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Les pirateries des Normands interrompirent pour quelque temps les pèlerinages; mais, après leur conversion au christia nisme, ils ne se montrèrent pas moins zélés que les autres peuples occidentaux pour entreprendre le pieux voyage, durant lequel ils trouvaient parfois l'occasion de gagner un royaume. Ils envoyaient même de l'argent pour l'entretien des hospices et des monastères de la Palestine. Leur duc Robert II, surnommé le Magnifique ou le Diable, qui voulait que les Bretons vinssent lui rendre hommage pieds nus, qui ne craignait aucun homme vivant, mais bien l'enfer, et passait rapidement du crime à la pénitence, partit pour la Syrie, déchaussé et revêtu du sarreau. Étant tombé malade, il ne voulut pas être servi par des chrétiens, mais par des Sarrasins. Comme ceux-ci le portaient dans une litière, il rencontra un chrétien qui lui demanda ses ordres pour l'Europe Bon voyage, lui répondit-il; et dis à mon peuple que tu m'as vu porter en paradis par des démons. A Jérusalem, il trouva une foule de chrétiens qui attendaient à la porte, faute d'argent pour acquitter la taxe ; il paya pour tous. Il fut le père de Guillaume le Conquérant; il mourut à Nicée de Bithynie.

Quand la Hongrie eut été convertie, un nouveau passage fut ouvert aux pèlerins, et saint Étienne leur venait en aide. A l'approche de l'an 1000, au moment où l'on croyait la fin du monde imminente, c'était à qui donnerait des biens périssables pour s'en aller mourir aux lieux où le Christ était mort, dans le voisinage de la vallée où l'agneau devait revenir lion pour juger le monde rassemblé.

A partir de cette époque, le nombre des pèlerins s'accrut. Litbert, évêque de Cambrai, se mit en route avec plus de trois mille Picards et Flamands, qui, arrivés en Bulgarie, furent assaillis par les gens du pays; beaucoup furent tués, les autres périrent de faim, et aucun d'eux n'arriva au terme du voyage. Huit mille autres partirent avec l'archevêque de Mayence et les évêques de Spire, de Bamberg, de Cologne, d'Utrecht; accueillis par Constantin Ducas, ils furent attaqués par les Bédouins et assiégés dans un vieux château, puis délivrés par l'émir de Ramla; mais ils étaient à peine deux mille quand ils reparurent en Italie pour regagner leurs foyers.

Vers cette époque, la Palestine avait eu cruellement à souffrir. Al-Haken-Bemrila, kalife d'Égypte, qui avait livré aux

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flammes, par simple amusement, la moitié de la ville du Caire en faisant saccager le reste, et qui voulait qu'on le crût une émanation de Dieu, persécuta les chrétiens de Syrie, et fit tuer nombre de pèlerins. Un bruit, répandu par les musulmans, qui menaçait de ruine leur empire, servit de prétexte à une nouvelle persécution, à l'occasion de laquelle le pape Sylvestre II fit entendre le premier appel aux chrétiens pour entreprendre une croisade (1). En effet, les Génois et les Pisans prirent les armes, ainsi que Boson, roi d'Arles, et ils firent des incursions sur les côtes de la Syrie; mais Al-Haken-Bemrila était mort; la paix se rétablit, et les Occidentaux purent continuer leurs opérations commerciales, ainsi que leurs pèlerinages, moyennant un léger droit à payer seulement au kalife d'Égypte. Les Amalfitains obtinrent de lui l'autorisation d'élever, près de l'église de SaintJean, un hôpital pour les voyageurs de leur nation ; ils dotèrent cet établissement de rentes que, chaque année, ils envoyaient d'Europe ce fut là le berceau de l'ordre qui par la suite devint souverain de Rhodes et de Malte.

La sécurité des chrétiens en Palestine, et celle de la partie de l'Europe la plus voisine de l'Asie, dépendaient donc ou du caprice de quelques chefs, ou de l'impulsion donnée soit par des factions toujours en lutte, soit par des sectes ou des dynasties sans cesse renaissantes dans l'empire du prophète. Les Arabes avaient

