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Causes des croisades.

Reliques.

derons pas à voir les autres. Ces deux puissances en sortiront affaiblies; mais l'état moderne en sera la conséquence. Les petits seigneurs féodaux ne cessent d'accroître leur indépendance aux dépens de l'autorité royale; mais à côté de cette aristocratie territoriale et guerrière s'élève une classe inconnue dans les anciennes constitutions, la commune des marchands et des artisans, qui, ayant grandi durant la querelle agitée entre le pouvoir séculier et l'autorité ecclésiastique, peut désormais résister à la tyrannie armée, et s'ouvrir les voies de l'avenir.

Mais l'Orient menace de nouveau. Comme les autres monarchies asiatiques, l'empire des Arabes s'est énervé du moment où il a subi un gouvernement de sérail. Les soulèvements continuels des Alides, le zèle fanatique de certains hérétiques, l'arrogance des gardes, et le démembrement produit par l'établissement des différents kalifats, minaient la puissance des sectateurs du prophète. Tout à coup vient du Nord, pour lui apporter une énergie nouvelle, une nation qui, l'entraînant dans son élan, la force de se jeter, avec une avidité renaissante, sur la chrétienté. Mais celle-ci, dans l'accord des croyances communes, se lève comme un seul homme; l'Église met dans la main des fidèles l'étendard de la liberté chrétienne, attache à leurs vêtements le signe de l'humanité rachetée, et la civilisation est sauvée.

On a pu voir que le sentiment religieux, bien que mal compris par l'ignorance ou égaré par la superstition, était prédominant au moyen âge. La religion avait assumé la tâche sacrée de refréner les volontés indomptables des peuples barbares, et de répandre parmi eux la notion du juste et de l'honnête. Il en résultait que leur conduite privée et publique ne connaissait d'autre guide, dans les moments de fougue, que la passion, ou les canons religieux aux heures de calme.

Pour, des gens qui sentaient avec force, et dont l'imagination était vive, il fallait que la foi fût exprimée par un culte d'un extérieur attrayant, par des actes d'une signification puissante, se rattachant étroitement à la représentation sensible des idées. De là cette vénération spéciale de certains lieux spéciaux et des reliques des saints. Dès l'origine, l'Église honora les ossements de ceux qu'attendait la glorification; elle élevait sur ceux des martyrs les autels où les fidèles venaient, dans le secret et la crainte, puiser la résolution et la force de les imiter. Le mode de ce culte

varia selon les temps et les Églises; tandis que celle d'Orient distribuait les reliques aux dévots, l'Église latine s'abstenait soigneusement d'y porter la main, et l'on répétait les châtiments miraculeux que plus d'un s'était attiré par une telle impiété (1).

Mais en cela aussi la discipline changea dans l'Occident, et l'on se partagea les saints ossements, qui furent recherchés avec une avidité tenant plus du fanatisme que de la dévotion. Quelques-uns même, soit par malice, soit par ignorance, supposèrent des reliques et des saints (2); d'autres s'en procurèrent par la fraude ou par la violence; il semblait, au dire d'un écrivain, vers l'an mille, qu'il arrivât une résurrection; on déterrait, on volait, on fabriquait des reliques de saints, vrais ou prétendus tels. Richard, duc de Bénévent, obligea les Napolitains à lui céder saint Janvier; il fit la guerre à Amalfi uniquement pour avoir les restes de sainte Triphomène, et déroba ceux de saint Barthélemy aux iles de Lipari. Othon III réclama ceux-ci, et les Bénéventins, n'osant lui répondre par un refus, lui envoyèrent les ossements de saint Paulin; mais il s'aperçut de la substitution et marcha contre Bénévent, qu'il assiégea (3). Le pape étant dans l'usage, pour guérir les furieux, de les battre avec la chaîne de saint Pierre, un homme feignit d'être atteint de ce mal, et la lui ayant arrachée, jura de ne s'en dessaisir qu'autant qu'on lui couperait la main ou qu'on lui en donnerait un anneau.

Quelques marchands de Bari, venus pour commercer à Mira dans la Lycie, firent le complot d'enlever les ossements de saint Nicolas. Ils y furent encouragés surtout en découvrant que des Vénitiens avaient déjà fait leurs préparatifs dans le même but, et s'étaient procuré des leviers et des marteaux. Découragés cependant par les obstacles, ils renoncèrent à leur projet et mirent à la voile. Mais bientôt le vent, d'abord favorable, leur devint contraire, ce qu'ils prirent pour un signe de la volonté divine; ils

(1) Voy. tom. VII, page 425.

