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« véritables. Les biens de la terre sont agréables, mais vains; « ceux qui les méprisent ont le centuple de récompense.

« Je proclame et commande ces choses; et, pour leur exécution, j'assigne le printemps prochain. Dieu répandra sa grâce « sur tous ceux qui s'obligeront au passage; il leur accordera <«< une année favorable, une récolte abondante, la sérénité de la <«< saison. Ceux qui mourront entreront dans les demeures cé«<lestes, et ceux qui survivront arriveront au tombeau du Sei«gneur. Et quelle plus grande félicité pour l'homme que de voir << en sa vie les lieux où le Seigneur parla le langage des hommes ? «Oh! bénis ceux-là qui, appelés à ces nobles fatigues, en rap« porteront la belle récompense.....!»

A cette éloquence indigeste, mais vive, toute l'assemblée s'écria d'une voix, dans les diverses langues en usage : Diex el volt, Die li volt, Dio lo vuole (Dieu le veut).

Alors un cardinal prononça la formule de la confession générale, et tous, à genoux, la répétèrent en se frappant la poitrine, puis reçurent l'absolution. Adhémar de Monteil, évêque du Puy, reçut du pape la croix en qualité de légat; après lui, d'autres évêques; puis les barons, animés d'un point d'honneur pieux, jurèrent d'oublier leurs propres injures pour venger de concert celles du Christ. Ceux qui prirent l'engagement d'aller combattre outre-mer furent reçus, ainsi que leurs biens, sous la protection de l'Église; de telle sorte que celui qui leur causait dommage encourait l'excommunication. Ce fut ainsi que vingt peuples divers s'élancèrent à la première de ces expéditions, qui furent appelées croisades, parce que les guerriers qui s'y enrôlaient avaient pris pour signe distinctif la folie de la croix,

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Quand les évêques et les chevaliers se séparèrent, le pape Urbain et Pierre l'Ermite continuèrent à exciter les peuples à la délivrance du saint sépulcre. On ne faisait que parler de la terre sainte; chacun s'apprêtait à combattre et à mourir pour cette cause sacrée. La mauvaise récolte de cette année parut une nouvelle injonction du ciel, et quiconque habitait un pays désolé par la famine ou par des bandes de brigands, se mettait en chemin, confiant dans la charité des barons; le vilain s'arrachait avec empressement aux rudes travaux de la glèbe;

(1) GUILLAUME, évêque de Tyr, Gesta Dei per Francos. ANONYME, Gesta Francorum expugnantium Hierusalem. FOULQUE DE CHARTRES, Chroniques.

ALBERT D'AIX, Idem.

ANNE COMNÈNE, Histoire, ainsi que celles de plusieurs Arabes.

DU MAILLET le premier, dans l'Esprit des croisades, envisagea ces expéditions sous un autre point de vue que celui de la moquerie, et comme dignes d'un grand intérêt. Il consulta beaucoup de documents, mais s'arrêta à la première croisade.

WILKEN, Conservateur de la bibliothèque du roi de Prusse, reconnut la nécessité de confronter les historiens latins avec ceux de l'Orient, et tira de cet examen de grandes lumières en ce qui concerne les croisades.

MICHAUD, ajoutant aux travaux précédents l'étude de documents nouveaux, nous a donné l'histoire la plus complète de ces expéditions, bien que son ouvrage soit trop académique.

RAUMER en a aussi traité dans l'Histoire des Hohenstauffen, et HURTER dans celle d'Innocent III.

HEEREN a adressé à l'Académie française un Mémoire sur l'influence des croisades.

H. PRAT, dans Pierre l'Ermile, ou la première croisade, Paris, 1840, tend à méconnaître l'enthousiasme de cette expédition.

