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vons vu souvent. Ces innovations devinrent ensuite l'origine d'un système d'indulgences qui ne fut pas toujours irréprochable. Le comte Boniface, père de la comtesse Mathilde, ayant causé de graves dommages aux églises, se rendait chaque année à la Pomposa, où il se confessait; et, comblés de ses dons, l'abbé et les moines lavaient les péchés dont il s'accusait (1). Mais, pour s'être permis de conférer pour de l'argent, à la manière des seigueurs du temps, des titres et des bénéfices, l'abbé le flagella sur ses épaules nues devant l'autel de la Vierge; si bien que le comte fit vœu de s'abstenir dorénavant de ce trafic sacrilége.

Hilderad de Comazzo avait résolu d'aller en pèlerinage outremer, pour la rémission d'une grande faute; mais le pontife trouvant l'expiation trop légère, lui enjoignit de visiter trois ans de suite la terre sainte et cent oratoires, en allant pieds nus, sans monture ni bâton, en s'abstenant de sa femme, et en ne passant jamais la nuit où il se serait arrêté durant le jour. Sentant que la pénitence était au-dessus de ses forces, il en obtint la commutation; il s'engagea à bâtir le monastère de Saint-Vito dans le territoire de Lodi, en y consacrant la dîme de ses biens (2). On voit que si les anciennes pénitences étaient moins pénibles et plus aptes à améliorer l'esprit, les nouvelles, tout en mortifiant le corps, pouvaient faillir à leur institution.

Nous avons déjà rappelé plusieurs fois les voyages à Jérusalem. Si en effet les ossements d'un martyr ou le siége d'un apôtre sanctifiaient un lieu, à combien plus forte raison ne devait-il pas en être ainsi de celui où s'étaient préparés et accomplis les symboles et les actes de la divine rédemption? Jérusalem pouvait être appelée la patrie commune des chrétiens, en quelque pays qu'ils eussent pris naissance. Les enfants entendaient parler d'elle sur les genoux de leur mère; les mystiques voyaient en elle l'image de la cité céleste; partout les fidèles répétaient les chants de regret que lui adressaient les Hébreux exilés, ou dont ils faisaient retentir son enceinte dans leurs solennités religieuses et nationales. Les roses d'Engaddi, les cèdres du Liban, les rosées

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(2) Titre conservé dans les archives de Saint-Ambroise de Milan. Il donna à cet effet quatre mille quatre cent soixante-quatre perches de terre, sans parler de plusieurs droits lucratifs.

de l'Hermon, les ondes du Jourdain, les saintes épouvantes du Tabor, les oliviers de Gethsemani, ne leur étaient pas moins familiers que le champ natal, que la colline et le fleuve témoins des jeux de leur enfance.

Une foule de pèlerins ne cessa donc de se diriger vers ces contrées dès le temps des premiers chrétiens (1). Saint Jérôme fonda, avec Eusèbe de Crémone, un hospice à Bethléem; mais comme il ne pouvait suffire à donner asile à tous ceux qui s'y rendaient, ils durent venir en Italie, et vendre tout ce qu'ils possédaient pour subvenir aux besoins de tous ceux qui visitaient les lieux saints. Paule, dame romaine qui les avait suivis en Palestine, y fonda un monastère de femmes. Hélène, mère de Constantin, à qui était réservé le bonheur de retrouver le bois sacré sur lequel Jésus-Christ avait souffert, érigea sur son tombeau un temple qui fut inauguré avec une pompe solennelle, dont tous les arts à l'envi rehaussèrent l'éclat; et les nombreuses chapelles qu'elle fit placer sur le lieu des mystères, devinrent autant de stations où les fidèles s'arrêtèrent pour prier.

L'impératrice Eudoxie s'y était transportée avec tant de faste qu'elle avait excité des murmures (2), et il est dit qu'elle mit sur le Calvaire une croix d'or; puis, lorsqu'elle se vit en butte à des accusations ennemies, elle alla y finir ses jours, partageant son temps entre la poésie et la pénitence. Déjà saint Jérôme, et après lui les Pères, blåmaient comme superflues ces visites au saint sépulcre. Augustin répétait à ses ouailles que le Seigneur n'avait pas dit: Va en Orient chercher la justice; et que c'est en aimant, non en naviguant, que l'on arrive près de Celui qui est partout. Grégoire de Nysse réprouve ceux qui courent en foule à Jérusalem, surtout les femmes, parce que pour elles il peut naître, en voyage, des occasions de péché; il ajoute que la voie qui mène aux demeures célestes est aussi bien ouverte du fond de la Bretagne que de Jérusalem.