(2) Le jésuite Papebroch fit rayer du catalogue des saints une Argyride, martyre, vénérée à Ravenne par suite de l'interprétation erronée d'une épitaphe; Mabillon, un Catervius et une Sévérina. Il en fut de même pour d'autres. Il n'y a pas longtemps que l'on prit pour un catalogue de saints, sur une inscription que l'on avait découverte, ce qui n'était que le rôle d'une légion.

(3) PIERRE DAMIEN, Vie de saint Romuald.

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- LEO OSTIENSIS.

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Pèlerinages.

rebroussèrent donc chemin, et se rendirent à l'église où gisait le corps du saint. Après avoir tenté en vain de séduire à prix d'or les moines qui le gardaient, ils s'en emparèrent de vive force, et, l'ayant mis dans un tonneau enveloppé d'un drap blanc, ils se rembarquèrent. Leur navire lutta trois jours durant contre la mer irritée; mais enfin ceux qui, dans le désordre de l'enlèvement, avaient détourné quelques parcelles des reliques, les ayant restituées jusqu'à la dernière, le vent changea tout à coup, se mit à souffler en poupe; et le vaisseau arriva heureusement à Bari, où le sanctuaire de Saint-Nicolas devint un des plus fréquentés par les pèlerins, et des plus fertiles en miracles.

L'avidité pour les reliques s'accrut à tel point, que tous moyens parurent bons pour s'en procurer. Les villes assez heureuses pour en posséder quelqu'une l'enfermaient sous plusieurs clefs, soit au fond de souterrains inaccessibles, soit au plus haut des temples; et, maintes fois, la possession du corps d'un saint fut un motif de guerre. Les Florentins ayant obtenu frauduleusement un bras de la vierge sainte Reparate, l'exposèrent, avec grande pompe, à la vénération des fidèles ; mais voulant, quelque temps après, l'orner de pierreries et d'or, ils ne trouvèrent qu'un bras composé de bois et de plâtre. Les religieuses de Téano, gardiennes du corps sacré, avaient eu recours à cet artifice pour le conserver dans son intégrité (1).

Nous qui avons vu des individus se disputer les moindres ustensiles qui avaient appartenu à l'homme le plus prodigieux de notre époque, des objets qu'il avait à peine touchés; et la possession de ses cendres devenir une affaire d'État entre deux puissants royaumes; nous qui avons été témoins de l'enthousiasme réveillé par leur retour en Europe au milieu de ce siècle calculateur, pourrions-nous ne pas excuser, chez nos aïeux, une véné– ration excessive pour d'autres héros?

Ce qui augmentait encore l'importance attachée à la possession des reliques, c'était le concours des dévots qu'elles attiraient en pèlerinage. Le tombeau du patron de la nation, le lieu signalé par un miracle ou par une apparition, étaient fréquentés avec une dévotion particulière. Les Francs couraient en foule à Tours au tombeau de saint Martin, dont la chape servait de parure aux

(1) M. VILLANI, liv. III, 15, 16.

rois et d'étendard aux armées; les Espagnols révéraient saint Jacques de Compostelle en Galice; les Longbards se rendaient pieusement au mont Gargan, sanctifié par l'apparition de l'ange saint Michel; les Italiens, au mont Cassin, pour vénérer la tombe de saint Benoit; tous les fidèles, à Rome, près du seuil sacré des saints apôtres (1).

Les peuples septentrionaux, après leur conversion à la foi, conservaient encore le goût des expéditions lointaines; et comme il n'y avait pas, dans les pays où le christianisme venait à peine de prendre racine, de lieux consacrés à la vénération par d'anciennes traditions, ou par le souvenir de saints depuis longtemps en renom, ils accouraient vers ceux qui, dans toute la chrétienté étaient l'objet d'un plus grand respect, et surtout à Rome. Là s'offraient à leurs regards étonnés les restes de cette civilisation qu'ils admiraient sans savoir l'imiter; ils y étaient bénis par le chef de l'Église, auquel ils rendaient un hommage pieux, comme au vicaire de Dieu, un tribut d'amour comme au père commun. Nous avons déjà vu Alfred et Kanut venir y puiser des lumières et de la force pour civiliser leurs peuples. D'autres princes encore s'y rendirent dans l'intention de policer leurs sujets et eux-mêmes, comme de nos jours des rois de l'Océanie vont chercher en Europe des inspirations et des modèles.

