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qu'un amas didactique de descriptions, et un recueil confus des fables inventées autrefois dans l'Egypte et dans la Grèce. C'est une série de fic/tions, toutes liées entr'elles d'une chaîne non interrompue, qui embrasse successivement tous

les siècles, dont Ovide a su faire un poëme où tout marche et se suit, où les événemens, les personnages se succèdent avec ordre, s'amènent les uns les autres, et dont l'univers entier est la scène. On le voit toujours guidé par le fil de la chronologie, alors qu'il semble n'obéir qu'à la baguette de l'imagination, courir de merveille en merveille depuis l'origine du monde jusqu'au siècle d'Auguste. Il fallait un art non moins difficile que celui de l'Epopée pour passer sans cesse d'une fable à une autre dans cette suite innombrable de tableaux allégoriques, qui forment l'ensemble du poëme. Il semble que ce soit une magie. On croit parcourir dans l'optique du génie la galerie de l'Olympe.

La fable est le patrimoine des arts. Elle a plu et doit toujours plaire, non parce que l'esprit humain et le faux sympathisent extrêmement, comme l'a dit Fontenelle, mais parce qu'elle flatte délicieusement l'imagination, de toutes

facultés de l'ame, pour ainsi dire, la plus sen

suelle.

On aimera toujours les erreurs de la Grèce ;

Toujours Ovide charmera.

Si nos peuples nouveaux sont chrétiens à la messe,
Ils sont païens à l'Opéra.

Je sais bien que la philosophie, qui usurpe aujourd'hui le domaine des arts imitateurs, tend à faire évanouir les prestiges de la féerie antique. Elle n'en est pas moins une source inépuisable d'allusions aimables et d'allégories charmantes, dont l'application plus ou moins heureuse dépend du génie et du goût. L'esprit philosophique n'en doit proscrire que l'abus et pour me servir d'une idée fabuleuse, la philosophie elle-même, toutes les fois qu'elle parlera le langage des vers, peut se parer des charmes de la fiction, comme Junon dans Homère s'embellit de la ceinture de Vénus. Ces fictions, qui ont survécu au culte qui les a consacrées jadis, ne peuvent jamais vieillir. On peut, a dit Voltaire, détruire les objets de la crédulité, mais non ceux du plaisir '.

1 « La philosophie coupera la gorge à la poésie », disait Despréaux dans son humeur chagrine. Non : elle est immortelle ; son culte ne peut jamais être aboli chez un peuple ami des arts c'est le feu sacré qui ne s'éteint jamais. D'autres sciences, comme

Les poètes anciens, aussi bien que les modernes, n'ont jamais regardé les divinités fabuleuses que comme des êtres d'imagination, attribués à un art dont le privilége est de tout animer.

Tout prend une ame, un corps, un esprit, un visage.
En vain prétend-on qu'il suffit au génie
de contempler la nature et de la peindre, que
ses grands phénomènes et les nouvelles décou-
vertes dues aux progrès des sciences, offrent
plus de ressources à l'imagination que des fic-
tions usées et invraisemblables. L'expérience
prouve assez qu'on ne peut décrire en poète les
merveilles de la nature, sans leur associer les
merveilles de la fable. Corneille, ce génie si
mâle et si profond, en sentait le charme. Il en
a pris la défense en vers; et personne, que je
sache, ne s'est exprimé sur cela avec plus de
vivacité, de force et de verve.

Qu'on fait d'injure à l'art de lui voler la fable!
C'est interdire aux vers ce qu'ils ont d'agréable,

plus récentes, peuvent avoir quelque tems plus de crédit : l'intérêt de la curiosité se mêle alors à celui d'une instruction nouvelle; mais elles ne diront jamais rien au cœur, ce premier mobile de l'homme, et cette première base de l'art du poète. Voilà sur quoi se fonde la prérogative de la poésie, et certes elle n'est pas chimérique.

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Anéantir leur pompe, éteindre leur vigueur,
Et hasarder la Muse à sécher de langueur.
O vous qui prétendez qu'à force d'injustices
Le vieil usage cède à de nouveaux caprices,
Donnez-nous par pitié du moins quelques beautés
Qui puissent remplacer ce que vous nous ôtez;
Et ne nous livrez pas aux tons mélancoliques
D'un style estropié par de vaines critiques.

Quoi! bannir des enfers Proserpine et Pluton,
Dire toujours le Diable, et jamais Alecton,
Sacrifier Hécate et Diane à la lune,

Et dans son propre sein noyer le vieux Neptune?
Un berger chantera ses déplaisirs secrets,
Sans la triste Écho répète ses regrets!

que

Les bois autour de lui n'auront point de Dryades,
L'air sera sans zéphyrs, les fleuves sans Naïades!

Otez à Pan sa flûte, adieu les pâturages :
Otez Pomone et Flore, adieu les jardinages.

Des roses et des lis le plus superbe éclat,

Sans la fable, en nos vers, n'aura rien que de plat.
Qu'on y peigne en savant une plante nourrie
Des impures vapeurs d'une plante pourrie,

Le portrait plaira-t-il, s'il n'a pour ornement
Les larmes d'une amante ou le sang d'un amant ?
Qu'aura de beau la guerre, à moins qu'on ne crayonne
Ici le char de Mars, là celui de Bellone;

Que la Victoire vole, et que les grands exploits

Soient portés en cent lieux par la nymphe aux cent voix?
Qu'ont la terre et la mer, si l'on n'ose décrire
Ce qu'il faut de Tritons à pousser un navire;
Cet empire qu'Éole a sur les tourbillons,
Bacchus sur les coteaux, Cérès sur les sillons?

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Tous ces vieux ornemens, traitez-les d'antiquailles ;
Moi, si je peins jamais Trianon et Versailles,
Des Nymphes malgré vous danseront alentour;
Cent demi-dieux badins leur parleront d'amour;
Du Satyre caché les brusques échappées
Dans les bras des Sylvains feront fuir les Napées;
Et si le bal s'ouvrait dans ces aimables lieux,
J'y ferais malgré vous trépigner tous les dieux.

Rien de plus rempli d'instructions utiles et de vérités, que les fictions de la poésie antique. L'allégorie et la morale ont été l'objet de ceux qui les ont inventées. Cela est si vrai que si on examine bien les fables, on reconnaîtra qu'elles contiennent ce qu'il y a de plus excellent dans les plus nobles sciences, l'histoire, l'astronomie, la géographie, et les plus beaux secrets de la nature et de la morale. C'est ce qui a fait dire à Platon que les sages de l'antiquité avaient voulu qu'elles fussent le premier lait que l'on fit sucer aux hommes, qui devaient les considérer comme un aliment qui passe dans l'esprit sans peine, et qui le prépare à une nourriture plus solide. Le poëme des Métamorphoses est donc un livre d'éducation également instructif et agréable. Si des tableaux séduisans des passions, si des images gracieuses ont alarmé sur le danger de cette lecture la sévérité de quel

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