Les pèlerinages furent interrompus par l'invasion des Perses sous Chosroës; mais les larmes répandues par les chrétiens sur

(1) MAMACHI, Ant. Christianæ, II, 31, donne une longue liste de personnages ayant fait le pèlerinage de la Palestine, du quatrième au douzième siècle.

(2) Voy. tom. VI, page 289.

la chute de la cité sainte se changèrent en joie quand celle-ci fut recouvrée par Héraclius, qui rapporta la vraie croix pieds nus, au milieu d'une pieuse magnificence, sur la cime du Calvaire; il fut salué alors des félicitations de tous les princes du monde.

Survinrent bientôt les Arabes qui occupèrent Jérusalem, en chantant ces paroles du Koran : Entrons dans la ville sainte que Dieu nous a promise; tandis que les fidèles s'écriaient: Voilà l'abomination et la désolation dans le lieu saint. Omar, qui n'avait pas cru trop faire en venant de Médine pour qu'elle lui fût ren due en personne, permit aux chrétiens de la visiter; et les Fatimites, appréciant l'utilité du commerce, favorisèrent les foires qu'y tenaient les pèlerins, toujours nombreux au tombeau du Seigneur, dont les louanges étaient célébrées dans toutes les langues.

Cependant la ville des prophètes et des apôtres était profanée; une mosquée s'élevait sur les fondements du temple de Salomon. La voix des imans appelait à la prière, du haut des minarets, les adorateurs d'Allah; tandis que le bronze sacré était réduit au silence, et que le patriarche Sophronius en mourait de douleur. Malgré la tolérance vantée des vainqueurs, les chrétiens furent en butte aux plus cruels traitements; un lourd tribut leur fu imposé par les maîtres de la Palestine; défense à eux de porter des armes ou de monter à cheval, de ne pas porter la ceinture distinctive de cuir, de parler l'arabe, et d'élire leur patriarche sans l'intervention des musulmans.

Loin d'attiédir l'ardeur des pèlerinages, les difficultés semblèrent la raviver; et les chrétiens ne voulurent pas le céder en zèle aux musulmans, qui, pour visiter la Mecque, s'exposaient aux plus rudes fatigues. Ils apprirent d'eux à voyager avec plus d'ordre, et à marcher en grand nombre. Chaque année, à certaines époques, surtout à l'approche des solennités de Pâques, partait une troupe de dévots qui se confessaient, et faisaient bénir au pied de l'autel la panetière et le bourdon, compagnons de leur voyage. En Normandie, ils étaient conduits processionnellement de l'église jusque sur le chemin, que l'on bénissait en leur souhaitant un heureux voyage. Après avoir reçu les embrassements de leurs proches, ils s'éloignaient, partagés entre le pieux désir qui les appelait au loin, et le regret de se séparer de ceux qu'ils aimaient, pour entreprendre une longue route semée de dangers et de fatigues.

La robe de bure, serrée aux reins par une ceinture de cuir à laquelle, plus tard, était suspendu le rosaire ; sur le dos, le bissac renfermant la provision frugale; sur la tête, un chapeau à larges bords, relevé par-devant, tel était le costume général des pèlerins. Quelques-uns se servaient d'un bourdon creux en guise de flûte, pour en jouer pendant la route, afin de se distraire, avec les airs de la patrie, des ennuis du chemin et des regrets de l'absence, ou comme moyen de se faire donner un morceau de pain. Ceux qui se rendaient à Rome étaient appelés Romieux (Romei), et se distinguaient par les clefs dessinées sur leur rochet; les pèlerins de Compostelle, par une coquille à leur chapeau; on donnait le nom de Palmiers à ceux de terre sainte, à cause des palmes qu'ils en rapportaient.