Souvent les pèlerinages étaient imposés à titre de pénitence. Pénitence. Nous avons eu déjà occasion de parler de la rigueur de ces expiations dans les premiers siècles, et de leur variété selon les lieux et les temps. Peu à peu la confession publique cessa, la honte restant secrète, et la publicité n'ayant lieu que pour la rémission. La confession auriculaire, réservée d'abord à l'évêque, s'étendit aux prêtres autorisés par lui, et enfin aux moines eux-mêmes.

Les évêques pouvaient, à l'exemple des apôtres, abréger la pénitence ou l'adoucir. Il était accordé notamment aux mission

(1) Quoiqu'il nous reste bien peu de documents du temps des Longbards, nous y trouvons mention de pèlerinages. Ainsi Perţuald, citoyen de Lucques, fonde dans sa patrie, en 721, à son retour du seuil sacré des saints apôtres, le monastère de Saint-Michel : Liminibus beati Petri apostolorum principis romanæ urbis devotum juxta placitum Deo ad propria remeatus. Le prêtre Romuald sortit de terra sua partibus transpadanis, una cum muliere sua sibi peregrinandi pro anima sua. Puis, en 725, il fonda un hôpital à Capannole, dans le territoire de Lucques.

naires de donner des lettres d'indult aux pécheurs. L'Église, comme l'explique saint Cyprien, entend qu'il soit moins satisfait envers elle qu'envers Dieu par la pénitence; d'où suit que la remise partielle de la peine, acte d'indulgence pour une partie de la satisfaction due à la justice divine, était octroyée en vertu du pouvoir attribué à l'Église de lier et de délier.

Les pénitences publiques continuaient néanmoins à châtier les fautes scandaleuses, surtout l'apostasie, l'adultère, l'homicide. Pierre Damien et Anselme de Baggio, s'étant rendus à Milan pour y extirper la simonie (1), imposèrent, pour expiation aux membres du clergé les moins coupables, de jeûner au pain et à l'eau deux jours la semaine pendant cinq ans, et trois jours durant les carêmes de Pâques et de Saint-Jean. Ce jeûne fut de sept ans pour les plus coupables, et dut se prolonger leur vie entière pour tous les vendredis. Le terme fixé à l'archevêque fut de cent ans, avec faculté de s'en racheter à prix d'argent ; il lui fallut promettre, en outre, d'envoyer tous les clercs coupables en pèlerinage à Rome et à Tours, et d'aller lui-même à Saint-Jacques de Compostelle et au saint sépulcre (2). Cette rigueur se retrouve dans les Décrétales de ce même Anselme, devenu pape sous le nom d'Alexandre II (3); et le bras séculier intervenait pour astreindre les récalcitrants à se soumettre à la pénitence imposée. Charlemagne enjoignait aux comtes de veiller à ce que les fidèles ne prissent pas leur nourriture avec les pénitents, ne bussent pas au même vase, n'acceptassent ni leur baiser, ni leur salut; que si ceux-ci refusaient d'obéir, ils pouvaient être mis en prison et privés de leurs revenus (4). Le même monarque trouvait inconvenant que des coupables s'en allassent en pèlerinage à titre de pénitence, presque nus et chargés de fers, jugeant préférable que le pécheur restât dans un même lieu, à travailler, à servir, et à faire expiation conformément aux canons (5).

Ces modes de pénitence s'étaient introduits depuis peu; on aimait mieux précédemment renfermer, soit à temps, soit pour leur vie, les coupables dans des monastères, ainsi que nous l'a

(1) Voy. tom. IX, chap. XVII.

(2) Lettres de PIERRE DAMIEN, Œuvres, tom. I, op. 5.

(3) Ap. IVON CARNUT, p. 9, cap. ix, p. 10; Decret., cap. xvi, 29, etc. (4) Capit., liv. VII, 331; tit. IV, ch. xiv, liv. VII, 230,

(5) App. I, au liv. IV, ch, XXXIV.

etc.

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