(1) Ea quæ est Hierosolymis, universali Ecclesiæ sceptris imperanti. Cum bene vigeas, immaculata sponsa, cujus membrum esse me fateor, spes mihi maxima per te caput attollendi jam pene attritum. An quicquam diffiderem de te, rerum domina, si me recognoscis tuam ? Quisquamne tuorum famosam cladem illatam mihi putare debebit ad se minime pertinere, utque rerum infima abhorrere? Et quamvis nunc dejecta, tamen habuit me orbis terrarum optimam sui partem: penes me prophetarum oracula, patriarcharum insignia; hinc clara mundi lumina prodierunt apostoli; hinc Christi fidem repetit orbis terrarum; apud me redemptorem suum invenit. Etenim, quamvis ubique sit divinitate, tamen hic humanitate natus, passus, sepultus, hinc ad cœlos elatus. Sed cum propheta dixerit, « Erit sepulchrum ejus gloriosum,» paganis loca cuncta subvertentibus tentat diabolus reddere ingloriosum. Enitere ergo, miles Christi; esto signifer et compugnator, et quod armis nequis, consilii et opum auxilio subveni. Quid est quod das, aut cui das? Nempe ex multo modicum, et ei qui omne quod habes gratis dedit, nec tamen gratis recipit ; et hic eum multiplicat et in futuro remunerat; per me benedicit tibi, ut largiendo crescas; et peccata relaxat, ut secum regnando vivas,

menacé l'Europe au levant et au midi; la Méditerranée n'avait pu arrêter ces guerriers fanatiques, et ils avaient envahi l'Espagne et l'Italie. La valeur des chrétiens, les exhortations des papes et l'assistance des empereurs avaient réussi à les chasser de ce dernier pays. La lutte continuait en Espagne, bien qu'en se civilisant les Arabes eussent dépouillé leur rudesse et leur fougue première. L'épée des Cantabres allait élargissant les limites des royaumes fondés au nord de la Péninsule; et non-seulement ces États empêchaient les Sarrasins d'étendre leurs conquêtes, mais ils devaient finir par leur arracher leurs anciennes possessions. Cependant la récente invasion des Almoravides, secte rigide et furieuse, puis la célèbre victoire de Zalacca, renouvelèrent le péril, et il ne fallut rien moins, pour le conjurer, que la sagesse d'Alphonse, secondée de l'épée du Cid.

La menace était toujours pressante du côté de l'Orient. Or, comme il n'est nullement vrai que les guerres ne fussent alors que le résultat d'un élan aveugle et d'une avidité irréfléchie de conquêtes, déjà il avait été question plus d'une fois d'armer toute l'Europe, pour l'opposer en masse aux musulmans. Au temps de leurs premières expéditions, on n'avait pas compris qu'une horde de Bédouins pût l'exposer à un si grand danger, et la chrétienté ne se trouvait pas d'ailleurs agglomérée encore dans l'unité de l'empire; puis il y avait toujours l'obstacle des Grecs, qui, séparés de l'Europe, tantôt par l'orgueil, tantôt par l'hérésie, empêchaient de tenter un effort d'ensemble. Quelques esprits plus élevés comprirent la nécessité de cette entreprise, comme Sylvestre II dont nous venons de faire mention, et le pape Grégoire VII. Au temps de ce dernier pontife, le péril était aggravé par l'invasion des Seljoucides, dont l'énergie septentrionale vint retremper le zèle refroidi des Arabes du midi. Leurs forces s'étaient considérablement accrues dans l'intervalle de deux générations. Puis vint Malek-Schah, qui ajouta encore à leur grandeur. Ce prince accorda pour récompense aux officiers qui l'avaient suivi tout ce qu'ils pourraient conquérir ou soumettre tant en Égypte qu'en Grèce, et bientôt leur avidité eut réduit le pays aux abois. Cupides et féroces, ils n'épargnaient aucun genre d'oppression aux chrétiens qui habitaient la Palestine ou s'y rendaient par dévotion. L'Europe entière retentissait de gémissements sur le sort des prêtres et du patriarche, arrachés

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à l'autel pour être jetés en prison; sur celui des femmes, en butte à la violence brutale; des enfants, circoncis par milliers et élevés dans la croyance de Mahomet; sur le sort aussi de ceux qui étaient destinés à garder, comme eunuques, les sérails de maîtres voluptueux et jaloux (1).

Alors Michel Ducas, empereur de Constantinople, réclama l'assistance des Occidentaux contre les ennemis du christianisme, promettant de faire cesser la funeste séparation des Églises latine et grecque. Grégoire VII joignit sa voix à la sienne, et exhorta les chrétiens à se réunir sous l'étendard du Très-Haut (2); il paraît même qu'il se proposait de se mettre lui-même à la tête des croisés (3). Cinquante mille guerriers s'engagèrent à le suivre; mais d'autres intérêts l'arrêtèrent, et l'entreprise resta sans effet.