L'Académie des inscriptions et belles-lettres fait imprimer en ce moment la collection des historiens latins, grecs et orientaux des croisades. Les premiers sont revus par MM. Le Bas et Beugnot. Les ouvrages grecs consistent en fragments de Nicéphore Brienne, d'Anne Comnène, de Nicétas, de Jean Phocas, de Zonaras et autres, au nombre desquels il en est quelques-uns d'inédits, comme Attaliate. Les écrivains orientaux sont traduits par M. Reinaud.

les femmes vendaient leurs bijoux pour subvenir aux dépenses de leurs maris, de leurs frères; ceux qui n'avaient rien en propre dérobaient le bien d'autrui; les débiteurs se hâtaient de prendre la croix, attendu que dès lors les intérêts cessaient de courir, et que le créancier ne pouvait plus agir contre leur personne; les malfaiteurs quittaient leur repaire, en sûreté désormais à l'ombre de la croix. Des bourgs entiers, des provinces se levaient en masse avec femmes, enfants, vieillards, si bien que les curés et les évêques étaient obligés de les suivre pour ne pas rester pasteurs sans troupeau; avec eux s'en allaient tous ceux à qui la paix proclamée enlevait l'occasion d'exercer leur valeur.

L'Asie, terre nouvelle pour les croisés, offre en perspective aux imaginations et aux désirs ambitieux, des richesses, des royaumes, des dignités. Le laïque, qui abandonne la cour du roi, la bannière du feudataire, le château de ses pères, y va chercher des aventures et des fiefs. Le moine quitte sa cellule, le prêtre sa cure ou l'école pour courir dans les diocèses, qui, réunis à l'Église dont ils ont été détachés, offriront des prébendes et des évêchés. Chacun se rappelait les exemples récents d'aventuriers qui avaient dû une grande fortune à leur épée, comme les Normands dans la Pouille, Guillaume le Båtard en Angleterre, Henri de Bourgogne en Portugal. Et, en effet, aucun roi ne prit part à la première expédition, mais des gens qui aspiraient à conquérir des royaumes.

Cependant le sentiment qui animait la plupart des croisés était réellement un élan pieux, l'entraînement du fanatisme, si on veut l'appeler ainsi. Celui qui prend ma croix est digne de moi, se répétaient-ils les uns aux autres; et ils laissaient bien-être, parents, amis, cet ensemble d'affections qu'embrasse le nom de patrie, pour aller délivrer le grand sépulcre du Christ. Des religieuses sortent de leur tranquille retraite pour s'exposer aux dangers, au milieu d'une multitude sans frein. Ermites vieillis dans les cavernes, artisans aguerris aux rudes travaux de l'atelier, vont en foule acquérir les indulgences promises par le pape. Des croix sanglantes sont imprimées sur des membres délicats ou brunis par le soleil. Les barons vendent leurs terres à des voisins moins dévots, si même ils n'en font point présent aux églises. Ils veulent courir où les appellent des prodiges, où les pousse l'ombre de Charlemagne, qui s'est montrée à Aix-la-Cha

pelle pour les encourager à délivrer la terre sainte que des chiens outragent, où le Christ est mort, où ils mourront eux-mèmes avec joie. Mélange bizarre de nations, de sexes, d'âges, de vêtements: la prostitution à côté de l'austérité cénobitique, la férocité près de la mansuétude, le faste vis-à-vis de la misère, le son des trompettes se mariant aux dévotes psalmodies et aux cris de Dieu le veut! Dieu le veut, donc il pourvoira; ainsi la prudence, la précaution seraient couardise et indice de peu de foi. Ils ignorent le chemin, et pourtant ils ne se mettent pas en peine de chercher un guide, répétant avec Salomon: Les sauterelles n'ont pas de roi, et pourtant elles vont ensemble par bandes ; ou bien avec l'Évangile : Maudit celui qui porte en voyage une besace et du pain! maudit celui qui met la main à la charrue et regarde derrière lui!