En allant ou en revenant, ils visitaient l'Égypte, où ils allaient déplorer la servitude des Hébreux, ou rechercher les vestiges de l'enfance de Jésus, ou visiter les ermitages des anciens Pères du désert. Dans la Palestine, ils se prosternaient sur chaque pierre où le Christ avait pu poser le pied, au milieu des vallées pleines des chants des prophètes, dans les forêts dont l'ombre couvrait des secrets divins. Ils entraient dans Jérusalem par la porte d'Éphraïm; et, après avoir payé le tribut, après les jeûnes et les oraisons prescrites, ils se présentaient à l'église du SaintSépulcre, couverts d'un tapis qu'ils conservaient pour y être ensevelis; ils se rendaient ensuite au Jourdain ou au torrent de Cédron pour s'y baigner, cueillaient des palmes à Jéricho, et se mettaient en route pour regagner leurs foyers.

Se confiant dans ce Dieu qui envoya un ange pour guide à Tobie, ils s'en allaient souvent sans savoir le chemin (1), manquant de tout, exposés à mille dangers. Aussi beaucoup périssaient dans le voyage, en s'écriant: Seigneur, vous avez donné votre vie pour moi, et j'ai donné la mienne pour vous. Ceux-là étaient considérés comme des martyrs; ceux qui revenaient, exténués de jeûnes, de fatigues, brûlés par le soleil de Syrie, sanctifiés par de cruelles épreuves et par des mortifications d'une variété ingénieuse, remettaient leur bourdon dans les mains du prêtre, qui le plaçait près des autels; puis les récits qu'ils fai

(1) Il y avait quelques itinéraires; il en reste même un de 333, extrait des itinéraires publics, avec addition de quelques particularités.]

saient des choses merveilleuses des pays lointains, excitaient d'autres individus à les imiter. Ainsi, en l'absence presque totale de communications, c'était là un grand moyen de répandre les nouvelles, les usages, les ustensiles, et jusqu'aux plantes fruitières.

La religion protégeait ces pieux voyageurs, pour qui se perpétuait la trêve de Dieu. Quiconque insultait leur personne, ou profitait de leur absence pour envahir leurs biens, se rendait coupable envers l'unique puissance alors respectée, l'Église. Ils étaient partout accueillis et hébergés, sans qu'on leur demandât autre chose en retour qu'une prière, seul viatique dont ils fussent munis, leur seule arme défensive contre les périls. Devant eux se levaient, sans rétribution, les barrières établies par les barons à chaque pont, à chaque carrefour, pour exiger le péage; aucun patron de navire n'aurait refusé le passage à des gens qui pouvaient lui mériter la bénédiction du ciel et un vent propice. Le châtelain soupçonneux faisait baisser le pont-levis et lever la herse de son manoir pour les recevoir le soir à son foyer; ou bien ils allaient sonner à la porte du couvent qui partageait avec eux le produit des aumônes. Les seigneurs et les évêques faisaient élever des hôpitaux, dont le nom même indique qu'ils étaient destinés à loger des voyageurs plus qu'à recevoir des malades. Bernard de Menton fonda deux hospices au sommet du Grand et du Petit Saint-Bernard, pour y donner asile aux pèlerins de France, au moment où les Sarrasins, logés dans le Valais, rendaient le passage plus dangereux. Il en fut construit un sur le mont Cénis, et d'autres dans la Hongrie et dans l'Asie Mineure. Les rois de pays lointains, et les négociants d'Amalfi, de Gênes, de Venise, entretenaient des établissements du même genre dans Jérusalem, d'où les moines qui les desservaient venaient en Occident recueillir les aumônes des fidèles pour les frères absents. Il y avait ensuite une foule d'histoires, crues de bonne foi ou inventées à plaisir, que l'on racontait au besoin : c'étaient des anges qui avaient apporté du pain à l'hospice où les pèlerins passaient la nuit; des tempêtes qui s'étaient déchaînées sur le navire où on leur avait refusé le passage; des faveurs de toutes sortes accordées à ceux qui les avaient accueillis.

Ce concours de voyageurs stimula le génie spéculatif des Italiens; et, de même qu'à Alexandrie et sur les autres côtes de la

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