Cette pensée fut poursuivie par Victor III, qui excita les chrétiens à prendre les armes ; les Génois, les Pisans et d'autres Italiens, qui se levèrent pour combattre les Sarrasins d'Afrique, recurent du pape la bannière de saint Pierre, avec la rémission de leurs péchés (4). Ayant débarqué sur la plage libyenne, ils taillèrent en pièces, est-il rapporté, cent mille ennemis, livrèrent une ville aux flammes, obligèrent un roi maure à leur payer tribut, et revinrent embellir les églises de leur patrie du butin

(1) Dicit (Alexis Comnène) eos quemdam abusione sodomitica intervenisse episcopum matres corruptæ, in conspectu filiarum, multipliciter repetitis diversorum coitibus vexabantur: filiæ existentiæ terminum præcinere saltando cogebantur, mox eadem passio ad filias, etc. GUIBERT.

(2) Invitamus ut quidam vestrum veniant, qui christianam fidem vultis defendere, et cœlesti regi militare, ut cum eis viam (favente Deo) præparemus omnibus qui cœlestem nobilitatem defendendo, per nos ultra mare volunt transire. Ep. II, 37.

(3) Speramus etiam ut, pacatis Normannis, transeamus Constantinopolim, in adjutorium christianorum.

(4) Estuabat autem idem apostolicus Victor, Saracenorum in Africa morantium superbiam frangere. Consilio itaque cum episcopis et cardinalibus habito, ex omnibus fere Italiæ populis exercitum congregans, illisque vexillum beati Petri apostoli tradens, sub remissione peccatorum omnium contra infideles impiosque in Africam dirigit. Christo itaque duce, ingressi Africam, centum millia pugnatorum occiderunt, urbe illorum præcipua capta et excisa. Porro, ne quis ambigat hoc Dei nutu contigisse, quo die christiani victores evasere, eo etiam Italiæ nunciata victoria est. BARONIUS, III, 70.

fait sur les païens. Les Italiens furent donc les premiers à entreprendre ces expéditions qui, durant deux siècles, agitèrent l'Europe et l'Asie; mais il était réservé à un homme obscur de faire jaillir l'étincelle qui devait embraser les matériaux déjà préparés.

Un Picard nommé Pierre, dont on ignore la famille, d'un extérieur grossier, de manières communes, que les siens ne connaissaient que par le surnom d'Ermite, avait exalté son âme énergique dans la solitude par la prière et le jeûne. Il en était venu à se croire en communication directe avec le ciel, et se sentait appelé à mieux qu'à passer sa vie dans son ermitage. Il quitta Amiens, lieu de sa naissance, pour se rendre à Jérusalem; et l'aspect des saints lieux l'émut d'autant plus que sa piété et son imagination étaient plus ardentes. Prosterné devant le saint sépulcre, il crut entendre la voix de Jésus-Christ luimême, qui lui disait : Pierre, lève-toi; va annoncer à mon peuple la fin de l'oppression. Que mes serviteurs viennent, et que la terre sainte soit délivrée.

Alors rien ne lui paraît plus impossible; il reçoit du vieux patriarche Siméon des lettres pour le pape, et promet d'exciter les preux de l'Occident à venir délivrer la terre sainte.

L'ermite parcourt l'Italie, il parcourt la France, il fait le tour de l'Europe, nu-tête, nu-pieds, couvert d'une robe de laine grossière, monté sur une mule: il est maigre et chétif; mais son œil vif et pénétrant et son élocution facile révèlent l'esprit dont il est animé (1). Le peuple, étonné de son austérité, ému de la peinture saisissante qu'il faisait des maux dont il avait été le témoin, et que lui-même avait soufferts en Palestine, entraîné par sa parole chaleureuse, le proclame saint, prophète, et le suit en foule. Les discours qu'il a fait entendre sont répétés par les moines, par les pèlerins qui ont visité Jérusalem, et en reviennent journellement, portant encore les traces des supplices endurés, des chaînes dont ils ont été chargés. Tout contribuait à rendre plus grand l'homme du Seigneur : heureux aussi ceux qui pouvaient seulement toucher son vêtement! Maintes fois

(1) Pusillus, persona contemptibilis, vivacis ingenii, et oculum habens perspicacem gratumque, et sponte fluens ei non deerat eloquium. GUIL.

DE TYR.

Pierre d'Amiens. i

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