (1) impériaux. Les richesses qu'ils leur offraient en perspective démontraient, aux yeux des Normands, la justice de la cause. Osmond envoie en Normandie des émissaires qui, par la peinture de la fertilité du pays (2) et de la làcheté de ses possesseurs, excitèrent partout l'enthousiasme ; une troupe d'aventuriers peu nombreuse franchit les Alpes, en culbutant les habitants encore idolâtres du mont Jou (3), et rejoi– gnit aux environs de Rome Melo, qui fournit des armes et des chevaux aux plus pauvres, les réunit aux bandes de Lombards recrutées en Italie, et les mena contre les Grecs. Leur bravoure triompha dans les premières actions; mais, dans des combats successifs, accablés par des ennemis fort supérieurs en nombre et bien pourvus de machines de guerre, ils ne purent que vendre cher leur vie. Neuf chevaliers périrent avec Osmond dans une lutte terrible qui fut livrée sur le champ de bataille de Cannes (4). Melo se retira et mourut à la cour de l'empereur Henri II, en Allemagne. Les Normands qui survécurent errèrent sur les collines et dans les vallées du midi de l'Italie, réduits à conquérir, à la pointe de l'épée, leur subsistance journalière, jusqu'à ce que Sergius, duc de Naples, en récompense de services reçus, céda à Rainulfe, frère d'Osmond, le territoire et la ville d'Aversa, avec le établissement titre de comte.

Premier

des Normands

1029.

La nouvelle de ce premier établissement des Normands en Italie y amena chaque année, de la Normandie, de nouveaux pèlerins soldats. La nécessité déterminait les pauvres, l'espérance attirait les riches. La ville d'Aversa offrait aussi un asile aux indigènes qui parvenaient à se soustraire à la justice ou à

(1) Les catapans ont succédé aux exarques vers 870; c'étaient des patrices envoyés par la cour de Constantinople pour gouverner les provinces d'Italie qui appartenaient à l'empire grec.

(2) La terre qui mene lait et miel, et tant de belles choses. Chr. inéd. d'AIMÉ.

(3) Confractis serris, custodibusque cæsis, per angustissimas se mitas montis Jovis in Alpibus. Aujourd'hui le Saint-Bernard.

(4) Les naturels du pays l'appellent encore il Campo di sangue.

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