Le concile de Clermont avait fixé le jour du départ à la fête de l'Ascension suivante; c'était le moment où d'ordinaire on entreprenait les expéditions en sortant du champ de mai. L'hiver se passa en préparatifs et en encouragements réciproques; puis, à peine le printemps eut-il paru, que, ne sachant plus maîtriser leur impatience, les croisés se mirent en marche de toutes parts. Ils s'en allaient par milliers, sans ordre, sans provisions, sans direction, en cherchant Jérusalem, opposant à tous les calculs de la prévoyance humaine leur confiance en des miracles infaillibles; à toute raison, le cri de: Dieu le veut ! Ils accouraient, animes d'une volonté unique, de la turbulente Allemagne, de l'Angleterre divisée, de la factieuse Italie. L'habitant du pays de Galles abandonnait ses forêts giboyeues; l'Écossais, ses compatriotes en haillons; le Danois, ses longs banquets; le Norwégien, ses poissons crus (1); les Espagnols eux-mêmes oubliaient les Sarrasins qui foulaient leur sol, pour aller les chercher outre-mer. Quelques-uns ferrent les pieds des boeufs, chargent sur des chariots les enfants et les vieillards, et se mettent en chemin par files désordonnées, précédés par une croix, et répétant à voix basse le Vexilla regis; puis, à chaque bicoque qui s'offre de loin à leurs regards, ils s'informent si c'est là Jérusalem.

Le pape avait sagement cherché à modérer cette ardeur, en

(1) GUILLAUME De Malmesbury.

voulant que ceux-là seuls eussent à passer en Orient que leur sexe et leur âge en rendaient capables: les vieillards, les malades, les enfants devaient contribuer à l'expédition par des aumônes et des prières; les femmes, ne se mettre en route qu'accompa gnées de leurs maris ou de leurs frères; les moines et les ecclésiastiques, attendre le consentement des prélats; les laïques euxmêmes, être munis de la licence et de la bénédiction de leurs évêques mais c'était prétendre arrêter un torrent arrivé déjà à moitié de la pente des Alpes.

Pierre, en tête de tous, persuadé, dans son zèle aveugle, dans son indomptable volonté, qu'un choc impétueux, secondé par des prières, suffirait pour vaincre quelque ennemi que ce fût, partit de France avec une foule innombrable, ayant pour capitaine Gauthier sans Avoir, homme dénué d'expérience, et qui n'était pas obéi.

Cette armée, qui toujours alla grossissant jusqu'au nombre de cent mille, poursuivait sa route en subsistant d'aumônes, et elle en trouva jusqu'à ce qu'elle eût traversé une partie de l'Allemagne; mais, arrivée au Danube et en Moravie, elle rencontra les Hongrois et les Bulgares disposés à défendre leurs récentes patries contre ce torrent dévastateur. Quand donc cette tourbe indisciplinée se mit en devoir d'obtenir des vivres par la force, les gens du pays ou s'enfermèrent dans les villes avec les provisions de toute nature, ou tombèrent sur les croisés, qui, dépourvus d'armes, affamés et en désordre, furent taillés en pièces.

Pierre atteignit Constantinople avec un petit nombre d'hommes exténués, et Alexis Comnène lui fit un accueil bienveillant, mais l'invita à s'arrêter jusqu'à l'arrivée des chevaliers.

Cependant Gottschalk avait réuni de son côté environ vingt mille croisés, qui, ayant pénétré avec non moins de désordre dans la Hongrie, y furent massacrés d'une manière perfide. Une tourbe pire encore se rassembla sous le prêtre Volkmar et le comte Émicon, aux bords du Rhin et de la Moselle, et s'avança en dévastant tout sur son passage: comme il lui paraissait juste qu'une guerre entreprise pour venger les outrages faits au Fils de Dieu commençât par le châtiment de ceux qui l'avaient crucifié, ils égorgèrent tous les juifs sur lesquels ils purent mettre la main le long de ces deux fleuves, malgré les efforts des évêques pour les sauver. Devenus furieux

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